Le lundi 23 septembre, le Parlement espagnol a été dissous par le Roi d’Espagne Felipe VI, qui après un dernier tour de table avec les représentants des différentes forces politiques, mardi 17 septembre, avait déclaré « Il n’existe aucun candidat ayant les soutiens nécessaires » pour former un gouvernement. Les Espagnols sont donc appelés le 10 novembre aux urnes pour les quatrièmes législatives en quatre ans, avec l’espoir pour les socialistes de Pedro Sánchez d’obtenir une majorité absolue qui lui éviterait de devoir de nouveau tenter de s’associer avec le parti d’extrême-gauche Podemos de Pablo Iglesias.
« Il n’existe aucun candidat ayant les soutiens nécessaires » Felipe VI, Roi d’Espagne, le 17 septembre 2019
En effet, c’est à la suite de l’échec des négociations avec le leader de Podemos pour former un gouvernement que l’investiture de Pedro Sánchez a été rejetée le 25 juillet dernier. Cet échec de l’investiture ne laissait guère d’espoir aux Espagnols quant à la formation d’un gouvernement, et la décision du Roi mardi dernier était finalement attendue.
Une crise politique qui dure
Il faut remonter au 21 décembre 2015 pour comprendre les fondements de cette crise politique qui tarde à se terminer en Espagne. En effet, en ce soir d’élections législatives on assiste à un véritable séisme politique : alors que le Parti Populaire (PP) avec à sa tête Mariano Rajoy avait la majorité absolue au Parlement depuis son arrivée au pouvoir en 2011, on retrouve à la suite de ces élections quatre partis à plus de 10%, dont 3 à plus de 20%. On voit d’un côté l’échec fracassant des deux partis historiques, le PP et le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), le premier perdant la majorité absolue et le second faisant le plus mauvais score de son histoire; et en face la percée historique de deux nouveaux partis : à la gauche radicale Podemos et son leader Pablo Iglesias obtenant plus de 20% et au centre droit le parti Ciudadanos qui frôle les 14%. Le bipartisme PP-PSOE, profondément ancré dans la vie politique espagnole, est renversé.
Pour autant, le Parti Populaire demeure en tête et c’est Mariano Rajoy qui prend la charge de chef de gouvernement. Cependant, il n’arrive pas à obtenir son investiture et deux mois plus tard, le Roi est obligé pour la première fois dans l’histoire de dissoudre l’Assemblée et de convoquer de nouvelles élections. Le Parti Populaire en sort renforcé, mais sans majorité absolue. Mariano Rajoy est pourtant finalement investit le 29 octobre 2016 grâce au soutien du vote des socialistes face à la menace de troisièmes élections.
En 2018 est rendu le jugement de l’affaire Gürtel, condamnant le Parti Populaire pour corruption et détournement de fonds publics. En plus de l’impact médiatique pour le parti au pouvoir, la crédibilité de Mariano Rajoy (alors chef du gouvernement) a été mise en doute durant le procès par les juges, alors que le chef du gouvernement et du parti avait nié l’existence de la comptabilité parallèle. Pedro Sánchez profite alors de la situation et demande une motion de censure contre le chef du gouvernement au lendemain du procès. Une semaine plus tard, le 1er juin, Mariano Rajoy est renversé et Pedro Sánchez prend la tête du gouvernement.
Alors que les socialistes, bien que minoritaires, ont décidé de ne pas dissoudre l’Assemblée et de gouverner avec des alliances, le rapprochement avec Podemos durant les premiers mois de la mandature Sánchez leur permet d’avancer sur de nombreux dossiers. Cependant en avril 2019 le budget est bloqué par les indépendantistes catalans. Face à cette impasse, le dirigeant socialiste décide de convoquer des élections anticipées afin d’avoir une large majorité.
Lors de ces élections du 21 avril 2019, le PSOE arrive en tête avec près de 29 % des voix, alors que le PP réalise seulement 16,7%, proche de Ciudadanos et Podemos, devenu Unidas Podemos, respectivement à 15,8 et 14,3 %. Un nouveau séisme a pourtant de nouveau lieu : pour la première fois depuis la transition démocratique un parti d’extrême droite entre au Parlement espagnol. En effet, le parti Vox réalise plus de 10%.
Face à l’impossibilité de trouver un accord de coalition avec Unidas Podemos ou avec Ciudadanos, l’investiture de Pedro Sánchez est rejetée en juillet, et deux mois plus tard, en vertu de la Constitution, le Roi Felipe VI dissout l’Assemblée le 17 septembre et convoque de nouvelles élections le 10 novembre prochain.
Pedro Sánchez dans l’impasse
Alors qu’après la vague électorale du 25 mai dernier (européennes, municipales et régionales partielles), le PSOE semblait de nouveau en position de force sur la scène nationale, le socialiste Pedro Sánchez doit de nouveau jouer l’avenir de son gouvernement par les urnes. En effet, le dirigeant socialiste avait décidé de gouverner « en solitaire ». Il comptait sur des accords « à géométrie variable » au Parlement pour gouverner sans avoir à former de coalition au sein de ses ministres. Cependant la stratégie très précoce de Ciudadanos de se positionner en leader de l’opposition l’a forcé à revoir ses plans. Les négociations de coalition avec Unidas Podemos ont donc commencé tardivement. De plus, après l’échec de l’investiture fin juillet, il a définitivement fermé la porte à Pablo Iglesias, qui avait refusé toutes les offres des socialistes avant l’investiture dans l’idée de faire monter les enchères.
Désormais, Pedro Sánchez va devoir compter sur une nouvelle victoire électorale, tout en sachant qu’il a peu de chance d’obtenir la majorité absolue et qu’il va devoir composer de nouveau avec d’autres acteurs à gauche comme à droite pour éviter une nouvelle déconvenue lors de l’investiture si son parti arrive en tête.
Une droite en totale recomposition
Cette nouvelle élection législative est également un test pour la droite espagnole. En effet, Ciudadanos n’a pas su profiter de ses résultats du 21 avril dernier, refusant de participer à un gouvernement de coalition. La tentative de rapprochement de dernière minute de son dirigeant Albert Rivera auprès de Pedro Sánchez a peu convaincu en Espagne, et beaucoup reprochent au parti de centre-droit son manque d’implication pour tenter de former une majorité, alors même qu’en 2016 Ciudadanos avait signé un accord de gouvernement de plus de 200 mesures avec le PSOE.
Mais le plus grand défi à droite est celui du parti historique conservateur, le Parti Populaire. Ce dernier sort de sa plus importante défaite électorale, en chutant lors des dernières législatives à 16%. Les élections européennes et municipales n’ont pas aidé le « PP » à se relever, et l’échéance électorale du 10 novembre prochain apparaît comme un révélateur de l’état de santé du Parti Populaire. En effet, ces élections vont montrer si le parti de Pablo Casado a réussi à surmonter les scandales récents qui ont secoué le parti, ainsi que le renouvellement forcé de ses chefs de file pour les dernières élections.
Enfin, les législatives du 10 novembre prochain sont un rendez-vous important pour l’extrême-droite. Après le choc des régionales en Andalousie en 2018, où Vox est entré au Parlement régional avec une dizaine de sièges, une première depuis la Transition et la chute de Franco. Les élections suivantes ont à la fois confirmé et nuancé cette percée de Vox, avec un score historique lors des législative du 28 avril, plus de 10%, et des revers comme lors des municipales où le parti dirigé par Santiago Abascal n’a pas réussi à remporter une ville importante.
L’énigme Podemos
Le parti de gauche radicale Podemos, devenu Unidas Podemos, est sûrement celui qui a le plus à jouer lors des prochaines législatives. En effet, le parti né du mouvement du 15M (« 15 de Mayo », mouvement du 15 mai) subit depuis plusieurs élections des revers électoraux, à l’image des législatives d’avril dernier, ou des européennes du 25 mai. Mais surtout les difficiles négociations avec le Parti Socialiste Espagnol risquent d’avoir joué en défaveur du parti de Pablo Iglesias. En effet, ce dernier a refusé plusieurs propositions de coalition gouvernementale du PSOE, en tablant sur une meilleure offre après l’échec d’investiture de fin juillet. Mais cette offre idéale n’est pas venue, Pedro Sánchez et les socialistes considérant que Podemos n’avait pas joué le jeu de l’unité gouvernementale et craignant que le parti de gauche radicale soit un épouvantail pour l’exécutif.
Le 10 novembre prochain, les Espagnols sont donc de nouveau appelés aux urnes, afin de tenter de dégager une nouvelle majorité. Le coup de poker de Pedro Sánchez, à savoir de ne pas avoir tenté de nouvel accord avec Podemos après l’échec de l’investiture, peut se transformer en coup de maître en cas de large victoire dans les urnes, mais aussi apparaître comme une autodestruction s’il ne parvient pas à obtenir une majorité suffisante pour espérer former un gouvernement. Un dernier facteur est également à prendre en compte : l’abstention, qui risque d’être plus élevée que lors des dernières échéances électorales. En effet, certains Espagnols vont voter pour la cinquième élection de l’année, et la deuxième fois pour les législatives. Aussi une certaine lassitude est ressentie par les observateurs politiques, ce qui pourrait entraîner une hausse de l’abstention.
Hugo Jumelin