Si vous lisez une critique culinaire élogieuse, vous vantant les mérites d’un chef ou d’une cheffe, de la merveilleuse cuisine d’un petit restaurant qui vient d’ouvrir, renseignez-vous.
Depuis juin 2023, les influenceurs et influenceuses ont l’obligation d’indiquer lorsque leur contenu est le fruit d’une collaboration, mais ce n’est pas le cas pour les journalistes culinaires. Un tel vide juridique pose question lorsque l’on réalise le nombre conséquent de déjeuners presse ayant cours dans le petit milieu de la gastronomie parisienne.
Afin de s’assurer une couverture médiatique positive, les restaurants qui viennent d’ouvrir sont ainsi nombreux à faire appel à des agences de relation presse. Ces dernières conviennent des critiques culinaires lors de déjeuners offerts. Par la suite, des articles flatteurs fleurissent dans la presse, dont certains reprennent au mot près les communiqués de presse fournis par les agences.
Ces méthodes sont unanimement décriées par les journalistes culinaires présents lors du festival Boire Manger Dire. Elles questionnent la légitimité de ces derniers. De fait, elles les placent dans une situation peu confortable, où ils sont réduits à faire de la communication, à être “au service de”, sans réaliser que l’essence de leur métier est d’apporter une expertise, un jugement aux sujets traités.
Néanmoins, si de prime abord, il semble facile de jeter la pierre à ces “vendus”, journalistes de pacotilles, qui par leur travail intéressé contribueraient à une décrédibilisation de la profession, la réalité semble bien moins évidente. En effet, une conviction commune lie les différents invité.e.s présent.e.s durant ce festival: le métier de journaliste culinaire est confronté à une certaine précarité.
Recevoir un salaire mensuel, c’est pouvoir s’assurer un certain confort financier mais il y a peu d’élu.e.s. La majorité des journalistes culinaires sont ainsi rémunérés à la tâche, à la pige. Or, ce mode de rémunération est synonyme d’abus.
En 2019, dans une tribune de Libération, des journalistes pigistes dénonçaient ainsi la fragilité de leur situation économique en ces termes “ Dans de trop nombreux médias, nous sommes rémunéré·e·s à des tarifs indignes, au lance-pierre, souvent deux ou trois mois après le travail fourni.” De nombreux.se.s invité.e.s du Festival expliquent ainsi qu’ils sont obligés de “cumuler différentes casquettes” afin de boucler leurs fins de mois: auteurs et autrices de livres, chroniqueurs et chroniqueuses fooding, essayistes…
Dans ce contexte, les déjeuners presses représentent donc une opportunité économique. De plus, ces derniers offrent également des occasions de rencontres pour ceux qui n’ont pas la chance d’être intégrés dans ce petit monde. Stéphane Méjanès, journaliste culinaire indépendant, reconnaît ainsi qu’ au début de sa carrière il fréquentait ces derniers “pour réseauter, rencontrer des gens”. Celui qui a assisté aux conférences de ce festival ne peut se tromper, le monde du journalisme culinaire est un petit milieu où règne l’entre-soi. En effet, si des profils hétéroclites sont présents, les anciens et anciennes élèves de l’ESJ et de Sciences Po semblent tout de même nombreux sur le banc des invités.
De plus, à ne pas s’y tromper, nous sommes en présence d’une majorité de parisiens et parisiennes. N’a-t-on d’ailleurs pas eu la joie d’entendre cette phrase délicieuse de la part d’un invité qui semble si révélatrice de la mentalité de certains : “dans tout Paris” enfin plutôt, se reprenant très vite “dans toutes les rédactions de France”.
Néanmoins, l’on ne peut en vouloir à ces journalistes car il faut le reconnaître, ces derniers ne sont pas avares de compliments envers le terroir provincial.
N’a-t-on pas eu ainsi le privilège d’entendre Jacky Durand, journaliste à Libération, vanter la merveilleuse saucisse qu’il a dégusté “le cul dans l’herbe” lors d’un voyage en province reculée?
Finalement, si ces mots semblent durs, ils ne sauraient résumer à eux-seuls la richesse du Festival Boire Manger Dire qui s’est tenu à l’ESJ et à Sciences po Lille le week-end du 20 au 22 octobre 2023. Si le public n’était pas toujours au rendez-vous, les questions souvent posées par les futur.e.s invité.e.s à ce festival et la diversité des profils conviés, ont su éveiller l’intérêt du rare public présent. En effet, si l’on faisait abstraction de certaines personnalité.e.s qui se prennent au sérieux et parfois se contemplent un peu, l’on pouvait passer du bon temps et rencontrer des personnalité.e.s intéressantes porteuses de projets ambitieux.
L’on peut penser à ce titre à l’engagement inspirant de Manon Fleury. Cette cheffe est à l’origine avec d’autres consoeurs du projet Bondir.e . Cette association, par le biais de formations, sensibilise les étudiants et étudiantes des écoles hôtelières au sujet des agressions sexistes et sexuelles qui sévissent dans le milieu de la restauration.
Louise Duverger