Le Play in Challenger de Lille a montré une fois de plus que pratiquer un sport individuel à haut niveau est mentalement loin d’être aisé. Livrés à eux-mêmes, les athlètes sont adulés et adorés…Mais demeurent profondément humains. Entre actualité et témoignages, La Manufacture revient sur les difficultés mentales qu’ils peuvent être amenés à affronter.
“Le serpent qui se mord la queue”
Ils s’appellent Simon Biles, Lucas Pouille, Adam Peaty ou Fantine Lesaffre. Ils ont tous été à un moment de leur carrière des références dans leurs sports respectifs. Ils ont, tous, confié récemment avoir terriblement souffert psychologiquement, ayant parfois même dû affronter la dépression.
Au Play in Challenger, cette tonalité résonne aussi. Bien sûr, puisque Benoît Paire a joué. Tête d’affiche du tournoi, il a eu beaucoup de mal à traverser la crise du coronavirus et s’est réfugié dans l’alcool. Il s’est ensuite entouré d’un psychologue et d’un hypnotiseur, pour aller mieux. Cependant, il peine à retrouver son niveau et ses matchs s’accompagnent régulièrement de coups de sang, de craquages.
A Lille, les résultats n’ont pas suivi. Mais il a semblé prendre plaisir à jouer aussi bien en simple qu’en double. Cette notion de plaisir est essentielle et rejaillit dans différents témoignages. Kyrian Jacquet raconte :
“J’ai eu une année très compliqué fin 2021, et toute l’année 2022 où j’ai pris très peu de plaisir sur le court. Là, l’objectif, c’est d’en prendre un maximum, de kiffer ce que je fais. Je n’étais pas dans une bonne dynamique. Je n’étais pas heureux sur le court. Ça reste mon métier. Mais c’est quand même un métier que je dois aimer, et cela ne sert à rien de continuer si je ne le suis pas.”
La vie d’un joueur de tennis professionnelle est ponctuée de blessures, de spirales négatives. Tout l’enjeu est alors de réagir, de faire le dos rond pour s’en sortir. Cette gestion des moments douloureux est éprouvante. D’autant plus lorsque l’on n’est pas au sein d’un groupe, d’un collectif et que l’on est livré à soi-même. Cette situation, Antoine Hoang (photo) l’a déjà rencontrée :
“La saison précédente a été faite de hauts et de bas. C’est plus ou moins difficile à gérer. J’ai eu beaucoup de bas jusque juillet-août 2022. Quand tu perds sur un tournoi, le temps d’attente pour jouer le prochain est assez long et tu as le temps de ruminer tout seul dans ta chambre ce qui ne va pas.
Ce n’est pas évident d’enchaîner les défaites car tu remets tout en doute. Quand, mentalement, il y a ces petites fluctuations, c’est difficile d’aller gagner certains matchs accrochés. Finalement, c’est un peu le serpent qui se mord la queue.”
Dépression et prise de poids
Le risque de voir poindre un cercle vicieux est bien réel quand les mauvaises performances s’enchaînent, que les blessures s’accumulent. Le Nordiste Lucas Pouille en a fait l’épreuve.
Il a révélé ses peines et sa dépression au journal L’Equipe, le 25 mars 2022, un jour avant les premières rencontres sur les courts de Lille. Interrogé sur cette interview et la prise de parole dans le milieu du tennis à propos de la détresse mentale de certains joueurs, Harold Mayot dévoile son point de vue :
“Les joueurs, aujourd’hui, montrent vraiment la réalité de ce que c’est que d’être joueur de tennis. Les gens oublient que c’est un sport où on est seul. Après, évidemment, on a une équipe autour de nous. Mais c’est un sport où on est seul.
Tous les autres veulent te battre et te faire couler au maximum donc il faut être prêt et fort mentalement. Malheureusement, il y a des joueurs comme Lucas -qui a été top 10 quand même- qui se retrouvent aujourd’hui très très loin. C’est une passe dure pour lui, il a eu aussi des blessures. Quand on ne joue pas, on perd les points de l’année précédente, on descend au classement et en plus de ça, on ne gagne pas un rond…“
Le Messin sait de quoi il parle. A la fin de l’année 2020, il est victime d’une grave chute à vélo, lors d’une descente. Son poignet est touché. S’ensuit une opération, qui a failli compromettre sa carrière. Arrêté pendant de longs mois, il reconnaît une « petite dépression » ainsi qu’une prise de poids. Harold Mayot poursuit :
“Le tennis est un sport extrêmement compliqué et c’est bien que la parole se libère. Cela montre aux gens, qui sont habitués à voir les grands tournois à la télé, qu’il y a une autre réalité, avec des êtres humains et des joueurs qui galèrent.
C’est bien que les joueurs comme Lucas et Benoît en parle. Le fait que ce soient Lucas Pouille et Benoît Paire intéresse beaucoup plus les médias, que lorsque c’est moi ou un joueur 500ème mondial. Je pense que cela fait très longtemps qu’on en parle. Là, le fait que des légendes du tennis français l’évoquent, ça ouvre un petit peu les yeux aux gens.”
Ils n’ont pas sept médailles aux Jeux Olympiques comme la gymnaste Simon Biles, ils n’ont pas non plus le palmarès et l’influence du nageur britannique Adam Peaty.
Mais, à leur échelle, Kyrian Jacquet (432ème joueur mondial), Antoine Hoang (334ème joueur mondial) et Harold Mayot (237ème joueur mondial) ont aussi pris la parole pour évoquer leur propre expérience.
Ils ont participé à cette prise de conscience.
Mathis Hardouin
Crédit photos : Laurent Sanson/Play in Challenger Lille