En plus de la vingtaine d’allers-retours quotidiens Paris-Lille, le TGV s’est progressivement déployé dans les autres villes moyennes de la région. Mais depuis une dizaine d’années, le nombre de trains recule et la satisfaction des usagers aussi. A Arras, Béthune ou Douai, la desserte TGV est devenu un sujet inflammable. Retour sur une décennie de polémiques et de combats.

Relier Paris à Douai, Lens ou Béthune en environ 1h15, soit à peine plus que le Paris-Lille, c’est la promesse du TGV Nord lors de son inauguration en 1993. Une LGV qui en plus de relier les grandes villes européennes (Paris, Londres, Bruxelles) devait parvenir à désenclaver une conurbation de villes moyennes autour du bassin minier. Mais en moins de vingt ans, réductions des rotations ou augmentations des tarifs ont été autant d’embûches pour rejoindre la capitale. Il semble loin le temps du plan Freycinet, et sa construction effrénée de nouvelles voies de chemins de fer, devant permettre notamment de relier chaque sous-préfecture de France au réseau ferroviaire principal et donc à la capitale. Les statues des différentes villes de la région (Arras, Calais, Valenciennes, Douai et Dunkerque) trônent toujours sur la façade de la Gare du Nord, symbole de cet âge d’or ferroviaire. Mais la cadence des trains vers ces villes s’est depuis détériorée, au point que chaque nouveau plan de réduction de la desserte vers la capitale ou les autres villes de France suscite systématiquement la colère, aussi bien chez les citoyens que les élus locaux.
Le prix du TGV pour Paris dissuade-t-il les usagers ?
Passant de 17 allers/retours en 2002 à 10, le TGV Paris-Arras (qui irrigue ensuite les autres villes de la région) est « aujourd’hui à l’os » comme le précise auprès de la Voix du Nord Michel Cuffet, président du comité des usagers du ferroviaire à l’occasion des 30 ans du TGV Nord. Les suppressions de trains sont régulières d’année en année et suscitent parfois la mobilisation. Ainsi en 2014, la fin du cadencement à la demi-heure entre Paris et Arras suscite la colère. Elus et usagers se mobilisent lors d’un sit-in organisé à la gare du Nord (Paris). Le ton de cette manifestation en forme d’oraison funèbre est affiché sur un cercueil fabriqué pour l’occasion : TGV Paris-Arras (1993-2014). A la suite de cette mobilisation, la SNCF supprime finalement un TGV sur les deux prévus et consent à mettre en place une période d’expérimentation de 6 mois pour le train de 18h22. Michel Castets dénonce une mascarade dans La Voix du Nord. Selon lui, la SNCF aurait organisé « la désertification de ce TGV. J’ai des relevés attestant que les tarifs sur le 18 h 22 ont été gonflés de 20 à 40 %. Quand le 17 h 52 et le 18 h 52 étaient affichés par exemple à 29 €, le 18 h 22 l’était à 44 €. Alors forcément, les clients se détournent ». L’algorithme de fixation des prix du TGV est un mystère bien difficile à percer, mais l’hypothèse qu’il émet peut encore se vérifier en se rendant sur le site SNCF Connect. Les rares trains vers des villes moyennes de la région proposés en heure de pointe permettant de faire un aller-retour dans la journée voient leur prix s’envoler. A titre d’exemple, le tarif d’un voyage Béthune-Paris le 9 mai pour arriver vers 8h, réservé plus d’un mois à l’avance est de 40€, encore plus élevé que le Lille-Paris à la même heure, proposé à (seulement) 30€, alors même que cette liaison est beaucoup plus fréquentée que celle vers Béthune. Dans certains cas, il revient donc moins cher pour les béthunois de faire un détour par Lille, que d’emprunter un TGV direct.

La politique du « faire mieux avec moins »
En 2020, la SNCF met en place une nouvelle grille horaire des TGV Paris/Nord-Pas de Calais. Les principaux changements concernent particulièrement les queues de comète, c’est-à-dire les communes situées hors LGV, mais desservies par un TGV via la voie classique. Dans la région, les villes de Lens, Béthune ou Valenciennes pour ne citer qu’elles, perdent 1 à 2 allers-retours par jour après des semaines de manifestations et alors que la SNCF souhaitait totalement rayer ces communes de la carte du TGV.

Avec un à deux trains en moins sur 6 liaisons quotidiennes, on s’estime heureux d’avoir sauvé les meubles. Olivier Gacquerre, maire de Béthune et son adjoint Pierre-Emmanuel Gibson se satisfont alors auprès de La Voix du Nord : « Le TGV reliera toujours et dans d’excellentes conditions Béthune à la capitale Paris ». Il y aura peut-être moins de TGV en 2020, mais qu’à cela ne tienne, la qualité de la liaison s’améliorera : « Ceux qui seront toujours là [les TGV] seront mieux adaptés aux usages ». Une affirmation partiellement inexacte si l’on s’en réfère aux chiffres de fréquentation de ces TGV publiés là encore par la Voix du Nord. Il apparaît que les trois TGV enregistrant le plus de montées sont à 6h42, 7h19 et 10h42. Or, sur ces trois trains ne subsistent en 2020 que celui de 6h42. A la place, la SNCF a parfois pu ajouter des TGV à des horaires farfelus, par un exemple un départ à 21h57 de Béthune (avancé depuis à 21h17), alors que les statistiques démontraient que les trains en fin de journée sont peu fréquentés. Béthune, Lens et Hazebrouck semblent donc avoir été lésés sur le plan des trains allers vers Paris, y compris le week-end (plus aucun départ le dimanche avant 14h40).
A l’inverse, sur l’autre branche, du côté de Douai et Valenciennes, toutes les rotations du matin ont été conservées dans le sens aller depuis 2020. Désormais, c’est pour revenir que la situation s’est tendue. Les trains du soir sont traditionnellement les plus fréquentés, mais leur nombre a aussi été considérablement réduits (1 par heure entre 17h et 20h en 2012, et en 2025 il n’en reste plus qu’un en soirée à 18h52). Le train de 17h52 a été supprimé à partir du 2 décembre 2024, en raison « d’un accident sur un TGV en Belgique qui va immobiliser la rame pendant plusieurs mois » selon SNCF Voyageurs. Là encore, l’explication peine à convaincre. En effet, le nombre de trains engagés sur Paris-Arras (c’est-à-dire le « tronc commun » de la ligne) est resté le même. Par un jeu de chaises musicales dont seule la SNCF a le secret, un TGV supplémentaire a été envoyé vers Lille, un choix bien plus rentable et tant pis pour les valenciennois, ils attendront une heure de plus.
Horaires chamboulés, prix prohibitifs : la possibilité d’effectuer un aller-retour dans la journée, condition sine qua non de l’attractivité de ces TGV se trouve de moins en moins remplie. Avec moins de trains aux heures de pointe, on peut craindre également le renchérissement des prix, avec des usagers contraints à se diriger tous vers le même train. Reste à savoir si à plus long terme ces contraintes entraîneront un report modal vers la voiture.
Face à ces critiques, le PDG de la SNCF a déclaré dans une interview au Figaro que « le TGV n’est pas un service public ». Et pour cause, il ne reçoit aucune subvention de la part de l’Etat. Derrière ce propos choc, Jean-Pierre Farandou témoigne du désengagement de l’Etat dans sa mission de maillage du territoire à travers le TGV. Une déclaration qui fait office d’avertissement pour les collectivités locales, mais aussi d’un appel à l’action de l’Etat. Sans aucune régulation, l’opérateur historique ne pourra se maintenir à flot en exploitant des liaisons TGV déficitaires, pendant que les concurrents se taillent la part du lion sur les liaisons entre grandes métropoles. L’ouverture à la concurrence, il en sera justement question dans notre dernier épisode, certaines compagnies sont déjà dans les startings blocks.
Ugo Jorion