Depuis 2018, les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver comme d’été ont élu domicile en Asie. Pyongyang et Séoul, puis Tokyo et bientôt Pékin, le continent asiatique est devenu le terrain de jeu des délégations du monde entier. Pour des performances sportives mémorables mais également des accroches diplomatiques et politiques remarquées. Taïshan revient sur les événements qui ont marqué la quinzaine tokyoïte.
La remise des médailles de l’épreuve féminine de cyclisme sur piste débute. Sur la plus haute marche du podium, et cela sera le cas à trente-sept autres reprises, la délégation chinoise exulte. On le croyait pourtant mort et enterré mais c’est bien Mao Zedong qui se joint à la traditionnelle photo de remise des breloques. La raison ? Les deux championnes chinoises, Bao Shanju et Zhong Tianshi, portent un pin’s à son effigie sur leurs poitrines. Une manière marquante de rappeler leur fidélité au régime de Xi Jinping, l’actuel dirigeant chinois, qui multiplie les marques d’attention à l’ancien leader de « l’Empire du milieu ». L’événement agite les débats jusqu’en Chine, où les télévisions d’État relaient les images, et évidemment au sein du Comité Internationale Olympique (CIO). Pour l’organisation, impossible de laisser passer un tel épisode qui va à l’encontre de l’article 50 de la Charte olympique. Celui-ci stipule « qu’aucune sorte de démonstration ou de propagande politique n’est autorisée aux JO ». Un article, aujourd’hui, largement débattu à l’heure où les Jeux sont devenus éminemment (géo)politiques.
L’Archipel devenu centre du monde
Ils devaient symboliser les « Jeux de la renaissance » après la catastrophe tragique de Fukushima. Ils ont représenté les « Jeux de l’ère post-Covid ». En juillet 2011, soit cinq mois après Fukushima, le Japon présente sa candidature pour l’accueil des Jeux olympiques et paralympiques de 2020. Portée par le gouverneur de Tokyo Shintarō Ishihara, la candidature est plébiscitée par le comité du CIO en 2013. Ces Jeux incarnent alors, dans l’imaginaire collectif japonais, le rebond après le drame du tremblement de terre et de la catastrophe nucléaire de mars 2011. Ils revêtent également une importance sur le plan sportif avec l’objectif affiché de consacrer les progrès du sport japonais après les Jeux de Londres en 2012 et de Rio en 2016. Une timide onzième place à Londres avec sept médailles d’or glanées puis une sixième place et douze médailles d’or remportées à Rio, le Japon rêve plus grand.
Oui, mais voilà qu’en décembre 2019, le monde se fige. La Chine détecte – officiellement – ses premiers cas de coronavirus. L’engrenage mortel est lancé. Trois mois plus tard, l’OMS déclare que « le coronavirus a atteint le stade de pandémie ». Chaque pays compte ses morts et les frontières se ferment peu à peu. Le Japon, alors dirigé par Shinzo Abe, opte pour une stratégie pour le moins audacieuse. L’obsession de préserver l’économie prime sur la situation sanitaire. Avec sa campagne « Go to travel », le Japon décide tardivement de fermer ses frontières aux touristes chinois. La stratégie choisie par Abe a, peu à peu, raison de sa popularité. Le 24 mars 2020, le CIO – en accord avec les autorités nippones – décide du report d’un an des JO de Tokyo. Quelques mois plus tard, l’emblématique Premier ministre japonais Shinzo Abe démissionne de son poste, pour des raisons de santé. Son porte-parole au gouvernement, Yoshihide Suga, lui succède, le 15 septembre 2020. Il va devenir un personnage central de l’organisation des JO. À mesure que les mois passent et que les Jeux se rapprochent, la popularité de cet événement s’effrite alors que la pandémie de COVID connait une résurgence. En parallèle, un scandale éclabousse le comité japonais d’organisation des Jeux. Son Président, Yoshiro Mori, démissionne après que ses propos sexistes aient choqué le pays. « Les femmes parlent trop en réunion », déclare-t-il. Le désamour entre les Japonais et les JO se consomme.
En mai dernier, trois mois avant l’ouverture des Jeux, la panique s’empare du Japon. Une quatrième vague épidémique frappe l’archipel. Libération consacre un dossier entier à l’événement avec un titre évocateur : « Les JO, KO ? ». L’opinion publique japonaise se fracture. Un sondage du quotidien Yomiuri montre que 60% des habitants de l’Archipel souhaitent une annulation des Jeux tandis qu’une pétition en faveur d’un renoncement à l’événement recueille 300.000 signatures en quelques jours. Mathilde.L, étudiante en 2ème année à Sciences Po Lille et bénévole au sein du Club France à Tokyo, confirme cette dynamique : « Les Japonais étaient contre les Jeux. Ils avaient l’impression que les JO étaient maintenus uniquement pour des raisons économiques et financières qui les dépassaient. Le patron du CIO, Thomas Bach, se montre pourtant imperméable aux désirs du peuple japonais. Quelques jours après sa réélection à la tête de l’organisation, il lâche : « La question n’est pas de savoir quand se tiendront les Jeux, mais comment », avant d’abonder : « Les Jeux olympiques et paralympiques seront l’emblème de l’espoir et de l’optimisme » au moment d’entrer dans l’ère post-COVID. Sur place, les mesures prises durant la compétition sont drastiques. Alors que deux mois avant l’ouverture, la catégorie des + de 65 ans était l’unique autorisée à la vaccination et que seulement 1% d’entre eux étaient vaccinés, les autorités redoutent une flambée épidémique. Mathilde.L nous raconte : « L’arrivée sur place a été très spéciale. Le Japon a mis en place une bulle sanitaire très stricte pendant plusieurs mois. Toute personne arrivant au Japon n’avait pas le droit de prendre les transports en commun pendant quinze jours. Ces personnes devaient prendre des navettes spéciales entre l’hôtel et le club France ». Au fil de la quinzaine olympique, l’opinion japonaise évolue et l’attention portée à l’événement augmente. Les Japonais se prennent aux Jeux : « Il y a eu une évolution de mentalité au cours des JO, pas uniquement due à l’obtention de médailles mais plus car les Japonais avaient l’impression que la vie d’avant reprenait son cours. D’ailleurs, la mentalité et l’esprit des Jeux Paralympiques ont beaucoup plu aux Japonais ».
« Thomas Bach était parfaitement dans son rôle. Il voulait aller au bout de sa mission, à savoir organiser les JO. En revanche, il s’est montré particulièrement ferme en écartant systématiquement les hypothèses de nouveau report et d’annulation et cela a permis le maintien des JO. Le CIO a eu une influence incontournable dans la tenue des Jeux », Carole Gomez, directrice de recherche en géopolitique du sport à l’IRIS.
La reprise épidémique vient ternir un bilan olympique très enthousiasmant pour le Japon. Sur le plan sportif, le pays continue sa progression en montant sur la troisième marche du podium avec vingt-sept médailles d’or obtenues. Malgré tout, la gestion de la pandémie a été décriée par une partie de la population. Ces Jeux revêtaient une importance particulière pour Suga qui savait que sa réélection à la tête du Parti libéral-démocrate, et donc au poste de Premier Ministre, dépendait de la gestion des Jeux. Le 3 septembre, deux jours avant la clôture de cette parenthèse olympique, il a surpris son monde en annonçant qu’il ne serait pas candidat à sa propre réélection. Le Japon plonge ainsi dans une nouvelle période d’incertitude sur le plan politique, avec un nouveau dirigeant attendu d’ici la fin du mois.
Des Jeux reflets de l’échiquier géopolitique mondial
Les Jeux Olympiques à peine terminés, le décorticage du tableau des médailles a permis de dégager certaines tendances, et notamment le match que se sont livrés les États-Unis et la Chine pour la première place du classement. Au cours des derniers jours de compétition, les Américains ont remporté de précieuses victoires en golf masculin et féminin ainsi qu’en basket pour remporter trois médailles d’or, leur permettant de récupérer la première place du classement face à la Chine. En se présentant à Tokyo, les États-Unis n’ont plus perdu la tête du classement des médailles depuis les Jeux de 2008, à Pékin. C’était au profit de la Chine. Depuis 2004, à Athènes, les deux pays se livrent bataille pour remporter le tableau des médailles. Ces Jeux de Tokyo opposent, une nouvelle fois, les deux grandes puissances dans un contexte géopolitique particulièrement tendu. Au cours de l’année 2020, les dirigeants des deux pays ont multiplié les attaques frontales. Et puis, en mars 2021, il y a eu cette rencontre en Alaska, à Anchorage, qui a mis en lumière le climat délétère qui règne entre les dirigeants des deux pays. Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, a fait part « des inquiétudes profondes des États-Unis au sujet de la répression des Ouïghours ainsi que de la politique chinoise expansionniste à Hong Kong et à Taïwan ». Bien loin de la « diplomatie du ping-pong » qui avait permis en 1972 aux États-Unis et la Chine de se rapprocher grâce au à une rencontre sportive des deux pays, Carole Gomez, directrice de recherche en géopolitique du sport à l’IRIS, nous rappelle l’influence du sport à l’échelle géopolitique : « Le sport est un domaine investi pour s’affronter pacifiquement et est devenu un véritable outil de soft power », puis enchaine : « La Chine dispute toutes les compétitions internationales avec le même objectif : les remporter. Elle veut montrer que son modèle sportif est dominant et qu’il peut s’imposer comme tel ». À Tokyo, cette confrontation était tout de même loin de rappeler l’opposition USA-URSS du temps de la guerre froide.
Cette compétition était l’occasion de voir à l’oeuvre non pas la délégation russe mais le ROC – pour Russian Olympic Committee. La présence des athlètes russes sous la bannière ROC résulte des sanctions infligées par le Tribunal Arbitraire du Sport (TAS) envers la Russie après le scandale de dopage organisé par l’État russe au cours des Jeux d’hiver de Sotchi. Entre le 17 décembre 2020 et le 16 décembre 2022, la Russie purge ces sanctions et ne peut concourir aux compétitions internationales avec sa délégation habituelle. Le temps des quinzaines olympiques et paralympiques, la Russie a donné l’impression de se rassembler. La campagne sur les réseaux sociaux autour du #WeWillROCyou a donné le sentiment d’une union au sein de la Russie. Une idée que nuance, tout de suite, Carole Gomez : « Du peu que j’ai pu voir, je n’ai pas vu d’éléments attestant d’une forme de rassemblement au sein du pays russe. La Russie fait de toute compétition, un porte-voix pour dénoncer des positions politiques qu’ils ne pourraient dénoncer sur un certain nombre de sujets en dehors du sport. Disons qu’ils se sont fait entendre ». Interdite d’hymne, de drapeau et de délégation, la Russie a tenu son rang sur le plan sportif avec vingt médailles d’or glanées et soixante-et-onze médailles au total. Dans un pays fracturé par la politique menée par Vladimir Poutine et remué par les actions de la bande d’Alexeï Navalny, l’enjeu pour le Kremlin était de fédérer le pays derrière sa délégation. À quelques semaines d’élections législatives décisives pour Poutine mais, pour beaucoup déjà jouées d’avance, nous verrons si le sport peut avoir une influence sur le résultat du scrutin.
À Tokyo, la Biélorussie, qui ne peut jouir à l’échelle internationale que du rare soutien de la Russie, a fait un pas de plus vers l’isolement. Le 2 août dernier, le pays, dirigé depuis vingt-sept ans par le dictateur Loukachenko, a suscité l’ire de la communauté internationale. Alors qu’elle s’apprête à prendre le départ de l’épreuve du 200 mètres, la championne d’athlétisme, Krystsina Tsimanouskaya, affirme recevoir des pressions des dirigeants biélorusses voulant la rapatrier de force au pays. Quelques jours plus tôt, dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, la sprinteuse dénonce ouvertement sa fédération d’athlétisme. Un écart que ne tolère pas l’entourage d’Alexandre Loukachenko qui s’attache à réprimer tout élément de dissidence émanant de son pays, depuis août 2020. Une date qui a marqué un tournant dans la politique de répression du régime biélorusse après que Loukachenko ait été réélu – grâce à des fraudes massives – pour un sixième mandat consécutif et que des protestations conséquentes se soient organisées. Depuis près d’un an, la communauté internationale garde un oeil avisé sur les agissements du régime, d’autant que les cas de répression se multiplient avec l’affaire Svetlana Tikhanovskaïa et Roman Protassevitch. Cet événement présente un véritable basculement comme nous l’explique Carole Gomez : « Cela fait quelques temps qu’on parle de la Biélorussie. Rappelez-vous, en janvier dernier, l’organisation du championnat du monde de hockey avait été retirée à la Biélorussie. L’Estonie avait fini par organiser, seule, la compétition, en juin dernier. On sait ce qui se passe en Biélorussie. Le cas biélorusse n’était plus à l’agenda de la communauté internationale mais est revenu au centre des débats suite à Tokyo. D’ailleurs, un certain nombre de pays ont pris position et la Pologne a décidé d’accueillir l’athlète ». Un autre pays, dans le viseur de la communauté internationale, est resté fidèle à son image de « pays ermite », la Corée du Nord. Optant pour un boycott, le pays a avancé le prétexte de la situation sanitaire pour légitimer son choix de ne pas envoyer de délégation à Tokyo.
Réfugiés politiques et règle 50
Pour la deuxième fois de l’histoire des Jeux, une équipe de réfugiés a pu former une délégation à part entière. Créée en mars 2016, la ROT – pour Refugee Olympic Team – s’inscrit, selon le CIO, dans « une lutte face à la crise mondiale des réfugiés et pour transmettre le message de solidarité et d’espoir à des millions d’athlètes réfugiés dans le monde ». Elle comptait dix athlètes pour sa première participation à Rio, en 2016. L’effectif s’est élargi pour sa participation à Tokyo avec quarante-six athlètes concourant dans neuf sports différents. Deux athlètes afghans étaient présents aux Jeux, dans un contexte politique très dur pour le pays en proie à l’arrivée au pouvoir du régime taliban.
Il y a aussi eu d’intenses polémiques quant à la règle 50 du CIO. L’apolitisme du mouvement olympique est un principe fondateur des Jeux Olympiques et Paralympiques. Une neutralité largement remise en cause à Tokyo, et notamment par Estelle Brun qui, dans un article pour l’IRIS, estime que « les sportives et sportifs méritent d’avoir une liberté d’expression sur les terrains ». Plusieurs événements ont fait exploser en vol l’article 50. Les joueuses de l’équipe féminine olympique de football de Grande-Bretagne ont décidé de poser un genou à terre pour lutter contre le racisme. Un acte honorable qui montre tout le paradoxe de cet article 50. Le CIO prétend lutter contre les discriminations mais empêche toute expression de convictions politiques sur un terrain ou dans un gymnase. Quand on sait à quel point le sport peut-être un formidable vecteur de messages positifs, l’ambiguïté de la position du CIO mérite d’être questionnée. On se souvient également d’un combat de Judo qui a mis le feu au poudre entre l’Algérie et Israël. Fethi Nourine, judoka algérien, a refusé de monter sur le tatami pour éviter d’avoir à combattre un judoka israélien, en raison de ses positions politiques sur la cause palestinienne. Il y a quelques jours, la Fédération Internationale de Judo (IJF) a décidé de le suspendre dix ans avec son entraineur.
« Un boycott sportif et suivi tel que connu en 1956, 1976, 1980 et 1984 est parfaitement impossible puisqu’on est plus du tout dans une logique de bloc et les conséquences pour les pays qui ne participeraient seraient très importantes. Par contre une question reste en suspens : tous les chefs d’État vont-ils se rendre à la cérémonie d’ouverture des prochains Jeux d’hiver ? », Carole Gomez.
La parenthèse olympique et paralympique se ferme à Tokyo. Une autre s’ouvre pour les Jeux olympiques d’hiver de janvier 2022. Ils auront lieu, une fois encore, sur le continent asiatique. Après la co-organisation des deux Corées en 2018, c’est au tour de Pékin d’accueillir. Des Jeux qui s’annoncent sous haute tension après que Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, et le Parlement européen aient annoncé vouloir boycotter l’événement. La (géo)politique devrait encore se mêler des JO. Reste à savoir si elle se cantonnera à une simple histoire de pin’s.
Hugo Forques, étudiant à Sciences Po Lille en master ASC (Analyse des sociétés contemporaines)