Il y a une semaine, le samedi 14 octobre, se tenait à l’issue de six jours de projections et d’expositions la remise dans la ville éponyme du prix Bayeux des reporters de guerre, prestigieuse récompense et formidable occasion de reconnaitre la valeur du travail de ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie au quotidien.
Une édition spéciale
Cette année, la cérémonie revêtait un caractère plus spécial qu’à l’accoutumée, 2023 étant en effet la trentième édition du prix Bayeux. Crée en 1994, il était à l’origine prévu comme une étoile filante, un événement unique censé accompagner les cérémonies de commémorations des cinquante ans du débarquement de Normandie le 6 juin 1944. Le lieu lui même portait une dimension symbolique lié à cet événement, Bayeux étant la première ville normande libérée, dès le 7 juin 1944, ainsi que la tribune de deux discours majeurs du général De Gaulle.
Bientôt quatre-vingt-dix ans après les faits, le rôle des reporters de guerre prend de l’importance à mesure que les témoins des événements disparaissent, les articles et photographies devenant les derniers témoignages des faits tels que leurs acteurs les vécurent. C’est tout naturellement, qu’une exposition fut consacrée aux reporters du débarquement et de la bataille de Normandie.
Clin d’oeil volontaire ou fortuit, se trouvait parmi les nominés et exposés l’israélien Edward Krapov qui photographia le conflit russo-ukrainien, non sur pellicule ou en numérique, mais sur plaque de verre à l’image des premiers correspondants de guerre en Crimée en 1853.
La photographie était d’ailleurs mise à l’honneur par le choix comme président du jury du photographe de guerre américain Don McCullin qui couvrit, entre autres, la guerre du Vietnam.
Enfin, même si la cérémonie est habituée aux invités absents car sur le front, on comptait parmi eux Nicolas Poincaré qui présidait la cérémonie les années précédentes. Il enregistra tout de même un message à destination des spectateurs dans une vidéo filmée depuis Israël.
Les lauréats
Au cours de la cérémonie, 10 prix sont décernés en presse écrite, radio, vidéo et en photographie. Voici donc les lauréats de ces « oscars du journalisme » comme les décrivit le reporter Lucas Menget qui présidait la cérémonie.
Prix jeune reporter : remis à l’australien Francis Farell pour sa série d’articles « Dans l’enfer de Bakhmut » publié sur le journal numérique ukrainien The Kyiv Independant. Lors de la remise son prix, on lui demanda d’en dire plus sur son journal, il répondit simplement que son but était « de porter la voix de l’Ukraine dans le monde » en ne dépendant d’aucune institution ni d’aucun mécène.
Son travail pour The Kyiv Independant : https://kyivindependent.com/author/francis-farrell/
Prix radio : décerné à la suisse Maurine Mercier pour avoir recueilli pour RTS et France Info dans un reportage intitulé « La double peine d’une mère victime de viols à Boutcha » le témoignage d’Ekaterina, une ukrainienne violée par des soldats russes avant d’être considérée comme une collabo par sa communauté. Au bord des larmes, Maurine Mercier déclara « Ce prix c’est pas moi qui l’aie gagnée, c’est Ekaterina. » avant d’ajouter « Ce prix, il est pour toutes les Ekaterinas et pour toutes celles qui n’ont pas osées parler. »
Le témoignage d’Ekaterina : https://www.rts.ch/info/monde/13806406-la-double-peine-dune-mere-victime-de-viols-a-boutcha-en-ukraine.html
Prix presse écrite : remporté par le britannique Anthony Loyd pour « L’otage oublié », enquête parue dans The Times ayant pour but de retrouver la trace de John Cantlie, compatriote et collègue de Loyd enlevé par l’État Islamique en 2012 avant de rentrer au service de la propagande de DAECH. Quand on l’interrogea sur l’avenir de Cantlie et sur l’impact que pourrait avoir l’enquête, il répondit « j’espère simplement que mon travail permettra de ne pas l’oublier »
L’enquête parue dans The Times : https://www.thetimes.co.uk/article/what-happened-to-john-cantlie-my-hunt-for-the-forgotten-isis-hostage-v8wt08sfg
Prix Ouest France – Jean Marin (presse écrite) : attribué à Louis Imbert pour l’ensemble de son travail sur Gaza et la Cisjordanie paru dans Le Monde, en particulier l’article « L’enfer des voyageurs palestiniens aux portes de Gaza ». Il n’a cependant pas pu monter sur scène afin de récupérer son prix, il se trouvait en effet à Gaza au moment de la cérémonie.
Ses articles pour Le Monde : https://www.lemonde.fr/signataires/louis-imbert/
Son article « L’enfer des voyageurs palestiniens aux portes de Gaza » : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/10/l-enfer-des-voyageurs-palestiniens-aux-portes-de-gaza_6137632_3210.html
Prix Amnesty International (télévision) : obtenu par une équipe internationale de CNN formée du britannique Nick Palton Walsh, de la mexicaine Natalie Gallón ainsi que des français Brice Lainé et Étienne Dupont pour leur reportage « Les gangs prennent la main dans la guerre avec la police haïtienne ». Seul Natalie Gallón et Brice Lainé étaient toutefois présents. Interrogée sur le ressenti de l’équipe lorsqu’ils étaient sur place, Natalie Gallón répondit « J’y suis allé cinq fois depuis la mort du président [le 7 juillet 2021, NDLR] et à chaque fois c’est de pire en pire »
Leur reportage au coeur de la guerre civile : https://edition.cnn.com/2022/08/09/americas/haiti-gang-violence-npw-intl-latam/index.html
Prix région Normandie des lycéens et apprentis (télévision) : ce prix fut également remporté par le reportage de CNN qui en rafla donc deux la même année. Rappelé sur scène avec sa collègue, Brice Lainé s’exprima en ces mots : « C’est un des prix les plus importants car vous [les lycéens] êtes notre avenir »
Le double nominé : https://edition.cnn.com/2022/08/09/americas/haiti-gang-violence-npw-intl-latam/index.html
Prix télévision grand format : remis aux israéliens Edward Kaprov et Daniel Fainberg et à l’ukrainien Eugene Titov pour leur documentaire Ukraine : un photographe dans la guerre diffusé sur Arte. On y suit Kaprov, dont j’ai évoqué plus tôt les photographies sur plaques de verre, à l’arrière du front ukrainien où il photographie civils et combattants. Kaprov était le seul présent à la cérémonie, vêtu comme s’il venait à peine de quitter le champ de bataille.
Le documentaire gagnant : https://www.arte.tv/fr/videos/112731-000-A/ukraine-un-photographe-dans-la-guerre/
Prix image vidéo : décerné au britannique Darren Conway pour son reportage pour la BBC « Sur l’Ukraine, ligne zéro » dans lequel il descend dans les tranchés ukrainiennes pour y suivre les combats aux côtés des soldats. Conway était malheureusement dans l’incapacité de récupérer son prix lui même car couvrant, tout comme Louis Imbert et Nicolas Poincaré, la reprise des hostilités à Gaza. Il envoya tout de même une vidéo dans laquelle il rend hommage à ses collègues reporters de guerre qui comme lui, sont près du feu.
Son reportage accompagné d’un article de son collègue Quentin Sommerville, également présent en Ukraine : https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-65028217
Prix photo : remporté par l’italo-britannique Siegfried Modola et sa série Au cœur de la rébellion birmane dans laquelle il suit des rebelles birmans dont il a pu voir jours après jours la lutte contre la dictature en place.
Son site internet sur lequel vous pourrez retrouver son travail en Birmanie mais également en France, Centrafrique, Israël… : https://www.siegfriedmodola.com/index/G0000h7rE3mPcZ0w
Prix photo du public : attribué à l’américaine Paula Bronstein pour sa série de clichés effectuée pour Getty Images intitulée Les conséquences de la guerre en Ukraine se concentrant non pas sur les combattants au front mais sur les civils ainsi que les soldats blessés ou décédés.
Sur son site internet, la série de photos lauréates : http://paulaphoto.com/a-devastating-war-in-ukraine/funeralkharkiv03lr/
Si vous souhaitez aller plus loin et suivre la cérémonie dans son intégralité, nous vous invitons à suivre le lien ci-contre : https://www.prixbayeux.org/?lang=en%2F
Hippolyte Andrieu-Rebel