Vous me dites métisse en été et maghrébine en hiver, asiatique les cheveux lissés… dans tous les cas étrangère. Pourtant je suis née à Amiens, et j’ai trois quarts d’ascendance blanche, pour un quart de sang noir. Je suis une quarteronne. Et si à travers ce shooting photo, je vais faisais découvrir ce métissage si singulier ?
Méconnaissance
Lorsque j’en parle autour de moi, je me suis rendue compte que, qu’importe les générations, il y a une méconnaissance du terme. Ça ne m’agace que rarement puisque tous les dictionnaires ne daignent pas forcément le définir, alors on ne peut pas tant en vouloir à ceux qui ignorent sa signification.
La plupart du temps je prenais un instant pour expliquer ce que ce terme signifie. Car oui, il ne suffit que d’une ligne pour définir le mot, mais sa portée et la diversité de ses illustrations sont infinies.
Être quarteron.ne c’est être fils ou fille d’un demi, donc être fils ou fille d’un parent métis et un parent blanc. Avoir un héritage multiculturel inscrit dans le sang grâce au quart de sang noir et aux trois quarts d’ascendance blanche. On l’accepte ou on le rejette mais il peut se traduire, de mille et unes manières sur le physique. Pour illustrer cela, j’avais depuis longtemps l’envie d’en faire un shooting photo.
Shooting
L’envie de troquer la pédagogie orale par de belles images. L’idée était là depuis longtemps mais s’est mise concrètement en place en l’espace de quelques jours. Nous entamions le mois de février et donc le mois de l’Histoire noire aux Etats-Unis, au Canada, en France, … le contexte semblait propice. J’ai contacté Mathilde Bach, une photographe exceptionnelle puis j’ai lancé un petit appel pour trouver dans mon entourage des filles quarteronnes. Kheza Sagniez, Emma Tricoire et Flora Malouf furent immédiatement séduites par l’idée et impatientes que l’on se réunissent.
Une semaine plus tard, nous passions une matinée à prendre des clichés solo, duo, trio et quelques unes du joli quatuor. Le tout en se racontant nos expériences personnelles et avec un esprit de sororité et de complicité qui se retrouve dans les photos.
4 femmes fortes, 4 belles femmes, 4 exemples illustrant la complexe définition de quarteronne.
Physiquement ?
C’est une folle diversité que celle du physique des quarterons. Le fait d’avoir trois quarts d’ascendance blanche fait que la carnation, la chevelure, les traits du visage, … sont très différents d’un quarteron à l’autre. La magie de la mélanine et l’hasardeuse génétique !
Mon minois est un pêle-mêle d’origines. Mais le Ghana et la Côte d’Ivoire l’emportent sur les origines italiennes et françaises. J’ai la peau très pale, et mon périple se situe principalement dans mon rapport à ma chevelure. Petite mes cheveux étaient simplement bouclés et, en grandissant, ma mère me les tressait en deux nattes en primaire puis je les ai lissés tout le long du collège. Quelle ne fût ma surprise quand, en souhaitant m’affirmer au naturel au lycée, je découvris qu’ils étaient très frisés. J’ai mis du temps à les dompter et à les entretenir en mettant des années à trouver une routine qui ne les alourdit ni ne les abime. Aujourd’hui c’est une fierté immense.
Vous me dites métisse en été et maghrébine en hiver, asiatique les cheveux lissés… dans tous les cas étrangère. Pourtant je suis née à Amiens, j’ai passé mon enfance dans le Jura puis le Nord est devenu mien. J’ai appris à ne pas me satisfaire d’une case si je me sens à l’aise en dehors.
En en parlant avec Khéza, je me suis rendue compte que c’était la même chose : « Ce qui est drôle, c’est qu’on ne sait pas déterminer d’où je viens. En général, les gens se trompent lorsqu’ils essaient de deviner mes origines. En effet, ils ne voient tout simplement pas mon métissage de prime abord. En hiver, beaucoup pensent que je suis maghrébine. En été, on me demande si je viens des îles, de Polynésie, de la Réunion voire même d’Europe du Sud ou d’Inde.»
Ce qu’il y a de plus surprenant, ce sont les différences au sein des fratries !
Mon frère a une carnation bien plus foncée que moi, mais ses cheveux sont lisses et bruns. Kheza soulignait la même chose : « Dans une fratrie de quarterons il peut y avoir des différences. Par exemple, ma petite sœur est blanche mais elle a les cheveux très bouclés et assez clairs. Elle a des traits plus traditionnellement africains. Mon petit frère est mat de peau mais a les cheveux lisses et les traits très caucasiens, il a l’air d’un méditerranéen. Ma sœur et moi ne nous ressemblons pas du tout, c’est comme si nous avions pris les caractéristiques opposées pour chaque partie. » Kheza
Comment le vit-on ?
Le rapport à cette identité complexe, tout comme le physique d’un quarteron, ne pouvait être rapporté et synthétisé par un seul profil. Ainsi, pour illustrer cela, j’en ai discuté à nouveau avec les filles.
En grande partie, je pense que la recherche d’identité s’apparente à celle des métis. Ni blanc ni noir. Pourtant, les trois quarts d’ascendance blanche laisseraient penser que cela l’emporterait et pourtant non.
« En effet, ce n’est pas parce que j’ai trois quarts de blancs que je me sens blanche, car on m’a toujours renvoyé à ma partie “étrangère”, le métissage est toujours là, il fait partie de ma vie. » (Kheza)
Cela dépend énormément du rapport qu’a notre famille à ses origines.
Cette richesse attise notre curiosité. Personnellement, ayant un rapport très complexe avec ce côté de ma famille, je n’ai pas encore cherché à aller voir d’où je viens précisément au Ghana et en Côte d’Ivoire. Je sais seulement que je suis héritière du royaume des Ashanti. C’est une fierté immense et je ne nie pas cet héritage, je sais seulement que le voyage qui s’annonce fort en émotions et en retrouvailles n’est pas pour tout de suite.
J’étais cependant ravie d’entendre le témoignage de Khéza qui est plus en paix avec cette partie de sa famille, au point d’au contraire avoir une grande hâte « Je suis très proche de ma grand-mère et j’ai toujours été intriguée par ses récits du Gabon, son enfance. Ma mère elle-même, métisse, est née au Gabon et y a vécu jusqu’à ses 12 ans, elle a donc tenu à me transmettre cette partie d’elle car selon elle je ne pourrai bien me développer qu’en acceptant mes racines. Elle pensait qu’accueillir mes origines à bras ouvert allait m’être bénéfique et m’a toujours dit que c’était une richesse. Par contre ma famille “élargie” du Gabon me semble plus lointaine et je regrette malheureusement de n’être allée au Gabon que quand j’étais bébé, c’est une partie de moi qui m’attire et que j’ai énormément envie de découvrir de l’intérieur. » (Khéza).
Avons-nous fait l’expérience du racisme ?
Contrairement aux métis et aux noirs qui subissent le racisme systémique et les remarques incessantes, pour ma part, ce ne fût « que » quelques remarques déplacées et regards emplis de haine, mais je rejoins Eleonore lorsqu’elle dit « Je pense très sincèrement (ou alors je ne m’en rends pas compte) ne pas être victime de racisme direct globalement. Mes origines ne sont pas forcément évidentes à première vue en fonction de mon bronzage, ma coiffure, comme dans les autres témoignages. De plus, j’ai un nom franco-français : Éléonore Couturier. J’ai pu subir des situations inconfortables (touchers de cheveux, surnoms déplacés liées aux différentes origines qu’on me prête « Pocahontas », « chinoire ») ou encore des remarques racistes blessantes destinées à ma mère, mais cela reste indirect en général. Je suis consciente de ma position privilégiée et suis toujours à l’écoute des premier.e.s concerné.e.s. »
C’est d’ailleurs pour cela que mon père a changé notre nom de famille un an après ma naissance. Il savait que, malheureusement, avec « Bruyere » accolé au prénom français le plus donné, j’aurais plus de portes ouvertes et moins de moqueries comme il avait pu subir durant toute sa scolarité.
Eléonore, en discutant, soulignait un point très juste. Nous sommes le plus souvent témoins plutôt que victimes de racisme. « L’ambiguïté de notre métissage peut cependant nous permettre d’être des allié.e.s assez « stratégiques » et de mettre particulièrement mal à l’aise les personnes aux propos problématiques. En effet, il m’est arrivé plusieurs fois d’assister à des discours racistes décomplexés sans que quiconque ne soupçonne que j’étais afro descendante, jusqu’à ce que ma mère me rejoigne ou qu’ils ne l’apprennent d’une quelconque façon… » (Eleonore)
Néanmoins, cela dépend beaucoup du milieu où l’on vit, et pour Kheza ce fût un peu plus compliqué. Lorsqu’on le demande comme elle l’a vécu: « Honnêtement, ça dépend de là où j’ai vécu et de la tolérance de chaque milieu. Quand je vivais à Arras, dans le nord, ce n’était pas simple. Il y avait beaucoup de racisme, notamment envers ma grand-mère qui venait me chercher à l’école. Même si j’avais des copines je ne me sentais pas vraiment intégrée. En sixième, un garçon m’a traitée de “negro” en me regardant droit dans les yeux. J’en ai parlé à ma professeure, qui m’a dit que ce n’était pas grave, juste une blague. » (Kheza) Après avoir déménagé à Toulouse, tout allait relativement mieux car le cosmopolitisme y règne plus que dans le Nord.
Faire un choix
La question qui revient couramment c’est également « Du coup tu te sens plus proche de quelle origine, de quelle culture ? ». L’injonction à trouver sa place dans un monde dichotomique. Cette question travaille beaucoup en grandissant et pourtant, la réponse est simple, tout comme les métis, nous ne sommes pas obligés de choisir.
La recherche d’identité nous travaille à différents âges. Il y a l’âge où on veut faire partie et l’âge où, grandi, on cherche à se construire en s’affirmant.
J’ai vécu entourée d’enfants blancs et avec une éducation qui n’était que peu empreinte de multiculturalisme. Cependant, on me collait toujours l’étiquette d’étrangère, d’exotique, …
S’ajoute à cela le cas inverse, les cas de figures où nos réponses à la question récurrente ne correspondent pas aux attentes de ceux qui nous interrogent sur nos origines. Le témoignage d’Emma sur ce point, m’avais énormément touchée :
« J’ai toujours été perturbée par le fait que mes origines – dont je suis si fière – se voient si peu physiquement. Je me suis, par conséquent, toujours demandé si j’avais une quelconque légitimité à me sentir attachée à certaines cultures noires (en particularité à la culture malienne) alors que physiquement je ressemble au cliché de la grande blanche, sans formes abondantes, blonde aux yeux bleus. Avais-je la légitimité, plus jeune, de me revendiquer liée à l’Afrique ? L’ai-je aujourd’hui ? »
Le fil conducteur était sa légitimité ou non, de se revendiquer liée à l’Afrique. Puisque le physique ne trahissait pas cette partie de son héritage, avait-elle le droit ? Et surtout, quel regard auraient les autres sur son positionnement ?
« Je me suis toujours interrogée sur mon droit (ou mon non-droit) à revendiquer un attachement à ces cultures. Est-ce que, ce que je considère comme de « l’exotisation » venant de nombreuses autres personnes, ne pourrait pas, également, être considéré comme incongru venant de moi ? Est-ce que, moi, enfant, j’aurais pu m’autoriser à me faire des tresses revendiquant alors une appartenance passée ? Les cheveux sont des symboles… Que de souffrance pour ma mère et mes tantes, mais, pour moi, quelle signature cela aurait été ? Si j’avais osé porter un habit en wax ou dans une autre matière, cela n’aurait-il pas été considéré comme de l’appropriation culturelle ? » (Emma)
Par conséquent, elle se sert de son privilège pour faire avancer la cause, et ce via des travaux associatifs et professionnels. Mais malgré cela, elle se questionne constamment sur le même point.
« Il y a vraiment un grand questionnement en moi : celui de ma place dans la lutte anti-raciste et dans la valorisation de cette culture dont je suis issue, alors que j’ai un whitepassing si bien conforme. Je sais qu’il faut laisser la parole aux véritables concerné-e-s mais je sais également que je suis beaucoup plus intéressée par ces questions sociales que certaines personnes racisées de ma famille. Je sais que, autour de ces questions, je ne suis pas victime, et je m’efforce de n’enlever la parole à qui que ce soit. Mais il est parfois, je l’avoue, compliqué de prendre suffisamment de recul alors que j’ai grandi accompagnée par le filigrane d’une culture africaine et bien que le hasard de la génétique ait fait que je ressemble à ce à quoi je ressemble. Je ne veux pas parler à la place des concerné-e-s, je veux juste aider car ces questions font partie de moi (autant grâce à mon éducation que biologiquement). Je ne veux pas revendiquer une place qui n’est pas la mienne, je veux juste être une alliée. Toutes les raisons qui me poussent à militer sont motivées par qui je suis et d’où je viens. […] . Je sais, cependant, que, quand j’explique à certain-e-s militant-e-s mes origines, ils ont plus de facilités à accepter mon opinion et mon aide que celles d’autres allié-e-s » (Emma)
Une fierté
Aujourd’hui c’est une immense fierté pour nous. Tel est ce que j’ai retenu de nos échanges. Nous toutes nous savons chanceuses et sommes reconnaissantes de cette richesse.
« J’ai toujours été fière de ces origines et j’ai toujours adoré découvrir cette culture malienne via mon grand-père ou d’autres membres de ma famille. C’est une culture pleine de générosité qui me parle particulièrement. Je me suis, d’ailleurs, toujours sentie plus proche de cette culture que mes frères et sœurs qui, pourtant, sont plus typés que moi. […] Une chose est sûre : j’ai toujours été fière de qui j’étais, j’ai toujours été fière de dire d’où je venais, j’ai toujours été fière de cette partie de moi.» (Emma)
Nos héritages africains nous poussent à nous pencher un peu plus sur ce continent si riche. Nos pays d’origines respectifs sont présents dans notre sang qu’on le veuille ou non. Comme dirait Kheza, nous n’avons qu’un quart de sang noir, et pourtant il a une immense influence sur notre vie.
Une force
Nous nous savons chanceuses. Epargnées dans une mesure certaine du racisme, nous cherchons à nous grandir de tous ces éléments.
Je souhaitais terminer sur les mots de Kheza, emprunts de justesse :
« Ce qui est assez déstabilisant c’est que nous n’appartenons à aucun groupe. Nous ne sommes ni blancs ni noirs. L’avantage des quarterons c’est que nos parents sont déjà métis, ils ont déjà vécu certaines situations, et peuvent nous guider, nous accompagner et nous comprendre. On retrouve notre double appartenance dans notre famille proche. Nous nous adaptons constamment, devenons des sortes de caméléons ce qui est un avantage à l’âge adulte, car cela nous forge le caractère. C’est une énorme richesse. » (Kheza)
« En tant que métis, nous sommes un symbole de réconciliation ou de lien entre plusieurs cultures. » (Kheza)
Louise Bruyere
Merci à Kheza Sagniez, Emma Tricoire et Flora Malouf d’avoir cru en ce projet photographique à thème. Merci à Eléonore Couturier d’avoir joint son témoignage aux nôtres. Et merci à Mathilde Bach (@diloar_) d’avoir si bien saisi ces instants de sororité, d’avoir été respectueuse de A à Z (jusqu’à la retouche qui n’altère pas la carnation) en nous prenant en photo.
P.S : écoutez la chanson « Métis » de Gael Faye
PS: magnifique chanson 😉
Bravo pour ce magnifique articles, ces précieux témoignages et votre justesse. Ce projet est très inspirant et apaisant, aussi !