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Conférence de Pierre Moscovici : les finances publiques en France

Le jeudi 12 septembre, Sciences Po Lille a accueilli, pour une des premières conférences de l’année, le Premier président de la cour des comptes, Pierre Moscovici, pour nous initier aux finances publiques. C’est en collaboration avec SPL TV que nous avons pu nous entretenir avec lui, pour comprendre un peu mieux ce qu’est « la dette publique ».

Le jeudi 12 septembre à 15h, tenter de s’asseoir en amphi Hannah Arendt était une quête vouée à l’échec. Les étudiant.e.s et le personnel de Sciences Po Lille se sont bousculés aux portes de l’amphithéâtre pour écouter Pierre Moscovici, Premier président de la cour des comptes, rendre compte de la situation des finances publiques.

Ancien député européen, ancien vice-président du parlement européen, ancien ministre, sous Lionel Jospin, puis sous François Hollande de 2012 à 2014, ancien commissaire européen, c’est non sans expérience que Pierre Moscovici prend ses fonctions de premier président de la Cour des comptes en juin 2020.

Mais qu’est-ce que la Cour des comptes ? Même en étudiant à Sciences Po, il est possible  que certaines institutions restent opaques à notre compréhension. La Cour des comptes, en fait, applique en partie, depuis 1807, l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Elle rend compte aux citoyens de la bonne gestion des fonds de l’État et « sanctionne les manquements à leur bon usage » (site de la Cour des comptes). Comme les magistratures, la Cour des comptes est indépendante des pouvoirs publics et n’est pas un organe au service du Gouvernement, ses membres ne sont pas choisis pour leurs convictions politiques. La Cour des comptes est chargée de contrôler les comptes, évaluer les politiques publiques, contrôler l’exécution des lois de finance ; en cela, elle assiste le Parlement dans son contrôle du Gouvernement. Enfin, depuis 1982 et la mise en place de la décentralisation, les 17 chambres régionales et territoriales des comptes sont des juridictions financières chargées de contrôler les comptes locaux.

Maintenant, donnons quelques définitions, pour comprendre un peu de quoi on parle. D’après le site du ministère de l’économie, la dette publique se définit par : « l’ensemble des engagements financiers pris sous forme d’emprunts par l’État, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement. La dette publique évolue constamment au rythme des remboursements d’emprunts effectués par l’État et les administrations publiques et des nouveaux emprunts qu’ils contractent pour financer leurs déficits ». Mais donc, qu’est-ce que le déficit public ? D’après le site Vie publique : « Le déficit budgétaire est un solde négatif : les recettes de l’État sont inférieures à ses dépenses au cours d’une année. Il se traduit par des emprunts nouveaux. ». Enfin, d’après l’INSEE, « Les dépenses publiques sont les dépenses effectuées par l’État, les administrations de Sécurité sociale, les collectivités territoriales et les administrations et organismes qui leur sont rattachés. »

C’est grâce à la Cour des comptes que l’on sait que notre pays surpasse toute la zone euro en terme de dette publique, qui s’élève aujourd’hui à 110% du PIB. Et pourtant, le Pacte européen de stabilité et de croissance, adopté en 1997, chargé de coordonner les politiques budgétaires au sein de la zone euro, avait prévu des sanctions en cas de dettes excessives (dépassant le seuil des 60% du PIB). En France, les finances publiques se dégradent depuis plusieurs années, d’après le Premier président de la Cour des comptes, et sa situation se fait de plus en plus « préoccupante ». En effet, la politique du « quoi qu’il en coûte » n’a pas été menée que pendant la pandémie de COVID-19, mais s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. La France s’est lancée dans cette crise avec un déficit plus important que les autres pays de la zone euro, et le fossé n’a pas cessé de se creuser depuis.

Au cours de notre entretien avec Pierre Moscovici, nous avons pu creuser la question, et comprendre davantage les enjeux liés à cette problématique :

On entend beaucoup de voix dénoncer la dette publique, mais pour beaucoup de français ça peut paraître assez abstrait, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est la dette publique, et à partir de quand celle-ci devient un problème pour un État ?

La dette publique c’est l’accumulation des déficits successifs que la France a dégagé, et il se trouve que la France a, depuis 50 ans, annuellement dégagé un déficit. Notre dette publique a fortement augmenté. Pour vous donner un chiffre, elle représentait 58% du PIB en 2001, au moment de son entrée dans la zone euro. Elle était à ce moment-là égale à celle de l’Allemagne. Aujourd’hui, en 2024, elle représente 110% du PIB, tandis que celle de l’Allemagne est à peine au-dessus de 60%. Nous avons accumulé plus de 45 points d’écart de dette publique avec notre partenaire allemand qui se trouve être l’autre grand pays de la zone euro et notre principal partenaire économique. Pour vous donner des chiffres plus concrets, que ces pourcentages de PIB, ça fait 3100 milliards d’euros, probablement 3200 aujourd’hui, et si on continue, on atteindra les quelques 120%, voire plus d’ici 2027, soit près de 4000 milliards d’euros. Et une dette c’est la même chose pour un ménage, une entreprise ou l’État ; ça se rembourse. Elle est détenue par un certain nombre d’agents et nous devons la rembourser. Donc annuellement dans le budget, on inscrit un poste qui s’appelle « le service de la dette », qui représentait 25 milliards d’euros par an en 2021, ce qui est équivalent au budget du logement, un des principaux budgets de l’État, mais pas le premier. Aujourd’hui, c’est supérieur à 50 milliards d’euros, c’est le budget de la défense nationale. À ce train-là , en 2027, ce sera supérieur à 80 milliards d’euros, plus que le budget de l’Éducation nationale qui est le principal budget de l’État. Autrement dit, nous sommes en train de créer le principal budget de l’État qui est le remboursement de la dette. Je crois qu’en réalité les français sont très lucides sur la question : 75% d’entre eux commencent à être préoccupés par notre situation financière, tout simplement parce que la dette, le déficit, c’est sur eux, sur leurs impôts que ça pèse ! Et s’il y avait un problème pour le pays, tout le monde serait concerné. Je ne crois pas pour ma part que nous soyons en risque de faillite, je ne crois pas les mauvais augures qui nous promettent le même sort que la Grèce il y a quelques années, ce sont des propos alarmistes. Mais si la dette est plus élevée, le remboursement est plus cher, comme pour un emprunt. Si les taux d’intérêts augmentent, ça commence à faire mal aux agents économiques de toute nature. Et quand la dette augmente, on se retrouve étranglé, chaque euro consacré au remboursement de la dette est un euro qu’on ne peut pas utiliser pour des questions nationales pour la sécurité sociale, pour la sécurité nationale, pour l’innovation, la recherche, pour lutter contre le réchauffement climatique. L’action publique elle-même se trouve paralysée, voilà pourquoi c’est un problème extraordinairement important et sérieux, et voilà pourquoi notre situation actuelle est préoccupante. Augmenter la dette, pourquoi pas, mais là nous l’avons laissée filer à des niveaux inacceptables.

Vous avez parlé de rembourser cette dette, en tout cas de la résorber en partie, quels seraient les recommandations de la Cour des comptes, sur quels leviers le futur gouvernement pourrait s’appuyer pour résorber cette dette ?

Déjà il faut baisser le coût de la dette, pour baisser le coût de la dette il faut mener une politique budgétaire crédible. Il faut commencer à réduire nos déficits, or nos déficits ne cessent d’augmenter, nous sommes à près de 6% du PIB en terme de déficit alors que la plupart de nos partenaires sont en dessous de 3%, c’est le cas de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande. Il faut maintenant mener une politique budgétaire sérieuse. Je souhaite que le prochain budget de la France soit voté de manière sérieuse et crédible. Comment faire ? Premièrement, on peut augmenter la croissance, parce que si vous avez plus de croissance, vous avez plus d’impôts qui entrent dans les caisses de l’État, mais n’attendons pas une croissance miraculeuse comme lors de la période extraordinaire des Trente Glorieuses qui s’est achevée avec la crise pétrolière : on n’aura pas 5, 6% de croissance, même pas 3, même pas 2. La deuxième façon, c’est de faire des économies sur la dépense publique. C’est toujours difficile, toujours douloureux, et il faut éviter l’austérité. Mais en faisant 57% de dépenses publiques dans le PIB nous sommes de loin le pays qui dépense le plus en Europe. Donc certaines économies intelligentes sont possibles sans dégrader la qualité du service publique. Je suis persuadé qu’il y a beaucoup de services publics pour lesquels on peut dépenser autant, voire un peu moins, et en améliorer la qualité. Le troisième levier, c’est la fiscalité, c’est un peu comme l’alcool, c’est bon mais il ne faut pas en abuser, il faut viser juste, et il ne faut pas éviter le débat fiscal. Certains ont inventé l’impôt sur la fortune, d’autres l’ont supprimé, la question de savoir si on ne doit pas financer par une taxe exceptionnelle la lutte contre le réchauffement climatique est posée. Ce débat n’est pas tabou. Mais ceux qui disent que l’on va faire 150 milliards d’impôts en plus ne sont pas raisonnables. J’étais un homme politique de gauche, je reste un citoyen dont les idées n’ont pas beaucoup changé, mais il faut être raisonnable sur la fiscalité, parce qu’au bout d’un moment, soit on surtaxe le citoyen et il est mécontent, soit on surtaxe les entreprises, elles arrêtent d’investir, et elles arrêtent d’embaucher. Il faut trouver la bonne jauge : en faire, mais pas trop.

Vous avez dit un peu plus tôt qu’au-delà des oppositions de droite, l’enjeu de la dette publique devait redevenir une question d’intérêt général. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?

Il y a une espèce de tradition qui voudrait, dans le débat des finances publiques, que la gauche soit dépensière, la droite économe, et que les uns seraient attachés à la lutte contre la dette publique (la droite) et les autres non. Historiquement, c’est faux, quand on regarde les 40 dernières années, une étude récente vient de le montrer, il y a eu deux périodes où le déficit s’est beaucoup réduit. La première, c’est celle pendant laquelle Edouard Baladur était premier ministre, de 1993 à 1995, et la deuxième, c’est celle pendant laquelle François Hollande était président : de 2012 à 2017. Je la connais un peu parce que j’étais ministre des finances pendant les 2 premières années de ce quinquennat, celles où l’on a le plus réduit la dette. On ne peut pas dire que la gauche et la droite soient très différentes dans la qualité de la gestion publique ce n’est pas exacte. Elles sont différentes dans les préférences. On peut se dire qu’en terme de service publique il faut davantage investir sur la sécurité, la justice ; d’autres souhaitent dépenser plus pour l’éducation, le social ; d’autres voudraient l’écologie ou la défense. Quelle que soit la préférence, on est attaché à une forme de dépense publique. Mais si on est endetté, ça ne marche pour personne !  Un État endetté ne peut investir dans aucun de ces domaines. Un État endetté est paralysé. Ce n’est pas une question de gauche ou  de droite. De droite comme de gauche, il faut réduire la dette publique.

Dernière question : pensez-vous que la France puisse tenir son objectif de dette publique équivalente à 3% du PIB d’ici 2027, comme c’est préconisé par l’Union Européenne ? Sinon, pensez-vous qu’il y aura des conséquences ?

Ce n’est pas l’Europe qui a dit que nous devions réduire la dette à 3% du PIB d’ici 2027, c’est la France qui s’y est engagée. Dans le cadre de notre appartenance à l’euro, il y a beaucoup d’autres pays qui sont bien en dessous de 3% de déficit sans avoir une situation économique inférieure à la nôtre. Au stade où nous en sommes, nous ne pouvons pas, selon moi, être en dessous de 3% en 2027. C’est une question temporelle. Si en 2023, on avait dit que nous serions à moins de 3% dans 5 ans, en partant d’un déficit à moins de 5%, on aurait eu 5ans pour passer de 5 à 3%. Ce n’est pas facile, mais la pente est douce. Aujourd’hui, nous sommes à près de 6%, et il reste 2 ans, cela veut dire qu’il faudrait faire un coup de bambou, de marteau sur les dépenses publiques, ce qui serait socialement très dur, politiquement impossible et économiquement négatif, parce que ce serait retirer des ressources à la croissance de l’économie. Je ne crois pas qu’on puisse le faire ou qu’il faille le faire. Il faut reconnaître que ce coche a été raté, on a trop longtemps prolongé ce que l’on a appelé le « quoi qu’il en coûte ». Il faudrait viser cet objectif des 3% pour 2029. Mais attention, j’ai été membre de la commission européenne, elle sera extrêmement exigeante.  Il ne s’agirait pas que de dire « 2029 », mais de dire comment on ira vers 2029. Il s’agirait de proposer des réformes, année après année, qui montrent une trajectoire crédible. Je ne crois pas que nous pourrons descendre à 3% en 2027 et je préconise même de dire la vérité, comme sur le reste. Et vous savez, une fois qu’on sera à 3%, il ne faudra pas s’arrêter non plus, il faudra continuer, il y a une sorte de compétitivité. Un État efficace, ce n’est pas un État obèse. Un État efficace, ce n’est pas un État endetté. Un État efficace, ce n’est pas un État qui génère des déficits. C’est un État qui est bien géré et qui déploie les bons services publics, ceux qui correspondent à une norme de qualité qu’attendent les concitoyens. Je préfère que ça coûte un peu moins cher et que ça marche mieux. Il y a toute une série de gaspillage dans tous les secteurs de l’action publique : l’État, les collectivités territoriales, la sécurité sociale. Je vais vous donner un exemple : l’apprentissage. Au début de la première présidence d’Emmanuel Macron, on a mis en place une politique d’apprentissage, qui était plutôt une réussite. Face à un chômage élevé, on a ouvert l’apprentissage a toute une série d’étudiants. Mais aujourd’hui, le chômage des jeunes est heureusement beaucoup plus faible. Et les apprentis ne correspondent plus à la définition exacte d’apprentis. Certains étudiants comme vous, de Sciences Po, des HEC, des normaliens, bénéficient d’apprentissages : ça peut être à l’organisme de le prendre en charge, mais pas à l’État. C’est bien, mais ce n’est pas fait pour eux ! C’est fait pour des jeunes qui n’ont pas le même niveau de qualifications, et ceux-là en bénéficient trop peu. Donc si on décidait de réduire le niveau de diplôme pour l’accès à l’apprentissage on pourrait gagner jusqu’à 7 milliards d’euros : il s’agit de faire des politiques publiques adaptées, et non pas de donner des coups de massue. J’observe d’ailleurs qu’on tape plus sur le budget de l’environnement que sur les autres alors que c’est celui sur lequel il faudrait taper le moins.

SPLTV, la Manufacture, et Pierre Moscovici
Conférence de Pierre Moscovici

Sources (Pour aller plus loin) :

https://www.vie-publique.fr/fiches/21801-quest-ce-que-le-pacte-de-stabilite-et-de-croissance-psc

https://www.vie-publique.fr/fiches/21955-que-sont-les-chambres-regionales-et-territoriales-des-comptes-crtc

https://www.vie-publique.fr/fiches/21877-quest-ce-que-le-deficit-budgetaire

https://www.economie.gouv.fr/facileco/comptes-publics/dette-publique

https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2125

https://www.ccomptes.fr/fr

Conférence de Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, 12/09/2024, Sciences Po Lille

 

Interview réalisée avec SPL TV : Valentine Duval, Myriam Nicollet, Gabriel Dubois, et la Manufacture : Lina Melhem et Hippolyte Andrieu-Rebel

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