Pendant les dernières années dans le monde entier, l’Allemagne est devenue connue pour être un pays fort sur le plan des relations internationales. Cette position est, pour beaucoup, associée à la femme la plus puissante en Allemagne : Angela Merkel. Étant la chancelière depuis treize ans, une Allemagne sans Angela Merkel est momentanément à peine imaginable pour le monde international et pour la plupart des Allemands mais cette situation est en même temps inévitable. Elle vient d’annoncer son renoncement à la fonction du chef de son parti conservateur et sa retraite des fonctions politiques après cette législature. L’amenuisement de son pouvoir est la conséquence de plusieurs évolutions en Allemagne et dans le monde dont quelques-uns seront traités ici.
La femme la plus connue et la plus puissante d’Allemagne
Malgré une certaine popularité, Angela Merkel reste aussi la femme la plus controversée et la plus critiquée d’Allemagne.
Née à Hambourg il y a 64 ans, elle a grandi en République Démocratique Allemande (RDA), elle a travaillé sur la chimie quantique avant de s’occuper avec des grandes questions politiques de son pays. A l’âge de 35 ans, quand le mur de Berlin a commencé à trembler, elle s’est finalement lancée dans les affaires politiques. En 1990, elle rejoint l’Union chrétienne démocrate (CDU), un des partis établis de l’Allemagne. Un an plus tard, dans une Allemagne réunifiée, elle est déjà Ministre fédérale des femmes et de la jeunesse dans le gouvernement de Helmut Kohl, le seul chancelier allemand ayant dirigé le pays pendant plus de seize ans.
A l’époque, qui aurait pu imaginer qu’en 2017, « la fille de Kohl » poserait sa candidature pour les fonctions de chancelière la quatrième fois, rattrapant vite son prédécesseur ?
L’Allemagne et sa chancelière Angela Merkel semblent être devenues inséparables comme la choucroute et la saucisse grillée. Mais dans les années, mois et semaines passées, cette normalité a subi des revers irréversibles.
La fin de Merkel comme chef de son parti
Le 29 octobre, Merkel a officiellement déclaré qu’elle se retirait du pouvoir dans son parti et dans l’Allemagne : elle a étonné son pays en annonçant qu’elle ne se présentera pas pour l’élection du Chef de parti au Congrès de la CDU du parti le 7 décembre 2018. Elle a aussi clarifié qu’elle n’aspirait plus à porter des fonctions politiques après la fin de cette législature en 2021.
Premier impact : de pertes lourdes pour le parti conservateur lors des élections parlementaires dans les régions de la Bavière et de la Hesse.
En Bavière, le parti frère de la CDU, la CSU (Union chrétienne-sociale), constitue traditionnellement le gouvernement, obtenant souvent plus de 50% des voix électorales. Cette année, la situation en Bavière a beaucoup changé après les élections : la CSU n’a obtenu que 37% des voix, une perte de 10% comparée à la dernière élection et, de manière surprenante, le parti vert a obtenu presque 18%. Ce n’est que la deuxième fois depuis 52 ans que la CSU dépend d’un autre parti pour former le gouvernement, un désastre politique pour les conservateurs.
Deux semaines plus tard, la région de la Hesse, au centre de l’Allemagne, a élu son Parlement et les résultats sont semblables à ceux de Bavière : les verts ont progressé énormément mais la CDU a enregistré son plus mauvais résultat depuis 1954 avec 27% des voix. Pendant la soirée de cette élection accablante pour la CDU, des débats sur l’avenir du parti se sont développés alors qu’il se qualifiait lui-même comme représentant les valeurs profondes de l’Allemagne : la politique fédérale allemande, marquée de pleins de crises, semblait être à l’origine des mauvais résultats.
Dans la CDU, les partisans et les adversaires de la chancelière commençaient à débattre sur la question d’un parti avec ou sans Angela Merkel. Cependant, Merkel ne semblait pas accepter de prendre sa retraite : elle n’avait jamais l’air de vouloir quitter ses fonctions politiques, elle s’était défendue contre toutes les critiques et avait clarifié qu’elle restera chancelière au moins jusque l’année 2021. Pour elle, rester chancelière voulait aussi dire rester à la tête de la CDU jusque la fin de la législature – elle avait toujours affirmé qu’il lui paraissait impossible de séparer les fonctions de chancelière et de chef du parti. C’est pourquoi la soirée du 28 octobre était marquée de désespoir et de confusion pour l’avenir de l’Union chrétienne-démocrate.
Au vu de cette soirée, l’annonce de Merkel le lendemain matin était d’autant plus imprévue. Néanmoins, ce n’est pas une décision spontanée de la chancelière : elle avait planifié de laisser la présidence du parti depuis plusieurs mois, sans le confier à personne. Les élections régionales ont juste eu une influence décisive sur le moment de son annonce, normalement elle voulait attendre le congrès à huis clos de la CDU une semaine plus tard.
Dans son annonce, Merkel a fait comprendre qu’un renouvellement entier serait nécessaire, ce qui rendrait impérieux des changements personnels à la tête du parti. Elle a avoué effectivement qu’elle porterait la responsabilité pour les mauvais résultats des élections régionales et elle les a reliés à la mauvaise réputation de la CDU à l’échelon fédéral.
Histoire de la CDU
Selon des sondages actuels, l’Union chrétienne-démocrate, un des deux partis allemands majeurs depuis longtemps, est tombée à entre 25 et 27% dans l’ensemble du territoire fédéral, ce qui fait reconsidérer son statut de « Volkspartei », c’est-à-dire de parti pour le peuple.
D’une part, il faut réaliser que les grands partis, comme la CDU et les sociaux-démocrates, ne veulent pas accepter le changement de la structure sociale en Allemagne. On pourrait dire que le peuple est devenu plus individualiste, que les gens ne s’attachent plus à un seul parti pour toute leur vie sans le remettre en question. Le comportement des électeurs est devenu plus flexible ce qui complexifie le succès des « Volksparteien » en général.
Mais de l’autre part, il est évident que la CDU sous la direction d’Angela Merkel a pris des décisions controversées, que le style du gouvernement actuel qui rassemble la CDU et la SPD (sociaux-démocrates) est peu populaire et que des crises gouvernementales donnent une assez mauvaise impression de la CDU et son chef.
À droite, Angela Merkel est très souvent critiquée pour sa décision d’accueillir près de 900 000 demandeurs d’asile en affirmant « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons ») en 2015. Cette décision a alimenté la montée des mouvements d’extrême-droite, comme Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes/Européens patriotiques contre l’islamisation de l’Occident) ou l’AfD (Alternative für Deutschland/Alternative pour l’Allemagne), parti d’extrême-droite qui s’est fondé en 2013 et qui se fait remarquer souvent par des propos radicaux et racistes. Beaucoup d’Allemands, qui se sont fâchés au regard de la politique d’asile et de migration de Merkel, se tournent vers l’extrême droite : l’AfD est entré dans le Parlement fédéral avec 94 de 709 sièges parlementaires en 2017 et son discours public porte désormais largement sur des ressentiments envers des réfugiés. En particulier, Angela Merkel est devenue un objet de haine pour l’extrême-droite ; elle s’est fait insulter par des manifestations d’extrême-droite, des milliers scandent « Merkel muss weg » (« Merkel doit partir ») dans les rues. Le chef de l’AfD, Alexander Gauland, avait annoncé : « Nous allons chasser Merkel et nous allons récupérer notre pays et notre peuple ».
En outre, la politique migratoire de Merkel a divisé les partisans de l’Union chrétienne-démocrate : d’un côté ceux qui donnent raison à la chancelière et sa ligne socio-libérale et de l’autre ceux qui s’appuient sur des valeurs conservatrices et qui sont sceptiques envers la migration. La CDU traversait et traverse encore une crise identitaire afin de résoudre ces tensions. Elle essayait de trouver une stratégie pour regagner les voix électorales de l’AfD, mais il n’était jamais clair s’il fallait aller plus à droite ou se positionner plutôt au centre. Pourtant, à cause de ce manque de clarté, la CDU semblait avoir perdu son orientation politique et sa crédibilité. Pour Merkel elle-même il est devenu de plus en plus compliqué de représenter un parti dont une majorité s’oppose directement à son style de politique. Récemment elle avait déjà essuyé un revers de la part de son groupe parlementaire : pendant les élections du président de ce groupe, le confident de Merkel, aux commandes du groupe parlementaire depuis 13 ans, a été renversé de manière inattendue et remplacé par un candidat beaucoup moins connu dans le parti.
Y ajouté, la « grande coalition » de CDU/CSU et SPD a déjà dû s’arranger de plusieurs crises sérieuses depuis le début de l’année, surtout causées par des désaccords du ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer (CSU) qui défend une politique plutôt droite et nationale, et Angela Merkel, soutenant des valeurs plus libérales. Ces crises, tournants avant tout autour de questions migratoires, ont pris beaucoup de place dans le discours publique et ont jeté une ombre sur le travail réel de la politique allemande. Angela Merkel apparaissait comme écartelée entre les conflits, essayant de concilier diverses opinions – nationalistes et sécuritaires, européennes et humanitaires. Elle avait compris qu’il n’y avait pas de solutions simplifiées et qu’il fallait faire des efforts afin de négocier les meilleurs résultats, mais quand même elle avait du mal à communiquer une ligne claire et des visions convaincantes pour l’avenir.
Même si les droites ont commencé à affaiblir la position de Merkel au pouvoir, on ne peut pas dire que l’annonce de sa retraite s’apparente à un échec envers les revendications des nationalistes. Il faut discerner que la CDU a aussi fait mauvaise figure à cause d’une nouvelle conscience écologique en Allemagne. C’est pour cela que non pas seulement l’AfD, mais aussi les verts ont emprunté beaucoup de voix électorales des conservateurs dans les élections en Bavière et en Hesse et dans les sondages des élections au Parlement fédéral. En ce qui concerne des solutions pour des défis écologiques comme le changement climatique, la sortie du charbon et les conséquences du scandale « Dieselgate », la CDU n’arrive pas vraiment à présenter des solutions progressives. Elle est critiquée pour être trop proche de l’industrie automobile et pour bloquer des discussions sur la sortie du charbon. Bien que Merkel affirme toujours l’importance de la lutte contre le réchauffement climatique, elle ne met pas assez d’effort afin de réaliser des projets concrets, ses déclarations ci-dessus restent toujours vagues et elle est refrénée par des plus conservateurs dans son parti. Maintenant les verts se présentent comme une vraie alternative et les électeurs allemands commenceraient à les prendre au sérieux pendant que les partis établis comme l’Union chrétienne-démocrate se perdent dans des discussions sur la migration et des tentatives désespérées de renouveler leurs images publiques.
On peut considérer que la décision d’Angela Merkel de se retirer des affaires politiques n’est pas la conséquence d’un seul évènement ou d’un problème particulier. A plus forte raison, il s’agit d’une décision bien réfléchie après un très long temps au pouvoir et après avoir surmonté de nombreux défis globaux, comme l’abandon de l’énergie nucléaire, la crise économique mondiale et la crise de la dette européenne ou l’arrivée de plein de personnes en quête de protection. En plus des challenges concernant la politique intérieure, comme des problèmes à former une coalition, des tensions dans l’Union chrétienne-démocrate et celles avec le parti frère, au niveau des régions et au niveau fédéral, donnent l’impression que l’Union chrétienne-démocrate autant que l’Allemagne ont besoin d’un renouvellement de fond. Angela Merkel a bien compris qu’elle a guidé l’Allemagne à travers beaucoup de défis, mais que maintenant il est temps de se montrer responsable pour les problèmes et de passer ses fonctions à quelqu’un d’autre en dignité afin de laisser libre cours aux développements en Allemagne.
L’Allemagne et le monde restent curieux sur lequel des successeurs potentiels va reprendre ses fonctions dans le parti le 7 décembre et, probablement, poser sa candidature pour la prochaine chancellerie. Dépendant du candidat ou de la candidate qui sera élu comme chef du parti, pour ou contre la ligne de Merkel, ce vote pourrait aussi revenir à une fin de la chancellerie d’Angela Merkel plus vite que prévue, par raison des désaccords insupportables entre elle et le nouveau chef du parti ou de la coalition qui se brise. Sans doute un débat fort sur l’avenir de la CDU va se dérouler, il reste à voir si dans les années prochaines l’héritage libéral d’Angela Merkel, la première chancelière de l’Allemagne, va être gardé dans son parti et dans le pays.
Annika Liebert