Passer au contenu

Maryvonne le Brignonen défend son bilan après deux ans à la tête de l’INSP

Procès en déconnexion, institution favorisant la reproduction sociale, les griefs à l’égard de l’ENA ne manquent pas depuis sa création en 1945 par le Général de Gaulle afin de former les hauts fonctionnaires de demain. « L’énarque » est devenu au fil du temps une caricature de lui-même, renvoyant à un individu au phrasé incompréhensible pour les non-initiés. Cette vision dénonce le corporatisme régnant dans l’institution, mais traduit un profond sentiment de désaffection des Françaises et Français pour leurs élites.

A la suite de l’embrasement lié à la période des gilets jaunes, la promesse du Président de la République de supprimer l’ENA semblait constituer une méthode originale pour résoudre la crise sociale. Mais en y regardant de plus près, cette crise en 2018 traduisait aussi un sentiment d’abandon de l’État dans certains territoires. On se souvient de la violence exprimée à son égard lorsque des préfectures et des ministères furent brûlés ou attaqués au bulldozer. Ce chaos donna symboliquement l’image d’une fonction publique territoriale en déshérence, ce qui devait nécessairement nous amener à une réflexion sur la crise institutionnelle que traversait le pays. Alors comment recentrer la formation de ces futurs hauts fonctionnaires pour qu’elles répondent mieux aux attentes des Françaises et des Français ?

C’est une des questions qui a été posée à Maryvonne le Brignonen, invitée de l’Arène de Sciences Po Lille ce lundi 16 octobre. Ancienne élève de l’ENA, « une femme d’expérience et un exemple de méritocratie républicaine » selon les dires de l’ancienne Ministre de la Transformation de la Vie Publique Amélie de Montchalin, Maryvonne le Brignonen a été en charge en 2014 de mener la révolution fiscale que fut le prélèvement à la source puis nommée à la tête du service de renseignement financier TrackFin en 2019. Elle est choisie par Emmanuel Macron pour prendre la tête de l’INSP le 1er janvier 2022.

Alors l’institution a-t-elle réellement évolué dans le sens d’une plus grande diversité et d’une meilleure représentation de la population française. Éléments de réponse : Durant cette conférence, Maryvonne le Brignonen a insisté sur un certain nombre de ruptures opérées avec l’ENA, comme la suppression du traditionnel classement à la sortie du cursus. Attention cependant, il ne s’agit pas d’une grande révolution, mais plutôt d’ajustements destinés à mieux former les hauts fonctionnaires aux nouvelles problématiques qui se poseront à l’avenir dans l’action publique. On pense par exemple à l’importance de développer des compétences transversales, dans le cadre de l’action interministérielle. Or, la fin du classement facilite justement la mobilité au sein des administrations, un impensé de notre système, qui freinait l’attractivité du secteur public jusqu’alors. Mais jusqu’où doit-on aller dans cette attractivité de l’école, doit-on craindre que la plus grande mobilité entre le public et le privé décuple le risque de conflits d’intérêts. Maryvonne le Brignonen réfute cet argument. Elle se refuse à la réguler, ce qui dépasserait selon elle le rôle de l’école et devrait plutôt être pris en charge par les organes de moralisation de la vie publique comme la HATVP.

Deux ans après son entrée en vigueur, cette réforme a déjà eu quelques effets positifs, par exemple on constatait que les élèves mieux classés plébiscitaient auparavant les fonctions régaliennes. En 2023, le major de promo a choisi le poste de directeur de la Sécurité Sociale, preuve d’une plus grande importance accordée par les élèves à leurs envies, qu’à des stratégies de carrière. Il est encore trop tôt pour voir les mutations profondes de la réforme, mais de l’aveu même de sa directrice, certains chantiers seront difficiles à mener, parmi eux la réduction des inégalités sociales et géographiques de recrutement. Car les inégalités se jouent selon elle bien en amont, dans l’accès à l’enseignement supérieur. La marge de manœuvre laissée à l’INSP pour les corriger est très faible, malgré les dispositifs de démocratisation mis en place comme le Concours Talent, qui permet à une poignée d’élèves de bénéficier d’un suivi personnalisé durant le cursus. La réduction des inégalités géographiques est également au programme et permettra sans doute d’obtenir des résultats plus rapides, via une refonte du système des bourses, plus favorable aux prépas de province et une plus
grande ouverture du recrutement pour les élèves venant de la fac.

Une institution qui se veut moins corporatiste et plus ouverte sur le monde

Maryvonne le Brignonen nous a également confié sa volonté d’ouvrir l’INSP sur le monde qui l’entoure, en introduisant une politique de formation continue et aussi dans le cadre de la guerre en Ukraine à travers l’ouverture d’une académie de formation pour les élites ukrainiennes. Cette ouverture sur le monde se traduit aussi par l’entrée à l’INSP au monde de la recherche. Auparavant, les enseignants qui intervenaient dans l’école étaient eux-mêmes des hauts fonctionnaires, une tradition très française qui ne pouvait que renforcer le corporatisme. Cela restera encore majoritairement le cas, mais la possibilité pour les élèves de choisir des majeures devrait leur permettre de développer une culture scientifique. Cette introduction des universitaires va dans le sens d’une internationalisation du cursus des élèves, car la plupart des organisations internationales aujourd’hui requièrent un niveau équivalent au doctorat. Une voie d’admissibilité spéciale est d’ailleurs prévue pour les doctorants à raison de quatre places/an.

Dans l’amphithéâtre Hannah Arendt, la plupart des étudiants avaient déjà un projet d’orientation réfléchi. Ce fût l’occasion pour ceux qui souhaiteraient présenter le concours de récolter quelques précieux conseils. La réforme ayant suscité un certain nombre d’interrogations, Maryvonne le Brignonen a pu également éclaircir certains points quant aux modalités d’admission. Pas de surprise, l’exigence du concours reste similaire, même si Maryvonne le Brignonen a rassuré les élèves sur leur capacité à le réussir, la préparation leur étant offerte à Sciences Po Lille par Mathieu Caron ayant reçu son adoubement. Au niveau du cursus, le tronc commun reste majoritaire car l’objectif est bien de fournir aux élèves une culture commune qui leur sera essentielle dans toutes les professions qu’ils convoitent, par exemple il n’est pas question qu’un élève sortant de l’INSP ne maîtrise pas le fonctionnement d’une réunion interministérielle, il en va de la valeur du diplôme.

Derrière le changement de nom déjà réalisé, beaucoup de choses restent encore à faire pour que l’INSP se différencie de sa petite sœur, l’ENA. L’enjeu pour Maryvonne le Brignonen ne sera pas seulement académique, mais aussi politique, car le mandat que lui a confié le Président de la République a pour objectif de renforcer la confiance des citoyens à l’égard des hauts fonctionnaires. Cela se ressent fortement dans les modifications apportées au cursus, puisqu’une année se fait désormais hors les murs de l’INSP, avec quatre mois de stage à réaliser dans une préfecture, à l’endroit même où avait débuté il y a quatre ans la crise des Gilets Jaunes. Des préfectures symboles d’un lien qui s’est peu à peu distendu, avec une présence de l’État qui s’est faite de plus en plus inégale au fil des années sur certaines parties du territoire métropolitain et ultra-marin.

 

Ugo Jorion

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.