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À la Défense, un candidat maladroit avec sa gauche

Il aura fallu attendre le dernier week-end de campagne pour assister au premier – et seul – grand meeting du président-candidat Emmanuel Macron. Plus de 29.500 personnes étaient présentes, parmi elles des Jeunes avec Macron (JAM) galvanisés, tous les ministres actuels ainsi que C. Estrosi, E. Woerth, R. Muselier, J-P. Raffarin, E. Philippe, M. Valls ou encore J-P. Chevènement. Tout au long de son discours, Emmanuel Macron n’a cessé de défendre son bilan, d’assumer son virage à droite et de flatter l’électorat social-démocrate de gauche qui l’avait soutenu en 2017. Un appel à la « mobilisation générale » nécessaire à quelques jours du premier tour qui devrait signer une abstention massive et des scores historiques pour les forces d’extrême-droite.

C’est au sein d’une Défense Arena noyée au milieu des gratte-ciels de l’Ouest parisien qu’Emmanuel Macron a tenu son seul grand meeting de sa campagne. Une campagne définitivement réduite à quelques jours, d’abord par une énième vague de contaminations au Covid-19, puis par l’agression militaire de Vladimir Poutine en Ukraine. Aucun débat, peu d’interviews, quelques rares déplacements : il était urgent de tenir ce meeting, risquant un recul des intentions de vote à son encontre.

Tel fut d’ailleurs le mot d’ordre tenu par le candidat à sa réélection : « Je veux la mobilisation générale, la volonté et l’action », estimant possible une victoire de Marine Le Pen, martelant en outre au public de « ne pas croire les sondages ». Emmanuel Macron s’est posé comme l’adversaire de l’extrême-droite, outré que « personne ne relève jamais leur incohérence » lorsqu’ils « tiennent les pires discours complotistes ». Plus que l’extrême-droite, le candidat cible – sans la nommer – Le Pen, « qui se dit patriote tout en se faisant financer par l’étranger ». C’est ce qu’attendait une grande partie du public. Rencontrée parmi les 29.500 spectateurs, une ancienne magistrate âgée de 70 ans me confiait être « émue » de voir de nombreux jeunes présents lors du meeting, une « source d’espoir contre l’extrême-droite qui menace notre démocratie ».

Un discours mobilisateur, au cours duquel le candidat partage sa vision d’un pays « productiviste » et sa volonté « d’entrer dans une nouvelle époque », sans oublier de faire l’éloge de son bilan. Le virage à droite est assumé : E. Macron suggère « qu’il n’y a pas d’État providence s’il n’y a pas une France qui produit » et « assume de dire qu’il faudra travailler plus ». Les applaudissements dans l’Arena étaient bien moins intenses que lors d’autres moments. Celui soutenu par E. Woerth et C. Estrosi justifie comme à son habitude cette proposition « parce que nous vivons plus vieux », argument pourtant battu en brèche par des économistes qui pointent du doigt les différences sociales de mortalité. L’actuel locataire de l’Élysée a aussi affiché sa volonté de « réformer le marché du travail (…) et de donner plus de liberté à tous nos entrepreneurs ». En 2 h 30 de discours, pas une seule annonce n’a été faite au sujet d’une quelconque revalorisation salariale de la fonction publique.

Un projet de “progrès social”

Mais Emmanuel Macron n’ignore pas qu’une partie non-négligeable de sa base électorale se conçoit comme appartenant de gauche. Une enquête de l’Ifop, en Juillet 2021, révélait que 46 % de l’ensemble des électeurs d’E. Macron se classait comme tel. Mais ces derniers apporteraient-ils leur voix dès le premier tour à un candidat souhaitant reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans ? À moins d’une semaine du scrutin, Macron ne veut pas se fâcher avec sa gauche, quitte à abuser des flatteries à cet électorat : le candidat souhaite une « France de la parité, de l’écologie, du progrès » en portant « un projet de progrès social » (sic) et regrettant que « l’ascenseur social reste encore trop en panne ». Inquiet de la non-représentativité de certaines idées, le candidat souhaite aussi « que la majorité prenne en compte les voix de la minorité ». La conquête de son électorat de gauche passe aussi par une critique des forces se réclamant de Jaurès « qui cessent de défendre la laïcité et bercent dans le communautarisme encourageant les mouvements indigénistes ». Était visé celui qui s’est progressivement institué comme le troisième homme de cette campagne, Jean-Luc Mélenchon (LFI), crédité autour de 15 % des intentions de vote.

« Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits » : Philippe Poutou n’était pas convié ce samedi à La Défense, mais son slogan était bien présent, emprunté par Emmanuel Macron en personne. Il faisait alors référence au scandale Orpea, révélé par le journaliste Victor Castanet dans son livre Les Fossoyeurs (éd. Fayard). Emmanuel Macron joue maladroitement l’équilibriste, enchaînant quelques minutes après sur sa proposition de reculer l’âge de départ à la retraite. Suffisant pour conserver son électorat social-démocrate ? Une femme âgée de 56 ans et travaillant dans le commercial, venue car attendant des propositions sur le logement et la jeunesse, « ne soutient pas » la proposition des retraites à 65 ans. Puis me glisse discrètement qu’elle « hésite toujours entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ». Ce samedi, Macron n’était pas seulement entouré de convaincus.

Un projet réformiste et européen

Ce discours fut aussi celui d’un président défendant son bilan. Il assume de s’être « attaqué aux vieux tabous sur le droit du travail » et soutient l’idée « d’avoir tenu (ses) promesses » dans tous les secteurs, y compris l’Éducation, la jeunesse ou la culture. À noter tout de même qu’aucune mention n’a été faite de ParcourSup. Questionné sur le bilan présidentiel, le député LREM (ex-LR) Jean-Pierre Pont me confiait que le programme de 2017 n’a « pas pu être mené entièrement » face aux différentes crises qui se sont succédé ces cinq dernières années. Le député était présent ce samedi après-midi car il estime que le président « s’est adapté aux épreuves », à l’instar de la guerre en Ukraine, premier sujet évoqué par Emmanuel Macron.

Cette guerre est l’occasion pour le candidat LREM de manifester son europhilie connue de tous : il est sans conteste le candidat le plus Européen des douze en lice dans cette élection. Il affirme avec clarté que « nous sommes une nation européenne » qui doit « s’immiscer dans le duopole qui s’installe entre les États-Unis et la Chine ». Face au retour du tragique dans l’Histoire, Emmanuel Macron défend une « Europe nouvelle », la même qu’il oppose aux nationalistes et aux forces de repli. On peut y associer Marine Le Pen, qui concevait l’Union européenne le mois dernier comme « oublieuse des peuples et dominatrice des nations ». Les 10 et 24 avril, les électeurs Français révéleront à leurs concitoyens européens leur vision de l’Europe. Pour Nathan Tumbarello, étudiant en 4A et membre des Jeunes Avec Macron, « une France forte passe inévitablement par une Europe Forte », constatant en outre que « nous sommes les seuls à porter un vrai projet d’Europe souveraine ».

Pour des étudiants de Sciences Po Lille, un discours “culotté” et “artificiel”. 

Emmanuel Macron a-t-il su rallumer sa flamme sociale-démocrate ? Ce n’est pas l’avis de Rémi Boussemart, responsable des Jeunes Socialistes du Nord et étudiant en 4A, pour qui le Président « a nourri les riches et appauvri les plus précaires » et estimant que Macron « devrait avoir un peu de décence et reconnaître que son mandat a été celui des inégalités ». Par ailleurs, les propositions du candidat sur la thématique de l’industrie ne conviennent pas à Joachim Bodelle, membre des Jeunes Républicains et étudiant en 2A. Il juge qu’Emmanuel Macron « n’est à l’évidence pas le mieux placé pour défendre nos intérêts, lui qui a bradé Alstom et ne parle que d’une chimérique souveraineté européenne ». Il pointe du doigt une « communication artificielle » de la part du candidat à sa réélection.

Maxime Bongard, militant chez les Jeunes Écolos de Sciences Po Lille et étudiant en 4A, juge son meeting « culotté et irrespectueux », un discours qui ne « peut pas réparer cinq ans de renoncements, de politiques productivistes et libérales ». Le jeune écologiste rappelle par ailleurs la présence d’une banderole dans le meeting dénonçant son « bilan criminel en matière climatique ». Yanis Ben Slimene, Président de Sciences Po Lille En Marche, considère qu’E. Macron « met en œuvre des idées de gauche ou de droite dans l’intérêt de la nation », rappelant que l’égalité Femmes/Hommes ou la transition énergétique « sont au cœur des engagements de la majorité présidentielle ».

L’enjeu de ce meeting était pour Emmanuel Macron de mobiliser ses militants, à une semaine d’un scrutin qui devrait être marqué par le plus fort taux d’abstention depuis 1958. Deux meetings politiques sont prévus à Lille au cours de cette dernière semaine de campagne : Jean-Luc Mélenchon (5 avril) et Fabien Roussel (7 avril) passeront tous deux au Grand Palais. Le premier tour se tiendra ce dimanche 10 avril. Les 48,8 millions d’électeurs sont appelés aux urnes au terme d’une campagne marquée par une succession de crises sanitaires, énergétiques et militaires. Une forte abstention rendrait l’avenir de la France et de l’Europe plus incertain, dans un contexte social, économique et géopolitique déjà miné par de fortes instabilités.

Enzo Caillaud-Coz