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Côté ciné #13 : LETO (2018)

« The Passenger » de Iggy Pop commence à jouer en fond…

Personnellement, je sais que j’adorerai ou non un film dès le premier quart d’heure. Si, dans ce temps imparti, le film ne me retiens pas, je peux aisément dériver vers un état de non-attention qui sera fatal pour mon appréciation du reste de l’oeuvre. Mais il est rare qu’un film m’accroche autant que Leto dès les premières scènes, un film russe réalisé par Kirill Serebrennikov et sorti en 2018, dont je vais vous parler aujourd’hui.

Côté scénar’ 

Leningrad, URSS, un été du début des années 80. Des jeunes entrent par la fenêtre d’une salle de concert privée malgré l’interdiction. Ils veulent assister à un concert de rock, cette « musique de l’ennemi américain » tant convoitée par une part de la jeunesse soviétique en manque d’émancipation et en plein conflit générationnel avec leurs aînés. Dans ce monde de l’interdit où être jeune se résume à éviter les pièges et les restrictions (ce qui rappellerait une certaine époque), des disques de David Bowie et de Lou Reed s’échangent sous le manteau et une scène musicale underground fourmille.

Cette nouvelle génération, nourrie d’idéologie hippie et bohème, se réunit dans de vastes espaces naturels pour jouer de la musique, fumer, et créer des souvenirs. Ce sont ces mêmes jeunes qui vont changer le cours de la musique en Union soviétique. On suit plus précisément l’histoire de Viktor Tsoï, 19 ans, musicien bohème qui développera une relation avec Mike Naoumenko, 26 ans, et sa femme Natalia, une relation qui sera parsemée (si ce n’est noyée) de musique.

Un élément étrange du film, sur lequel chacun.e a sa théorie, est l’homme à lunettes. On ne connaît rien de lui, si ce n’est qu’il apparaît à la fin de chaque scène musicale pour annoncer que le moment de joie et de libération musicale auquel nous venons d’assister « n’a pas eu lieu ». S’en suit un retour en arrière dans lequel nous suivons la « vraie » scène, dans laquelle les personnages ne chantent pas, ne dansent pas, restent normaux.

Cet homme à lunettes ne fait pas réellement partie de la diégèse, c’est-à-dire l’univers interne du film, les autres personnages ne le remarquent pas vraiment et lors de ses apparitions, il brise le quatrième mur et s’adresse directement à nous.

J’ai bien ma théorie sur l’utilité de ce personnage, mais je vous laisserai me dire la votre après visionnage du film.

Côté réalisation : Le film est entièrement tourné en noir et blanc. Je sais, ça peut paraître surprenant après vous avoir tant parlé de l’aspect musical, coloré et joyeux du film. Mais ce choix de la part du réalisateur sert bien le film, lui donnant un aspect qui nous rappelle tout du long que, malgré la musique et la vie, ces jeunes sont coincés dans un monde qui ne veut pas d’eux, un monde froid, monolithique, soviétique. Et en plus, les films en noir et blanc, c’est bien plus sexy !

Côté musique :

C’est la première fois que je décide d’ajouter cette catégorie à un article, et pour cause, la musique joue un rôle trop évident dans ce film pour ne pas y consacrer un paragraphe. Je vous ai mentionné plus haut l’existence de scènes musicales constituant des moments de « joie et de libération ». Ces scènes seront sûrement celles que vous retiendrez le plus du film. Véritables clips internes au film, elles reprennent chacune des titres célèbres de l’époque (comme « Psycho Killer » de Talking Heads) à la façon d’une comédie musicale. Les personnages chantent, dansent et les paroles des chansons s’écrivent à la craie sur l’écran, accompagnées de dessins en tout genre rendant ces scènes vivantes au possible et visuellement impeccables.

La nostalgie d’une époque que l’on a pas connue, et qui ne correspondait en réalité sûrement pas l’image idéalisée que nous en avons, reste un élément puissant dans la création d’émotions fortes. Des simples notes de synthé, et nous voilà emporté.e.s dans les couleurs pastel des années 80. Et ce film, pourtant tourné en noir et blanc, nous évoque bien plus de couleurs chaudes et douces que beaucoup de films en couleur.

À travers ce film, Serebrennikov nous offre une ode à l’élan libertaire d’une jeunesse qui ne peut pas s’exprimer librement, ni même vivre comme elle le souhaite réellement, mais qui pourtant arrive à exister, à se construire et même à marquer l’histoire à sa façon. C’est pourquoi je pense que ce film résonne encore aujourd’hui avec notre génération.

Rayane Hocini