Des étudiant-e-s trouvent que l’ambiance du débat politique est devenue détestable au 9 rue Angellier. Mais de quel débat politique parle-t-on ? De commentaires véhéments sur des publications Facebook ? De conférences d’anciens ministres ? De réunions d’informations fermées à certain-e-s étudiant-e-s ? Tout le monde sait que ce n’est pas à travers des commentaires Facebook que l’on profitera d’un débat apaisé. Que le jeu de questions/réponses dans les conférences amène plutôt les invité-e-s à étayer leurs propos pour les journalistes, qu’à susciter un vrai débat. Alors de quel débat parle-t-on ? Si vous entendez par « débat » des femmes et des hommes dans un hémicycle qui discutent d’un sujet politique il semble que l’Arène se porte très bien. Que le débat s’y fait respectueusement et sans brimades. Que chacun-e vienne défendre la position de son groupe et que chacun-e en reparte d’autant plus convaincu-e de sa position de départ.
De ce fait, ce débat concernerait-il l’invitation d’un harceleur à l’école ? La fermeture d’une réunion d’informations à des étudiant-e-s moins français-e-s que d’autres ? Le fait que des étudiant-e-s invectivent un ex-ministre sur sa politique durant ses fonctions ? Et vous voudriez que nous soyons moins véhément-e-s, plus respectueux-ses de la liberté d’expression ? Il ne faut pas tout confondre.
La liberté d’expression à tout prix
En prônant un débat à tout prix, on entre en réalité dans un relativisme qui est dangereux pour les minorités souffrant déjà des oppressions systémiques. L’ouverture d’esprit ne consiste pas à tolérer les idées discriminantes. Nombreux et nombreuses sont les étudiant-e-s ayant été choqué-e-s par les propos tenus par certain-e-s, au nom d’un débat d’idées. Il faudrait rappeler à celleux-ci que les LGBTphobies, le racisme et le sexisme ne sont pas que de simples opinions comme les autres, mais bien discriminantes et condamnables par la loi. Quand on tient des propos discriminatoires face à des personnes victimes de discriminations systémiques quotidiennes, et que l’on revendique en plus de cela le droit à être oppressif-ve, il ne faut pas s’attendre à ce que les premières personnes concernées répondent de manière calme et apaisée.
Certes, il faut pouvoir débattre. Mais il y a des sujets qui concernent des personnes directement, qui subissent des discriminations quotidiennes et pour qui ce genre de débat s’avère extrêmement blessant et d’une grande violence. On peut débattre de tout oui, mais y a-t-il débat face aux violences sexistes, sexuelles, LGBTphobes et racistes ? Il y a des idées qui ne sont pas défendables. Non, on ne s’enrichit pas forcément d’un débat face à une personne raciste, sexiste, LGBTphobe surtout quand ce débat porte sur les violences racistes, sexistes et LGBTphobes que cette personne valide.
Considérer que l’on doit accepter des avis divergents du notre, y compris si ceux-ci ne sont pas de simples avis divergents mais bien des idées réactionnaires, ne relève pas de l’ouverture d’esprit et de l’échange d’idées. Il s’agit de relativisme des idées. En tolérant des idées discriminantes, en les légitimant, en les élevant au même rang que n’importe quelle autre idée, alors on les banalise. Nous revendiquons notre droit à nous opposer aux discriminations et par conséquent à ce relativisme des idées, malheureusement bien trop présent chez les étudiant-e-s de notre IEP.
Invectiver n’est pas violenter
Ainsi, quand M. Cazeneuve vient faire une conférence sur la gestion sécuritaire des risques terroristes, nous revendiquons notre droit à poser la question des dérives de cette gestion sécuritaire. Pourquoi ne pas le faire à travers le cadre donné, celui des questions/réponses ? Parce que nous avons bien vu M. Cazeneuve éviter toutes les questions y ayant trait en se réfugiant dans l’excuse de la sécurité des français-e-s, faisant appel aux affects de la salle. Nous accusant presque au passage, par notre « manque de pragmatisme », d’être en faveur des attentats.
Quand M. Darmanin se met à la portée d’étudiant-e-s lambda que nous sommes, nous revendiquons notre droit à l’interpeller. Vous appellerez cela une « agression collective » nous rappellerons qu’il est de notre droit de demander des comptes à un ministre qui baisse les revenus des jeunes (APL) et précarise l’université, en tant que premier-ère-s concerné-e-s. Et d’autant plus lorsque celui-ci se permet de dénigrer nos inquiétudes en conseil d’administration en invoquant la situation sociale de sa mère et sa propre ascension.
Quand Jean Lassalle, accusé de harcèlement, est invité à Sciences Po nous considérons qu’il n’est pas normal de donner une fois de plus la parole à ceux qui l’ont toujours dans ce genre de situation. Oui, accuser n’est pas condamner. Mais dans l’attente de cette condamnation éventuelle, pourquoi ne pas donner du crédit à la parole des victimes pour une fois ? On nous a vanté la qualité d’une telle personne et l’expérience qu’elle pourrait nous partager, mais n’y a-til pas une personne plus intéressante pour nous parler de son travail en politique et de son lien avec la ruralité ? N’y avait-il pas la volonté d’inviter un personnage politique juste parce qu’il pouvait “chambouler vos cœurs et renverser vos émotions” et non pas pour ses qualités d’homme politique ? Débattre ? Oui ! Débattre de harcèlement avec un harceleur, NON. Si le débat sur cette question vous tient à cœur invitez donc des personnes ayant été harcelées, des survivantes. Le débat n’en sera qu’élevé.
Enfin, quand nous réagissons à l’interdiction de l’accès d’une conférence sur la DGSE aux étudiant-e-s bi-nationaux-ales extra-européen-ne-s, nous manquons apparemment de “rigueur intellectuelle”. On nous reproche notamment des “saisines absolument fantaisistes”. Ces mesures nous ont été pourtant conseillées par des députés européens, des journalistes, ainsi que des militant-e-s anti-racistes qui ont plusieurs fois fait face à ce genre d’affaire. Nous n’aurions pas suffisamment “appréhendé les raisons de cette interdiction”, faut-il rappeler qu’il s’agit d’une réunion d’information sur un concours ouvert aux binationaux-ales, qu’iels soient intra ou extra européen-ne-s ? Qu’une binationale extra-européenne est autant française, qu’un binational intra-européen ou qu’Henry de Lesquen ? Nous n’en aurions pas parlé avec les étudiant-e-s concerné-e-s, c’est-à-dire les binationaux-ales ayant reçu-e le mail ? Iels font pourtant parti-e-s du collectif et en sont même à l’origine. Permettez-nous de renvoyer aux rédacteurs de cette article à notre encontre la remarque d’un prétendu manque de “rigueur intellectuelle”.
Le couteau entre les dents ?
Ensuite, nous constatons dans cet article la volonté stratégique de créer une dichotomie entre celles et ceux qui respectent la politesse, les règles de bienséance et celleux qui sont des sauvages, assoiffé-e-s de polémique. Il y aurait celles et ceux qui feraient de la politique de manière respectable et celles et ceux qui passeraient leur temps à hurler. Il est bien facile d’être respectable lorsque l’on ne s’oppose à rien, qu’on suit le courant sans prendre parti. Et que l’on sort un article rappelant à l’ordre. Nous nous opposons à tout ce qui a été cité plus haut et en cela nos revendications sonnent toujours et sont nécessairement virulentes. Nous ne sommes pas prêt-e “d’assagir” nos pratiques, force est de constater que les pétitions n’ont jusqu’alors fait trembler personne.
Sont-elles irréfléchies pour autant ? Il s’avère que beaucoup de travail a été fourni par celleux derrière ces méthodes d’action, que ce soit dans les engagements associatifs, dans les initiatives communes face à la DGSE, Cazeneuve ou Lassalle. Nos actions sont le fruit d’une conciliation perpétuelle entre différentes personnes concernées qui n’appartiennent pas toutes à Sud, ne vous en déplaise.
Il y a des réactions qui ne se font pas à froid, dont on ne discute pas posément, un fois les faits passés. On ne fait pas un débat sur “est-ce que oui ou non c’était bien d’interdire l’accès d’une conférence au bi-nationaux-ales non-européen-ne-s” après que cela se soit passé. On dénonce le racisme de la disposition qu’elle ait été appliquée ou non.
Les arguments développés pour critiquer la forme de nos actions sont déroutants car ils sont pour la plupart inexacts et imprécis. L’apostrophe verbale de M. Darmanin par des étudiant-es en sortie de CA est qualifiée « d’agression collective ». Il est également fait référence à une « prise d’otage » pour parler de l’interpellation de M. Cazeneuve par des étudiant-e-s à propos des violences policières durant son mandat. La prise d’otage était tellement violente que les étudiant-e-s ont quitté la salle sans l’intervention du service d’ordre et que la conférence s’est ensuite déroulée dans le calme, permettant à M. Cazeneuve de vendre des livres et de signer des autographes. On parle également d’insultes à l’égard de M. Cazeneuve. Nous invitons celleux qui étaient à cette conférence et qui profèrent ces accusations à nous dire qu’elles insultes ont été proférées car nous n’avons adressé la parole à M. Cazeneuve qu’en l’appelant Monsieur le Ministre et peut être, nous le concédons, juste Monsieur. Si votre seule raison d’exister en tant que groupe est de vous opposer à nous, c’est que votre action est vide de sens. Nous-mêmes nous existons en partie grâce à vous car notre combat est la défense des minorités quelles qu’elles soient. Nos actions n’ont de sens que parce que leur but se trouve au-delà d’elles-mêmes. Nous n’agissons pas pour agir, nous n’agissons pas pour nous opposer stérilement mais au contraire pour défendre et progresser.
Finalement pourquoi un débat plus apaisé ? Pourquoi disqualifier le mode opératoire de l’action collective et spontanée si ce n’est pour qu’il n’y ait plus de scandales, plus de débats du tout. Si ce n’est ceux fictionnels, de l’arène, exercice de style. Le débat politique n’est pas source de pacification et vous le savez. Vouloir le pacifier c’est vouloir le supprimer. Et nous sommes contre une dépolitisation de l’IEP à l’instar de la société toute entière.
Oui, contre la dépolitisation, celle que vous souhaitez implicitement instaurer à travers le cadre de pacification du débat. Il faudrait selon vous, toujours instaurer un cadre où il y aurait des règles, des échanges, des concertations pour discuter afin que vous repreniez du poids dans l’espace public. D’une part, nous le refusons car nous savons pertinemment qu’en dehors de Sciences Po Lille, vos idées sont majoritaires et dominantes. Nous savons également que le débat pacifique et le fameux « dialogue » sont des modes d’expression conventionnels pour celleux qui dominent et contrôlent les institutions, nos seuls moyens de répondre étant des modes d’expression non conventionnels. D’autre part, nous n’accepterons jamais de reconsidérer des principes fondamentaux comme la lutte contre le harcèlement, la lutte contre les discriminations et les violences policières ou encore la lutte contre la privatisation folle qui se démultiplie sans cesse. Face à la capacité de violence de la légitimation de tels actes, nous savons pertinemment que seule la réaction directe est porteuse politiquement. Il est également intéressant de noter la manière qu’ont certain-e-s étudiant-e-s de se sentir agressée-e-s dès que leurs idées réactionnaires sont contredites par des personnes concernées. En effet, il nous semble contradictoire de prétendre vouloir débattre puis de se déclarer ensuite victime d’une prétendue dictature de la pensée unique au moindre débat. Le débat politique ne serait ainsi valable uniquement lorsqu’il n’y a pas opposition d’idées ?
Nous ne pouvions pas vous laisser l’apanage de la communication argumentée d’un article. Puisqu’il est fait état de notre violence et notre autoritarisme nous désirions vous répondre en des termes apaisés et prouvant notre bonne foi démocratique. Néanmoins nous avons écrit en écriture inclusive, nos excuses aux lecteur-ice-s qui auraient trouvé cela violent. Nous serons ravi-e-s qu’une occasion puisse poser le débat entre nous, à bientôt !