L’Allemagne serait-elle en passe de devenir le pays de l’hydrogène, comme le postulait un article du Monde en 2020 (déjà) ? En tout cas, l’Allemagne ne cache pas son ambition. Une ambition double – accéder à la neutralité carbone tout en assurant une certaine pérennité économique – mais une ambition qui se matérialise, depuis quelques temps, en succès pour le pays de Goethe.
Pourquoi avoir misé sur l’hydrogène alors que les efforts en matière d’écologie sont encore surtout tournés vers l’électrique, l’éolien voire l’hydraulique ? Comment le pays a-t-il réussi à mettre en place une “stratégie hydrogène” ambitieuse et qui, pourtant, fait déjà ses preuves ? Quelles sont les raisons de ce début de politique hydrogène placé sous le signe de la réussite ? Quels sont les avantages d’une économie qui s’appuierait sur l’hydrogène ? Pourquoi la France hésite-t-elle à se lancer pleinement elle aussi dans cette stratégie d’avenir ?
Alors que la campagne présidentielle bat son plein en France, on peine à dégager la transition écologique comme véritable enjeu politique, au profit de thèmes largement plus développés, plus fournis en propositions et en positions politiques, comme la sécurité, l’immigration, le pouvoir d’achat, des thèmes certes importants, clivants mais qui laissent, malheureusement d’autres questions tout aussi importantes en suspens.
La transition énergétique est une question complexe car à la fois écologique, économique et même sociétale dans le sens où elle touche aux habitudes de consommation de notre société et à nos rapports avec la consommation d’énergie. On le voit clairement avec le débat entre nucléaire et transition énergétique. Et la politique française peine à se positionner clairement dans ce débat. Pourtant, son voisin allemand, lui, a pris son courage à deux mains et a décidé d’affronter le défi climatique et de la transition écologique.
Petit retour sur la méthode allemande en matière de transition énergétique vers l’hydrogène, sur la situation en France et sur les perspectives économiques, et non uniquement écologiques, qu’ouvrent la question de l’hydrogène. Toutes les sources utilisées pour la rédaction de cet article et les chiffres cités sont disponibles à la fin de celui-ci.
La “stratégie hydrogène” allemande
D’abord, la “stratégie hydrogène” allemande se caractérise par deux grands aspects – qui sont peut-être aussi les facteurs de son succès – que sont la maturation et le pragmatisme.
Commençons par la maturation. Le terme “stratégie” n’est pas désuet. En effet, l’Allemagne a compris qu’une action rapide n’était pas incompatible avec une action pérenne. Un tel raisonnement devrait se poser en clé de voûte de l’écologisme: agir vite (l’Allemagne a fixé des échéances à 2030 et 2040, nous y reviendrons) doit rimer avec agir pour le long terme. Or, la “stratégie”, au sens littéral, s’oppose à la tactique. Le stratège est celui qui vise un objectif global, de long terme, la victoire de la guerre (pour prendre une métaphore militaire). Le tacticien est celui qui cherche le résultat immédiat, sans calculer les effets de son action sur le temps long, il cherche la victoire de la bataille, une bataille parmi d’autres, ce qui ne lui assure pas la victoire finale. L’Allemagne est donc stratège. Et, en bon stratège, elle vise l’objectif sur le long terme, elle se projette. Et se projeter nécessite d’élaborer un plan, un projet viable donc qui est cohérent, adapté à la situation actuelle mais qui sera aussi adapté à l’Allemagne des années 2030, 2040 et au-delà. Un projet aussi étendu dans le temps nécessite donc une maturation quant à la réflexion – complexe – qui va le nourrir.
Ainsi, l’Allemagne n’a pas hésité à prendre le temps nécessaire à cette réflexion. Car agir vite ne signifie pas agir précipitamment. Alors tout le monde s’est mis autour de la table, tout le monde a négocié: le ministre de l’Economie Peter Altmeier, la ministre de la recherche, Anja Karliczek et la ministre de l’environnement, Svenja Schulze car il n’y aura pas de solution à la crise écologique sans solution économique et il ne peut exister de solution sans l’audace de l’innovation et de la recherche. S’ensuivent de longues négociations, qui dépassent le délai qui avait été annoncé mais qui permettent de déboucher sur un plan ambitieux: mobiliser 7 milliards des 130 milliards d’euros du plan de relance allemand pour développer la recherche, les infrastructures et les conditions-cadres nécessaires à la production de 5 gigawatts d’hydrogène issu de sources d’énergies renouvelables d’ici à 2030 puis pour doubler ce volume d’ici à 2040 et mobiliser 2 milliards d’euros supplémentaires pour développer et sécuriser son approvisionnement au travers de partenariats internationaux.
L’Allemagne ne cache pas son ambition: « Nous posons les jalons pour devenir le numéro un mondial des technologies de l’hydrogène, expliquait le ministre de l’Economie Peter Altmeier en juin 2020 à l’occasion de l’annonce de la “stratégie nationale pour l’hydrogène”, l’Allemagne va jouer un rôle de pionnier, comme nous l’avons fait il y a vingt ans avec la promotion des énergies renouvelables ». Et l’Allemagne est particulièrement crédible: le pragmatisme et l’aspect méthodique de son projet sont à la hauteur des objectifs qu’il vise.
Comment un tel plan peut-il se révéler pragmatique ? Effectivement, les sommes mobilisées par le gouvernement allemand ne seraient qu’une coquetterie, une promesse sans fond si elles étaient mal utilisées. Mais encore une fois, l’Allemagne a pensé “stratégie”: les efforts doivent être concentrés dans les secteurs où les chances de succès (économiques) sont les plus élevées, le plan hydrogène vert vise d’abord les changements par transition douce et par étapes (afin de ne pas déstabiliser certains secteurs) et, enfin, la stratégie hydrogène, bien que nommée “nationale”, n’oblige en rien l’Allemagne à ne pas innover dans les choix de ses partenaires internationaux pour mener à bien son projet. Explications.
D’abord, le plan se fonde sur des estimations qui se veulent réalistes: le processus d’électrolyse pour produire de l’hydrogène vert entraîne une déperdition d’énergie de 30 % donc il faudrait 20 térawatt heures d’électricité renouvelable pour produire 5 gigawatts d’hydrogène, soit l’équivalent de 14 térawattheures. Ce sont les secteurs éolien et solaire qui seront chargés de fournir ce volume, qui reste une goutte d’eau au regard des 90 à 110 térawattheures d’énergies renouvelables nécessaires d’ici à 2030, selon le gouvernement allemand. L’hydrogène vert, oui, mais pas d’emballement donc, comme le soulignait en juin 2020 Claudia Kemfert, chef du département Energie, transports et environnement à l’Institut allemand de recherche économique (DIW): « La stratégie du gouvernement va dans le bon sens mais il ne faut pas voir dans l’hydrogène le pétrole de demain, ce serait dangereux et illusoire de penser qu’il pourra combler tous les besoins énergétiques ». L’Allemagne sait donc pertinemment qu’elle ne peut pas se passer de façon brutale des productions d’énergie par le gaz, ce qu’on nomme l’hydrogène “bleu”. Pour que cette transition du “bleu” au “vert” se fasse sans trop grandes secousses, l’Allemagne, en plus de regarder loin dans le temps, regarde loin au-delà de ses frontières puisqu’elle a signé un partenariat avec le Maroc, en juin 2020. Ce partenariat doit permettre à l’Allemagne de pallier ces difficultés à répondre à la demande nationale par la seule production locale en hydrogène vert. L’Allemagne et le Maroc doivent donc réaliser ensemble un projet pilote pour produire de l’hydrogène vert à partir de l’énergie solaire. Toutefois, notons que depuis 2021 le projet est suspendu en raison de tensions entre les deux pays.
Enfin, dernier point du pragmatisme allemand en matière d’hydrogène vert: mettre le maximum de moyens là où les chances de réussite sont les plus élevées en termes de secteurs. Par conséquent, le gouvernement allemand a choisi de concentrer ses efforts sur les secteurs les plus proches de la viabilité économique ou qui ne peuvent être décarbonés autrement: l’acier, représentant environ 30 % des émissions de CO2 du secteur industriel allemand mais aussi, dans un second temps, la chimie et les transports de marchandises ou collectifs. Les voitures particulières à hydrogène doivent faire aussi l’objet de larges subventions pour leur achat. En parallèle, le plan prévoit quatre marchés stratégiques de développement qui bénéficieront en priorité de la production d’hydrogène vert: la demande intérieure (une priorité qui semble évidente) ; le secteur industriel pour y assurer la transition de l’hydrogène « gris » (produit à partir de combustibles fossiles) à l’hydrogène “vert” dans l’industrie chimique, les raffineries de pétrole et la sidérurgie ; le transport, où les piles à hydrogène peuvent alimenter les véhicules terrestres mais aussi maritimes et aériens ; et enfin, le chauffage de bâtiments résidentiels et commerciaux.
Vert, bleu, jaune ou gris: l’hydrogène envoie de toutes les couleurs !Contrairement aux énergies fossiles tels que le pétrole, le gaz ou le charbon, l’hydrogène n’est pas une énergie primaire mais un « vecteur énergétique » c’est-à-dire qu’il est produit à partir d’une autre source d’énergie, comme cela est aussi le cas pour l’électricité. Mais, dans le contexte de la crise environnementale et de la transition énergétique, vous aurez sans doute remarqué que nous parlons souvent d’hydrogène adjectivé de “vert”. En effet, à chaque couleur son type d’hydrogène. Et la précision de la couleur est importante quand on parle d’hydrogène. Pour simplifier (en évitant d’entrer dans les méandres de la physique chimie !), l’hydrogène gris renvoie à un hydrogène qui est issu des énergies fossiles via la technique du vaporeformage, donnant une forte émission de gaz à effet de serre. L’hydrogène gris n’a donc rien à voir avec son cousin vert puisqu’il est source de pollution. Mais, on peut “décarboner” l’hydrogène gris par la technique du Carbon Capture and Storage (CCS). De là naît alors l’hydrogène bleu. Toutefois, cette opération reste coûteuse. L’hydrogène vert, quant à lui, est produit par électrolyse de l’eau. Cette technique nécessite le recours à l’électricité, ce qui aura une différence sur la “couleur” de l’hydrogène (entendons-nous bien, la couleur est fictive, elle a pour but de classifier les différents types d’hydrogène selon leur mode de production): si l’électricité utilisée est exclusivement d’origine renouvelable (produite par exemple par des installations solaires, éoliennes ou hydroélectriques), cet hydrogène sera « propre » et qualifié de « vert » mais s’il est produit par une proportion importante d’électricité d’origine nucléaire (c’est le cas en France), on lui donnera la couleur jaune. Nous comprenons alors que l’hydrogène jaune peut être un bon début vers la transformation de modes de production d’énergie, une étape qui ne doit rester que transitoire, l’objectif final étant tout de même de parvenir à produire de l’hydrogène exclusivement vert. |
Un an après l’annonce du plan “stratégie nationale hydrogène”, quel bilan pour l’Allemagne ?
Il est clair qu’analyser le bilan d’un tel projet sur un an de mise en place n’est pas totalement pertinent. Ce serait manquer de recul, de vue d’ensemble. Toutefois, quelques indices nous permettent d’affirmer que la stratégie allemande s’avère déjà fructueuse. Le très bon démarrage de la stratégie allemande est à trouver dans la façon dont le pays continue de concrétiser son projet, s’affirmant de plus en plus comme chef de file de l’hydrogène vert. Effectivement, l’hydrogène vert est, en Allemagne, de moins en moins un projet sur la table et de plus en plus une réalité tant énergétique qu’économique. Ainsi, les “sous-projets”, des projets qui se concentrent sur un secteur particulier d’activités, émergent grâce à de nouveaux partenariats internationaux.
Par exemple, quelques mois seulement après l’annonce de la “stratégie nationale hydrogène”, la Deutsche Bahn, opérateur ferroviaire allemand, déclarait, le 23 novembre 2020, vouloir lancer le projet H2goesRail, conjointement avec Siemens Mobility visant à construire des trains alimentés à l’hydrogène et remplacer les 1300 trains à diesel à l’horizon 2050 (un article très éclairant sur le train à hydrogène en Allemagne est d’ailleurs disponible sur le site de FranceInfo à l’adresse suivante: https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-allemagne-le-train-a-hydrogene-a-pris-une-longueur-d-avance_4946736.html ). Pour ce faire, la compagnie allemande a décidé de coopérer avec le producteur nantais d’hydrogène renouvelable Lhyfe. Ainsi, en fin d’année 2021, l’entreprise française a signé son contrat avec la compagnie allemande et a rejoint le projet H2goesRail. Les partenaires ont déjà ajouté qu’un site de production verrait le jour à Tübingen en 2024. Le projet H2goesRail n’est pas une exception. Effectivement, la “stratégie nationale hydrogène de l’Allemagne” et sa mise en place rapide et pragmatique passent par la multiplication de projets indépendants, de projets “satellites” dans les différents secteurs visés. Ainsi, l’Allemagne a décidé de mobiliser, dans le cadre du dispositif européen IPCEI, 8 milliards d’euros pour financer 62 projets ! Et la somme pourrait monter à 33 milliards grâce aux investissements privés. La fulgurance du pays de l’outre-Rhin en matière d’hydrogène vert s’explique aussi par le fait que plusieurs secteurs soient au cœur de ce foisonnement de projets: sur les 62 projets retenus (parmi les 230 candidatures !), 50 concernent la production d’énergie proprement dite et 12 la mobilité.
Un plan, à l’échelle nationale, pragmatique, visant la multiplication des projets à l’échelle plurisectorielle, le tout soutenu par des financements solides et de nouveaux partenariats internationaux, telle serait la recette allemande de l’hydrogène vert. Mais y a-t-il des enseignements à tirer, pour la France, de la stratégie allemande ? Et, avant tout, où en est la France en matière d’hydrogène vert ?
Hydrogène vert: la France pourvue en ressources mais démunie en stratégie ?
L’Allemagne dispose déjà de plus 90 stations hydrogènes (sachant qu’en 2018 on en recensait 381 dans le monde), sa stratégie nationale hydrogène a démarré au quart de tour et le pays, sous l’impulsion du nouveau gouvernement, ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin. Cet article aurait pu aussi mentionner le voisin suisse, qui n’a pas à rougir de ses résultats en ce qui concerne sa politique “hydrogène”. Mais, qu’en est-il de la France ? Est-ce que le pays des Lumières est prêt à s’éclairer à l’hydrogène ? Il serait faux – et mauvaise langue – d’affirmer que la France est un cancre en la matière. Mais il serait aussi faux – et tout aussi mauvaise langue – de se satisfaire de ce qui est. Oui, concernant l’hydrogène la France fait. Mais elle pourrait très certainement faire mieux, compte tenu de ses capacités d’innovation, de la technologie dont elle dispose. et en faisant de l’hydrogène vert un véritable projet économico-écologique pour son avenir (énergétique mais aussi économique).
Nous l’avons vu, l’entreprise Lhyfe est française. Et elle est désormais partie prenante du projet allemand. Des entreprises comme Lhyfe, la France en compte de plus en plus. Et le Président Emmanuel Macron a affiché des ambitions claires pour la France à la mi-novembre 2021: l’Hexagone doit devenir le leader mondial en matière d’hydrogène vert d’ici 2030. Les paris sont donc ouverts. Le Président de la République a annoncé le déblocage de près de 2 milliards d’euros supplémentaires, soit un total 9 milliards d’euros pour permettre à la filière hydrogène de prendre du galon dans le cadre du plan de relance France 2030. Cette annonce n’a pas eu lieu n’importe où ni n’importe quand. Très symboliquement, le Chef de l’Etat a formulé la nouvelle ambition énergétique française lors de sa visite à l’usine Genevia à Béziers, dans l’Hérault, l’une des illustrations des progrès réalisés en seulement quelques années dans le domaine en France. Car, oui, Genevia est le symbole d’une France qui a pris le virage de l’hydrogène vert. L’usine compte ainsi développer l’électrolyseur vert de demain, qui permettra de fabriquer de l’hydrogène issu d’énergies renouvelables, à partir d’un courant électrique injecté dans l’eau. Ce qui est intéressant dans cette technologie employée par l’usine est que le rendement avec ces électrolyseurs à haute température est supérieur d’une dizaine de points aux autres technologies. L’Etat soutiendra l’effort de Genevia par une enveloppe de 200 millions d’euros.
Si la France ne cache plus ses ambitions, c’est d’abord parce qu’elle n’a pas réussi à s’imposer comme modèle dans la transition à l’hydrogène vert. Ses 51 stations hydrogènes disséminées sur le territoire sont un bon début (6 vont être déployées en Ile-de-france par l’entreprise HysetCo). Mais cela reste un début.
Le principal reproche qu’on pourrait formuler à la France en matière d’hydrogène vert serait de manquer d’un projet véritable porteur sur le long terme. Attention toutefois, hors de question de prendre un ton moralisateur. Soulignons, en revanche, l’intérêt d’un tel projet, un projet qui, en partant de la situation française actuelle en matière d’hydrogène vert et plus largement de capacités de production énergétique, serait en position de proposer une France hydrogène de l’avenir, réaliste mais ambitieuse. Serait-ce plagier notre voisin allemand ? Non, puisque réfléchir de la sorte n’est pas pertinent. Si la France veut réussir sa transition énergétique vers l’hydrogène vert, elle doit avant tout prendre en compte ses propres réalités tant économiques qu’énergétiques actuelles. En ce sens, la France ne peut pas proposer une stratégie hydrogène d’inspiration allemande. Pour se démarquer dans la course à l’hydrogène vert, la France doit mettre en place une stratégie fidèle à ses atouts mais aussi réalistes quant à ses failles, en matière de production énergétique. C’est sans doute ce qui explique l’hésitation française entre nucléaire et énergies renouvelables, compte tenu de la place particulière que tient le nucléaire et son histoire en France.
C’est sans doute là que le bât blesse. Effectivement, l’hydrogène fait partie de la “Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène carboné en France” dont l’objectif est de réduire les émissions de 81% d’ici 2050 par rapport à 2015 en s’appuyant sur l’atout chance de l’hydrogène. Toutefois, dans les programmes des candidats en campagne pour la présidentielle de 2022, on voit que l’hydrogène fait partie d’un projet écologique encore malheureusement trop dissocié d’un véritable plan de restructuration économique, si nous postulons l’hypothèse selon laquelle l’hydrogène pourrait participer à l’émergence d’une “nouvelle industrie” (expression à prendre avec précautions, voir l’encadré ci-dessous). Par conséquent, l’hydrogène se retrouve dans les programmes comme une énième nouvelle forme d’énergie propre qu’il faut mettre en place dans des perspectives écologiques, en sous-estimant son potentiel économique. Petit tour d’horizon (exhaustif) des programmes.
L’hydrogène vert, pour quelle économie ?A ce sujet, l’article de Norbert LOSSAU, publié en juillet 2021 dans le journal allemand Die Welt, peut être particulièrement éclairant. En effet, pour lui, “”Si l’Allemagne veut rester un pays industriel, vous ne pouvez pas éviter le sujet de l’hydrogène”. Il souligne (ou plutôt il soulignait en 2021) qu’environ 70% de l’énergie consommée par le pays est importée. Par conséquent, toujours d’après lui, le véritable enjeu de l’hydrogène n’est pas tant le fait de produire une énergie de façon neutre mais de choisir sous quelle forme l’Allemagne veut désormais importer cette énergie pour l’avenir. Pour Lossau, seul l’hydrogène vert constitue une réponse acceptable à cette question, tant au niveau climatique qu’économique. Il souligne toutefois que l’hydrogène vert pose des questions d’ordre économique: “il faut s’entendre sur le rapport entre l’hydrogène autoproduit et l’hydrogène importé. Quelle quantité d’hydrogène voulez-vous et pouvez-vous produire à partir de l’énergie éolienne et solaire dans votre propre pays ? Et combien voulons-nous importer ? Pour pouvoir répondre à cette question, vous devez savoir au moins approximativement quelle quantité d’hydrogène sera nécessaire au cours de quelle décennie.” Cependant, il note que “l’autosuffisance est illusoire”. Déjà en 2002, dans son ouvrage L’économie hydrogène: après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique, Jérémy RIFKIN déclarait que l’ère du pétrole touchait à sa fin, ouvrant la voie à une extraordinaire révolution économique, susceptible de reconstruire la civilisation sur d’autres fondements. Cette révolution économique serait l’hydrogène vert. Il note qu’à condition de ne pas abandonner cette technologie aux grands fournisseurs d’électricité, l’hydrogène vert pourrait pousser l’ensemble de nos institutions économiques, politiques et sociales, ainsi que nos modes de vie à se transformer. |
Allons à gauche d’abord. Anne Hidalgo, au Parti Socialiste, assure qu’“Il faut concevoir un plan stratégique, organiser cette transformation écologique de l’industrie. Il faut faire le pari de l’électrique et de l’hydrogène”. Le programme de la candidate précise que “Le nucléaire sera utilisé comme énergie de transition, sans sortie précipitée pour ne pas faire flamber le prix de l’énergie”, ce qui semble plutôt être une approche réaliste et pondérée de la situation énergétique française actuelle. La candidate propose ainsi une “planification écologique” (le terme de “planification écologique” pourrait, au passage, faire lui-même l’objet d’un article). Côté Jean-Luc Mélenchon, la France Insoumise s’est appuyée, par exemple, sur un consultant en hydrogène renouvelable, Julien Armijo dans le cadre de la proposition de “planification écologique” (bis repetita !). Le programme écologique, et donc en matière d’hydrogène et de sortir du nucléaire, du candidat Insoumis s’appuie par conséquent sur un fond hautement économique, ce qui est loin d’être dépourvu de sens, comme, par exemple, le fait d’empêcher la privatisation de certaines énergies renouvelables (voir encadré: “Hydrogène vert, pour quelle économie ?” et l’exemple de Rifkin). Yannick Jadot, candidat pour Europe Ecologie les Verts, a tout de même le mérite de relier les énergies renouvelables, et donc la question de l’hydrogène, à la problématique économique puisqu’il a dénoncé le coût financier du nucléaire par rapport à celui des énergies renouvelables, parlant même de “gouffre financier”. Le candidat souhaite sortir du nucléaire tout en participant à la reconversion des salariés de ce secteur dans celui des énergies renouvelables, ce qui, sur le principe, permettrait d’assurer une certaine continuité écologique, même si l’on ne peut pas être assuré, dans la pratique, d’une reconversion totale possible du corps salarial du secteur nucléaire en plus de la question de la concordance entre reconversion de ces salariés et besoin de main-d’oeuvre lors de la transition vers l’hydrogène.
Partons maintenant à droite. Les Républicains et leur candidate Valérie Pécresse osent l’hydrogène en proposant “un grand plan hydrogène de 11 milliards d’euros” qui ferait de la France “le leader mondial” du secteur. La question de l’hydrogène ne fait pas partie des sujets que le parti LR met en avant dans la campagne de sa candidate mais au moins elle n’est pas balayée d’un revers de main. Si sur le site officiel de la candidate la rubrique “Ecologie” n’apparaît pas clairement, la position de LR sur l’écologie est en revanche bien mentionnée sur le site du parti. Le parti des Républicains souhaite, à juste titre sans doute, allier transition écologique et croissance économique. Du côté de RN, l’hydrogène doit s’accompagner d’une modernisation du nucléaire, il faudrait donc “relancer la filière nucléaire, hydroélectrique et investir dans la filière hydrogène.” En revanche, le programme précise qu’il faut en parallèle “Arrêter les projets éoliens et démanteler progressivement les parcs existants.”. Scientifiquement un peu contradictoire quand on veut produire un hydrogène “vert” donc le plus propre possible (voir encadré: “Vert, bleu, jaune ou gris: l’hydrogène envoie de toutes les couleurs !”). Eric Zemmour, enfin, souhaite développer l’hydrogène “dans les transports en commun”, comme le précise son programme, sans en faire une véritable filière.
Bien sûr, il est évident que les détails des programmes en matière de transition écologique ne sont pas précisés et qu’il ne s’agit qu’un bref tour d’horizon des grandes orientations proposées par les candidats, des positions qui mériteraient d’être étudiées avec plus de précisions. Cependant, la pluralité de ces orientations est proportionnelle à l’hésitation quant à au passage à l’hydrogène en France.
Bref, en France, on souhaite l’hydrogène, on ébauche des plans de transition écologique mais on n’est pas encore totalement prêt à lâcher le nucléaire (sur le long terme). On hésite. Il faudra pourtant bien prendre une décision. Le défi écologique ne nous permet pas d’hésiter éternellement. Toute proportion gardée, quand le général De Gaulle décide de développer le nucléaire civil dans les années 1960, il en prend la décision, en assume la responsabilité, va jusqu’au bout de son projet, peu importe les oppositions, compréhensibles à l’époque et sans doute aujourd’hui car toute nouvelle énergie, et surtout le nucléaire, peut engendrer un grand nombre de questions et l’exemple de l’hydrogène va dans ce sens à l’heure actuelle. On peut contester cette décision mais on attend d’un exécutif des prises de décisions, des choix de grandes orientations, pour savoir où l’on va. L’énergie ne déroge pas à la règle, surtout quand l’énergie est à la fois enjeu politique, socio-économique, écologique mais aussi de souveraineté.
Et s’il faut bien passer à l’hydrogène non seulement au niveau national mais aussi européen, encore faut-il que la plan de transition ne se limite pas à l’ambition d’un programme mais vise une véritable stratégie, sur le long terme et en profondeur au niveau national. Pourtant, d’après l’expert en énergie, ressources et industries, Olivier PERRIN, associé au cabinet Deloitte, “La France a tous les atouts pour bâtir une filière industrielle d’hydrogène décarboné”, y compris à l’échelle mondiale. Il cite les divers atouts de la France: “les savoir-faire et la puissance financière pour cela, avec Air Liquide, TotalEnergies, EDF et Engie pour la production, le stockage et le transport, Technip Energie pour concevoir et intégrer les systèmes dédiés, le CEA comme centre de recherche et un tissu de start-up qui travaillent sur les électrolyseurs, le stockage et le transport.” Pour lui, ces ressources doivent permettre à la France et aux pays d’européens d’exporter leur savoir-faire et donc d’être compétitifs. L’idée-même de compétitivité démontre bien que l’hydrogène ne peut se détacher de l’économie. La filière hydrogène se doit donc d’être à la fois nationale, européenne et mondiale.
En France, il est certain que la stratégie allemande, par son aspect méthodique, pragmatique, allant à l’essentiel, visant les secteurs-clé à la fois dans le domaine énergétique comme économique, doit nous inspirer quant à la démarche et à la méthode à adopter en matière d’élaboration et d’application de politique énergétique. Mais la France doit aussi recréer son identité énergétique, comme elle l’a fait avec le nucléaire avec lequel elle entretient une relation spécifique, qui n’est pas celle de l’Allemagne. C’est à la fois en prenant exemple sur ceux qui ont déjà un pied dans l’hydrogène et en trouvant la voie qui correspond le mieux à son histoire énergétique et à ses réalités économiques que la France pourra rejoindre la tête de la marche vers l’hydrogène vert au niveau mondial.
Clémence DELHAYE
Vous pouvez consulter l’intégralité des sources utilisées, les propos et chiffres cités étant directement tirés de ces sources:
BOUTELET Cécile, “L’Allemagne veut devenir le pays de l’hydrogène”, Le Monde, juin 2020
FINKE Bjorn, “Wasserstoff für den Klimaschutz”, Süddeutsche Zeitung, mai 2021
MOULY Bruno, “La France a tous les atouts pour bâtir une filière industrielle d’hydrogène décarboné”, Les Echos, octobre 2021
LOSSAU Norbert, “Wasserstoff ist die Lösung – aber es gibt einen Streitpunkt”, Die Welt, juillet 2021
RENAUD Ninon, “L’hydrogène: le pari à 9 milliards de l’Allemagne”, Les Echos, juin 2020
RIFKIN Jeremy, L’économie hydrogène: après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique, La Découverte, 2002
“Énergie : comment l’Allemagne entend devenir leader mondial de l’hydrogène” Les Echos, octobre 2021
“Hydrogène vert: l’Allemagne double ses objectifs”, H2mobile, novembre 2021
“Le nucléaire “beaucoup plus cher” que le renouvelable : Yannick Jadot dit-il vrai ?”, FranceInter, novembre 2021
Vidéo: “Hydrogène vert: un pari boursier à prendre ?”, Boursorama sur Youtube, janvier 2022