Après un premier reportage en février 2015 qui avait donné l’impulsion à une vague de dénonciations sur la toile, Mélanie Déchalotte passe à la vitesse supérieure et publie Le Livre noir de la gynécologie, où elle dénonce les violences gynécologiques et les mécanismes de domination patriarcale présents dans le milieu médical.
« Tu enfanteras avec douleur », disait le livre de la Genèse (3 : 16). Autrement, dit, nous, les femmes, étions déjà mal barrées au moment où Tyrannosaures et autres Vélociraptors avaient passé l’arme à gauche.
De tous temps, la douleur, la honte et l’inconfort ont toujours été perçus comme inhérentes à notre condition de femme. S’il est mal vu de parler de sa grossesse et son accouchement dans un registre autre que celui de la béatitude, il est carrément tabou d’évoquer publiquement les autres aspects du suivi médical féminin, en particulier quand l’expérience est mal vécue.
En tant que spécialité médicale qui lui est entièrement consacrée, la gynécologie devrait être un lieu de sécurité et de confiance pour la femme, un refuge face aux agressions sexistes du monde extérieur, qui plus est, quand elle l’accompagne tout au long de la vie : contraception, IVG, grossesse, accouchement, ménopause … Or, il n’est pas rare que ces moments soient le théâtre de violences et de maltraitances.
Avec son documentaire diffusé sur France Culture en février 2015, Mélanie Déchalotte, journaliste française, rompt le silence et donne l’impulsion à une vague de dénonciation sur les réseaux sociaux, la blogosphère et dans les médias. Du hashtag #PayeTonUtérus lancé par une étudiante en pharmacie (@Ondeejeune) en novembre 2014 à la page Facebook « Paye ton Gynéco », créée en janvier dernier, les témoignages se multiplient.
C’est dans ce contexte que Mélanie Déchalotte publie le jeudi 5 octobre Le Livre noir de la gynécologie. Elle commence par y définir les termes de violence et de maltraitance pour montrer en quoi cela s’applique au domaine gynécologique en s’appuyant sur divers témoignages.
Les Nations Unies définissent la violence comme « tout acte de nature à entraîner, ou risquer d’entraîner, un préjudice physique, sexuel ou psychologique », un terme qui recouvre entre autres une dimension psychique et morale (manque de respect ou dévalorisation dans le langage, menace, abus d’autorité, intimidation, infantilisation, atteinte à l’intimité …), mais également médicale (défaut de soins de base, non-information sur les traitements ou les soins, abus de traitements, non prise en compte de la douleur …).
Concernant la maltraitance, cette dernière implique une dissymétrie entre la victime, plus vulnérable, et l’auteur de la violence, et s’applique donc à des rapports de dépendance comme ceux qu’on peut observer entre un professionnel médical et une patiente.
Bien souvent, les femmes sont réduites au silence face à un personnel médical fort de la légitimité que lui confère son niveau d’études et son savoir-faire technique, à des scènes se déroulant sans témoins, à l’absence d’information, et finissent par penser que c’est ainsi que les choses doivent se passer. Pas de bol, c’est fourni avec les ovaires. Fallait pas croquer dans la pomme.
Par ailleurs, « il n’existe pas d’enquête fiable sur les violences gynécologiques et obstétricales, les conditions et la nécessité d’avoir eu à pratiquer une épisiotomie ou une césarienne », et ce, malgré la profusion de témoignages montrant qu’il ne s’agit pas de pratiques isolées.
On parle même désormais de « viol gynécologique » pour des actes médicaux pratiqués sans le consentement de la patiente, qui va avoir des réactions (passivité, consternation) et des séquelles analogues à celles de victimes de violences sexuelles : stress post-traumatique, dépression, peur de retourner en consultation, conséquences sur la vie sexuelle – voire la relation avec le nouveau-né dans le cas d’un accouchement …
De même que, parfois, on ne veut pas reconnaître qu’une personne d’apparence exemplaire a violé, on ne veut pas attribuer de tels comportements à des professionnels de santé. Après tout, peut-être que la femme « l’a cherché », qu’elle n’a pas respecté les indications. Ou bien, c’est une ingrate, tout simplement.
Se faire traiter d’irresponsable et d’infanticide quand on veut interrompre sa grossesse, subir une épisiotomie contre son gré ou des propos déplacés sur sa vie sexuelle, se voir refuser la pilule du lendemain ou imposer un toucher vaginal en l’échange d’une prescription contraceptive … autant de faits relatés dans Le Livre noir qui mettent en lumière les abus de pouvoir du personnel médical sur la gente féminine.
Mélanie Déchalotte ne se contente pas d’exposer des cas de maltraitance, de violence et de les définir comme tels. Elle montre également leurs causes et conséquences et met en lumière une violence institutionnelle et sexiste s’articulant autour d’une domination à la fois médicale et patriarcale. Le Livre noir de la gynécologie s’inscrit dans la réflexion sur la réappropriation par les femmes de leur corps, mais aussi dans un contexte plus généralisé dans lequel les patients cherchent à être davantage impliqués dans la définition de leur traitement.
Un livre qui arrive à point donc, et surtout une affaire à suivre : la secrétaire d’Etat Marlène Schlippa a demandé un rapport sur la question en juillet dernier.
Joséphine Coadou