Le 19 janvier, environ deux cents salariés d’EDF (Électricité de France) en grève déversent une centaine de compteurs Linky devant le siège de La République en Marche pour protester contre le projet Hercule qui réorganise le groupe français qui produit, distribue et fournit la quasi-totalité de l’électricité en France. Depuis l’automne 2019, plusieurs journées de grève et de manifestations ont dénoncé un projet visant à séparer EDF en plusieurs filiales, à en ouvrir plusieurs à aux investissements privés et à réévaluer le tarif de vente de l’électricité d’EDF aux distributeurs. Ce projet est fortement inspiré par les recommandations de la Commission européenne au nom de ses règles sur la concurrence et suscite une forte opposition des syndicats de l’entreprise et de nombreux parlementaires, à la fois de gauche et de droite.
Le projet Hercule prévoit dans un premier temps de scissionner les activités d’EDF (possédée à 83,7 % par l’État) en plusieurs filiales indépendantes mais appartenant à une même holding (1). La première filiale EDF Bleu regrouperait les activités de production électrique nucléaire (environ 70 % de la production français) et thermique (environ 10 %) ainsi que le réseau de transport d’électricité RTE (réseau de transport d’électricité). La deuxième filiale, EDF Azur, gèrerait les concessions des barrages hydroélectriques détenues actuellement à 80 % par EDF. Les barrages participent à la production d’électricité à hauteur d’environ 11%. EDF Bleu serait nationalisée à 100 % tandis que le sort d’EDF Azur n’est toujours pas fixé. Depuis 2005, le parc hydroélectrique français est mis en difficulté par le passage d’EDF au statut de société anonyme, et par la suppression de son “droit de préférence” qui lui donnait la priorité lors du renouvellement de concession.
De plus, entre 2012 et 2017, afin d’obéir aux règles européennes sur la concurrence, le Parti socialiste au pouvoir a décidé de la mise en concurrence de ces concessions sous forme de sociétés d’économie mixtes (2). Depuis la promulgation de la loi transition énergétique de 2015, la Commission européenne exige régulièrement de la France que celle-ci soit appliquée. Les gouvernements français successifs tentent depuis de retarder cette mise en concurrence de la concession de ces infrastructures stratégiques et rentables. La dernière filiale EDF Vert regrouperait, elle, la production éolienne et la production solaire, les activités de commercialisation, les activités internationales hors nucléaire, les services, et Enedis, qui distribue l’électricité. Elle serait ouverte à 35 % aux capitaux privés comme l’avait été GDF (Gaz de France) en 2004 avant d’être majoritairement privatisée. De plus, les activités les plus rentables sont regroupées dans EDF Vert et seront en partie privatisées tandis que les activités aujourd’hui déficitaires et nécessitant des investissements importants comme la production nucléaire et l’entretien du réseau sont laissées à la charge de l’État, et donc du contribuable.
La réforme de l’ARENH
Toutefois la non-rentabilité du nucléaire ne résulte pas de la nature même de sa production mais d’un choix politique en partie dicté par la Commission européenne- là encore. En effet, celle-ci a demandé à EDF dans une décision du 12 juin 2012, de mettre fin au tarif réglementé de vente (TRV) pour les entreprises et de changer son mode de calcul pour les particuliers. Au lieu d’être déterminé en fonction du coût du système électrique français (qui s’appuie en grande partie sur le nucléaire), le tarif de vente pour les particuliers est maintenant aligné sur le coût d’approvisionnement moyen des fournisseurs privés ; il devient alors dépendant des fluctuations des cours du gaz et du pétrole, qui sont beaucoup plus volatiles que ceux du nucléaire. En outre, le projet Hercule est l’occasion de réévaluer le dispositif ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) qui oblige EDF à vendre le quart de sa production nucléaire à ses concurrents au prix coûtant (estimé à 42 euros le mégawattheure) ou au prix du marché lorsque celui-ci est favorable à ses concurrents. Or, même quand le prix du marché est supérieur à 42 euros, EDF ne peut augmenter son prix de vente. Elle est donc perdante dans tous les cas, et s’endette. De plus, le prix est censé être réévalué chaque année mais la Commission s’y oppose en raison des règles européennes sur la concurrence. Ce prix ne reflète donc ni l’inflation, ni la réestimation des coûts d’entretien des centrales nucléaires. Les acteurs privés bénéficient donc d’un prix sous-évalué, sans supporter les risques industriels et les coûts fixes élevés liés à l’entretien et la construction des centrales nucléaires. Le projet Hercule contient donc la réévaluation de ce tarif en échange de son extension à 100 % de la vente de la production d’électricité d’EDF. Toutefois cette réévaluation est encore en négociation avec la Commission européenne et l’entreprise n’est pas assurée que le prix décidé soit supérieur au prix coûtant.
Des contestations fortes rassemblant des acteurs politiques transpartisans
Ce projet est contesté par les syndicats réunis dans une large intersyndicale, des partis politiques de gauche et quelques parlementaires des Républicains comme Julien Aubert se revendiquant du gaullisme ainsi que par des économistes hétérodoxes en particulier par le collectif des Économistes atterrés. L’intersyndicale composée de la CGT, la CFDT, Sud et la CFE-CGC dénoncent la mise en concurrence d’EDF considéré comme un service public. SUD énergie demande par exemple dans un tract du 10 décembre 2020 de « reconstruire un service public de l’électricité 100 % public ». Les syndicats décrivent un projet qui avantagera les entreprises privées et mènera à la privatisation d’EDF compromettant alors la possibilité pour l’État d’organiser efficacement une transition écologique du secteur. En outre, selon eux l’arrivée d’entreprises privées dans le secteur risque de faire monter les prix pour les usagers tout en mettant en danger la qualité des services. Ces revendications sont accompagnées de mouvements de grève dès le 19 septembre 2019, puis par trois jours en novembre et décembre 2020 et le 19 et 28 janvier 2021. Elles emblent avoir été très suivies avec en moyenne environ 30 % de grévistes selon la direction et environ 50 % selon l’intersyndicale. Ces journées ont souvent été marquées par des manifestations et des barrages filtrants à l’entrée des infrastructures d’EDF comme à la centrale de Penly le 10 décembre 2020.
Le projet est également unanimement dénoncé par les principaux partis de gauche comme la France insoumise (FI) par l’intermédiaire du député François Ruffin qui, en visite sur le site Enedis EDF d’Orvault (44) le 28 décembre 2020, parle d’un projet négocié « en douce » et facilitant la vente des barrages hydroélectriques et d’EDF Vert à des entreprises privées. De son côté, la présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, a annoncé sa volonté de lancer une procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) afin d’empêcher la mise en œuvre de ce plan. Elle sera probablement soutenue par les députés et sénateurs de la FI, du PCF, d’EELV et certains parlementaires de droite comme l’avait été le RIP sur la privatisation des aéroports de Paris.
Une grande partie de ces opposants se sont réunis au sein du Collectif national pour un véritable service public de l’énergie regroupant partis politiques de gauche, organisations syndicales du secteur, associations et le collectif d’économistes hétérodoxes les Économistes atterrés. Dans leur appel, ils demandent la création d’un service public de l’énergie regroupant les différentes branches du secteur (électricité et gaz notamment) répondant « aux besoins d’investissements considérables de l’indispensable transition énergétique et écologique », « aux défis de la précarité énergétique » et « aux attentes légitimes des personnels du secteur de l’énergie en matière de conditions de travail et d’exigence de qualité du service rendu aux usagers ».
Ainsi, le projet Hercule de scission d’EDF en trois filiales et de réévaluation de l’ARENH suscite des oppositions fortes et trans partisanes. Bien que ce plan soit basé sur les recommandations de la Commission européenne suivant les règles européennes de concurrence d’inspirations libérales, Emmanuel Macron pousse ce projet depuis qu’il est ministre de l’Économie et semble même vouloir aller plus loin que ce que ne demande l’Union européenne.
Vladimir Benlolo
1 Une société ayant pour vocation de regrouper des participations dans diverses sociétés et d’en assurer l’unité de direction
2 Société anonyme dont le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques