Le 24 mars dernier, 500 000 personnes défilaient dans les rues de Washington pour manifester en faveur du durcissement de la loi autorisant le port d’armes aux Etats Unis. Après la fusillade de Parkland en Floride qui a laissé 17 adolescents à terre, plus d’un million d’Américains – encouragés par le mouvement March for our lives – ont décidé de descendre dans la rue pour crier leur besoin d’en finir avec la violence armée. A la fois fléau américain et droit constitutionnel, le port d’armes a engendré 61 000 victimes en 2017 dont 16 000 morts (selon le site Gun Violence Archive). 2018 ne commence pas mieux : en trois mois, le site compte déjà 12 896 incidents impliquants des armes, 3 307 morts et 5 776 blessés.
TOUCHE PAS A MA CONSTITUTION
Le 28 avril 1996, Martin Bryant, 28 ans, tire sur la foule et tue 35 personnes dans la ville de Port-Arthur, en Australie. Ce massacre de masse sans précédent dans le pays traumatise profondément la nation qui décide alors de déposer les armes en adoptant le National Firearmes Agreement (NFA). L’ancien premier ministre John Howard ne regrette rien : “Les gens me disaient : ‘Vous avez violé mes droits humains en saisissant mes armes.’ Je leur répondais : ‘Je comprends, mais voulez-vous, s’il vous plaît entendre l’argument : le plus grand des droits humains, c’est de vivre en sécurité sans avoir peur d’un meurtre au hasard.’ “
Il est donc possible, dans un pays aussi large que l’Australie, de réduire la violence armée en contrôlant drastiquement l’accès aux armes. Il est donc possible de demander à un gouvernement conservateur de réformer la loi, et qu’il le fasse après une seule fusillade.
De l’autre côté de l’Atlantique, les 346 fusillades de masse de 2017 (au moins quatre morts) n’ont pas suffi. Il en faudra bien davantage pour désacraliser le deuxième amendement de la Constitution, qui garantit aux Américains le droit de porter une arme.
- « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »
Malheur à celui qui oserait le faire chuter de son piédestal. Le combat et les larmes d’Obama n’auront pas suffi à augmenter les contrôles dans les armureries, un projet de loi systématiquement bloqué par la majorité des membres du Congrès, qu’elle soit Démocrate ou Républicaine. En janvier 2016, le Congrès avait refusé le projet de loi du président sous prétexte qu’il représentait une menace pour la constitution.
LE PISTOLET SUR LA TEMPE
Derrière cette situation de paralysie se trouve le puissant lobby des armes, la National Rifles Association (NRA), qui injecte chaque années quelques 250 millions de dollars dans la politique, notamment pour financer les campagnes électorales. Cette aide financière de taille leur permet d’avoir des hommes et femmes politiques redevables et d’assurer le maintien de la loi en l’état.
Membre du congrès : “Nos coeurs sont brisés face à l’annonce d’un nouveau massacre. Et nous, membres de votre gouvernement, n’allons rien faire pour y remédier“
Face à la montée des contestations suite aux multiples fusillades, Donald Trump a les mains liées. Financé à hauteur de 30 millions de dollar par la NRA, grand défenseur du lobby, le président des Etats Unis ne compte pas durcir la législation, au contraire. Quelques jours seulement après son investiture, il détruisait déjà les mesures de son prédécesseur et facilitait l’accès aux armes pour les personnes atteintes de problèmes mentaux et pour les aveugles.
Donald Trump s’est fait élire en promettant d’adoucir la législation et de redonner son éclat au deuxième amendement. Il a également renouvelé son soutien au lobby à plusieurs reprises, notamment en assistant au congrès de la NRA (il est le premier président à le faire depuis Reagan en 1983) et a assuré qu’il ne reviendrait pas sur le droit suprême du deuxième amendement.
C’est que la NRA se fait du mauvais sang : depuis le départ d’Obama, les ventes d’armes ont baissé et les vendeurs sont en grande difficulté. Le criminologue Thomas Gabor explique : “Les Américains ne sont pas des fétichistes des armes. Cela concerne une minorité, je dirais 10%“. En effet, selon une étude des universités d’Harvard et de Northeastern publiée en 2016, la moitié des armes en circulation dans le pays est détenue par 3% des Américains.
101 ARMES POUR 100 HABITANTS
Les Américains restent toutefois largement en tête du classement mondial des pays les plus armés. Pour 100 habitants, on compte une arme au Japon, 15 en France, 32 en Allemagne et 101 aux Etats Unis. Près de la moitié (48%) des 650 millions d’armes civiles en circulation dans le monde est ainsi détenue par des citoyens Américains.
Le nombre de morts par armes à feu est sensiblement plus élevé aux Etats Unis et ces dernières n’épargnent pas les plus jeunes : en 2017, le site Gun Violence recense 732 enfants et 3234 adolescents tués.
Si le nombre d'”incidents” armés stagne, le nombre de fusillades de masse est en augmentation. En dix ans, le pays a connu les massacres les plus meurtriers de son histoire : la tuerie de Las Vegas a laissé 59 personnes à terre (2017), celle d’Orlando en a tué 49 (2016) et les tueries de Blacksburg-Virginia Tech (2007) et de l’école de Newton (2012) ont fait respectivement 32 et 27 morts.
MARCHE OU CRÈVE
Mais toujours pas de quoi renverser le gouvernement. Toujours pas de quoi se dire qu’il faudrait envisager une révision de cette constitution écrite en 1787. Il aura fallu la fusillade du lycée de Parkland en Floride pour entendre crier dans les rues de Washington “ Enough is enough” (Trop c’est trop). Les jeunes survivants de la fusillade, comme Emma Gonzalez et David Hogg, ont fait de la lutte contre les armes le combat de leur vie. Bénéficiant d’une légitimité de victimes, ils sont rapidement devenus des activistes efficaces et des symboles dans tout le pays. Ils sont tellement bons dans les médias que l’extrême droite les a accusé d’être fake.
La grande marche organisée par le mouvement March for our lives ne faisait que suivre ces leaders adolescents débutants qui font trembler la génération d’avant. “Nous sommes le changement” disait une militante de la marche qui appelait les jeunes à voter et à s’inscrire sur les listes électorales. Bien que la majorité d’entre eux n’ait pas encore accès au droit de vote, leur entrée en politique est fracassante. La nouvelle génération promet une révolution dans les urnes d’ici quelques années, et se félicitent de cet engouement pour la démocratie.
AU DELÀ DES FRONTIÈRES
Plus de 800 marches se sont déroulées dans le calme samedi dernier, aux Etats Unis et ailleurs. Les métropoles comme Rome, Copenhague, Paris, Londres, Tokyo, ou encore -Brisbane en Australie ont défilé pour soutenir le combat de la jeunesse américaine.
Devant la foule urbaine de samedi, la petite fille de Martin Luther King s’est exclamée : “Mon grand père avait un rêve. Moi aussi : je rêve d’un monde sans armes“. Heureusement, elle n’est plus la seule.
Anne-Lyvia Tollinchi