Lundi 23 novembre à 18h, Hugo Micheron est venu à Science Po Lille présenter son ouvrage La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen, publié en 2023 aux éditions Gallimard. Le chercheur en sciences politiques est revenu sur l’histoire du djihadisme à partir des années 1990, en s’appuyant sur une approche géopolitique du phénomène à l’échelle européenne.
Pour une construction géographique du djihadisme européen
La ligne de mire d’Hugo Micheron : s’émanciper et pousser à l’émancipation des tendances à l’analogie entre terrorisme, pauvreté et religion dans l’analyse des djihadismes européens. Le chercheur invite à tenter de cerner la dynamique militante djihadiste par une approche géographique. Ce faisant, ce ne sont ni les villes les plus pauvres, ni celles qui accueillent le plus de musulmans qui incarnent les foyers djihadistes. Les cartes s’érigent ainsi en outil d’identification et de compréhension des lieux d’implantation des djihadistes, notamment au sein de zones qui n’apparaissent pas de prime abord comme “évidentes”. Hugo Micheron s’en réfère au “manque de figure d’ensemble” de la part des pays européens, qui semblent chercher à expliquer les phénomènes djihadistes sur la base des spécificités de chaque territoire. Pourtant, des Etats comme l’Italie, territoire industrialisé partageant une histoire commune avec l’Espagne et la France sur le plan colonial, semble se démarquer quant au taux très faible de départ de ses habitants vers la Syrie. Comment expliquer alors que des pays avec un passé colonial (argument souvent mobilisé) soient peu concernés par les départs vers la Syrie ou à l’inverse que des pays comme le Danemark (d’apparence historiquement plus “neutres”) s’érigent en importants foyers ? C’est précisément en réponse à ces failles explicatives de l’approche stato-centrée qu’Hugo Micheron tente de construire une géographie du djihadisme qui dispose de sa propre logique.
Une dynamique propre au djihadisme européen : le cycle des marées
Hugo Micheron compare dans son ouvrage cette “dynamique propre du djihadisme européen” au cycle des marées. La marée haute correspond aux individus armés qui commettent des attentats et aux campagnes de terreur (telles que les vidéos d’otages). Les marées basses s’incarnent généralement dans l’échec du projet djihadiste, lorsque les partisans reculent en période de faiblesse, se reconfigurent et se réadaptent tout en maintenant une continuité dans la guerre idéologique.
Hugo Micheron distingue 3 cycles de marée haute et de marée basse dont l’analyse est au cœur de son ouvrage. En effet, l’organisation de son livre a pour objectif de faire ressortir ces cycles nommés selon les époques: les vétérans, les pionniers et les autochtones. Aux origines, les djihadistes européens sont des vétérans de la guerre d’Afghanistan et de la guerre civile algérienne. Ils interviennent dans les années 1990 et sont les premiers à diffuser l’idéologie terroriste. Pour cela, il n’est pas question de préparer des attentats mais d’organiser un réseau en Europe. C’est ainsi que des séminaires ont lieu et que des écoles hors contrats sont créées. L’objectif est donc de former les futurs djihadistes européens.
C’est alors qu’intervient le deuxième cycle. Après les attentats du 11 septembre 2001, les premiers djihadistes européens apparaissent. Ce sont les élèves des vétérans. Mais à la différence de ces derniers, les pionniers sont européens. Ils ont donc reçu une éducation européenne et connaissent les valeurs de leur pays. Dès lors, les attaques portées sont beaucoup plus ciblées, s’attaquant directement aux valeurs et aux symboles. Malgré une réaction sécuritaire de la part des pays européen, “les machines de prédication” restent en place, permettant de faire perdurer l’idéologie djihadiste.
Enfin, arrivent les autochtones. Recrutés par les pionniers, ils ont également reçu une éducation européenne mais ont vécu dans un environnement djihadisé. Il y a aussi un contexte international à prendre en compte : la création de Daech et d’un califat. En effet, contrairement à Al-Qaïda qui voulait créer une organisation de professionnels du djihad, Daech ouvre ses portes à tous ceux qui se retrouvent dans l’idéologie. Dès lors, les autochtones vont rejoindre l’organisation. On assiste au passage des cellules terroristes sous Al-Qaïda à des cellules familiales sous Daech. Une nouvelle dynamique se crée.
Colère et oubli
Le titre de l’ouvrage n’est pas anodin. Hugo Micheron cherche à traduire les réactions que nous avons face à une période de marée haute. En effet, il s’agit d’un cycle infernal de dépossession et de démobilisation. Alors que dans une phase de marée haute, les mesures sécuritaires sont importantes, durant la phase de marée basse, l’idée est d’oublier ces moments de terreur. Chaque nouveau cycle apparaît alors comme une nouveauté puisque la population s’est totalement démobilisée depuis la dernière phase. L’auteur insiste sur la nécessité de se doter d’une responsabilité intellectuelle et de ne pas écarter le sujet même s’il est difficile à entendre. L’essentiel est de ne plus être pris par surprise afin de riposter en connaissant l’organisation des djihadistes. Il convient alors de chercher des réponses et des solutions sur le long terme.
Salomé Passot et Maëva Blache