Nombre de personnalités illustres se sont succédés au poste de Président du Conseil. Néanmoins dans l’histoire politique contemporaine, c’est bien la figure de Pierre Mendès France qui incarne le mieux ce poste clé des 3ème et 4ème républiques. En effet, après un passé reconnu de résistant pendant l’occupation, il s’est très vite inscrit comme un personnage incontournable dans la vie politique de la quatrième République et son instabilité chronique. Comment ce personnage si particulier, ce véritable héros républicain, s’est-il inscrit dans les pages de l’Histoire, en seulement sept mois d’exercice du pouvoir, de 1954 à 1955 ?
Une action politique à part
Comment la figure de Mendès France s’impose-t elle donc dans le contexte de l’importante valse ministérielle de la 4ème République ? Comment expliquer qu’il est probablement l’une des rares figures notables des 24 gouvernements qui se sont succédés pendant les 12 années du régime ? En réalité l’enthousiasme suscité par cette figure majeure de notre Histoire politique, est à la mesure de la déception provoquée par la 4ème République en 8 ans d’existence. Les sept mois de mandat de Mendès France se caractérisent donc tout d’abord par une action politique à part.
On se souvient d’abord de Pierre Mendès France comme le nécessaire ouvrier de l’enterrement d’un empire colonial déjà à l’agonie. Militant en faveur de l’indépendance Indochinoise bien avant le début de son mandat, il est finalement appelé en vrai liquidateur de l’empire à la suite de la débâcle de Dien Bien Phu. Il s’agit alors de limiter les dommages en négociant un retrait définitif des troupes françaises et un retour rapide des prisonniers de Guerre. Néanmoins l’indépendance indochinoise et le traité de Genève qui la concrétise, ne sont qu’un aspect de cette décolonisation nécessaire. En effet, Pierre Mendès comprend très vite la profondeur des rancœurs au cœur des troubles qui secouent l’empire. La fin de l’Indochine française est par ailleurs suivie de la promesse d’une indépendance effective du Maroc et de la Tunisie dès 1956. Les espoirs d’un certain répit dans l’espace colonial sont très vite enterrés par le début de l’insurrection algérienne, qui aura finalement raison du gouvernement.
Au-delà de sa politique coloniale, Pierre Mendès France s’impose rapidement auprès de l’opinion comme un réformateur efficace, comme une éclaircie au cœur de la déception que constitue le régime. En effet, s’il est un fervent partisan de la République démocratique et parlementaire, sa loyauté n’en est pas moins sévère. Admirateur du président Roosevelt, il se donne également 100 jours pour modifier en profondeur le pays, et adopte pour chaque mesure une démarche très pédagogique. Conscient de l’impuissance du parlementarisme sauvage et du retour des vieux démons de la 3ème république, il entreprend un certain nombre de réformes institutionnelles visant à limiter l’instabilité ministérielle par un renforcement relatif de l’exécutif. Malgré les majorités d’idées assurées par le déjà talentueux François Mitterrand (alors jeune ministre de l’intérieur), ces politiques lui valent l’hostilité des parlementaires y compris au sein de son propre parti radical socialiste. Aux contestations liées à la liquidation de l’empire colonial et aux réformes institutionnelles, s’ajoutent un certain nombre de provocations calculées du Président du conseil. On peut par exemple noter le combat livré contre le fléau de l’alcoolisme qui fait trembler les fondements traditionnels de la France des bistrots. Ainsi nombre de spécialistes s’interrogent aujourd’hui sur la possibilité ratée d’un sauvetage de la 4ème République qui ressemblait alors de plus en plus à sa prédécesseur, les convictions en moins. A l’image d’un Andropov à la fin de l’ère soviétique, Pierre Mendès France aurait-il pu sauver la 4ème république ?
Une personnalité qui marque les esprits.
Au-delà d’une action politique remarquable de part sa clairvoyance et son appréhension des enjeux futurs, Pierre Mendès France marque la conscience collective par sa personnalité particulière. Il est tout d’abord l’incarnation d’une vertu républicaine mise à mal par une série de scandales financiers et l’impuissance parlementaire qui décrédibilisent le régime. Résistant de la première heure puis ministre du gouvernement provisoire, il ne tombe pas non plus dans le suivisme communiste comme nombre de ses camarades de jeunesse, mais demeure fidèle à sa foi envers le vieux parti radical. Il bénéficie très rapidement d’une très forte popularité en raison de son audace et de son exceptionnelle compétence, faisant ainsi figure d’exception au sein d’un paysage politique globalement décevant. Toujours intègre dans ses opinions, il fera par exemple toujours preuve d’un immense respect dans les nombreuses oppositions qu’il continuera à avoir avec le général de Gaulle.
Par ailleurs, le pragmatisme de l’action politique de Pierre Mendès France réside également dans l’aspect très cynique de sa personnalité. Cet homme qu’Alexandre Adler définit comme un « pessimiste souriant », démontre une incroyable capacité d’analyse et d’appréhension des grands enjeux de son temps. C’est cette combinaison entre intégrité idéologique, pessimisme et pragmatisme qui font de Pierre Mendès France le héros républicain tel qu’il est déjà perçu à l’époque.
Malgré son immense popularité, Pierre Mendès France refusera d’occuper un poste exécutif dès son départ en février 1955 tout comme la possibilité d’une alliance avec le parti communiste. S’inscrivant dans l’opposition de gauche à la nouvelle constitution, il intègre plus tard le Parti Socialiste Unifié dont il restera un simple militant jusqu’en 1967. Pourtant nombreux sont ses indéfectibles soutiens comme le quotidien L’express (originellement mendésiste). A plusieurs reprises il va refuser les rappels de ses partisans comme notamment lors de la crise de mais 68. Malgré cette disparition des plus hautes sphères politiques, Pierre Mendès France n’en oublie pas moins ses convictions. Il demeurera ainsi l’adversaire privilégié du général de Gaulle à qui il ne pardonnera jamais le « semi coup d’Etat » de 1958. Pourtant le général lui-même reconnaitra à de nombreuses reprises la valeur de Mendès France, ce qui traduit un respect teinté d’une certaine affection dans la conflictualité politique qui sépare ces deux illustres personnages.
C’est donc une action politique remarquable et la personnalité si particulière de Pierre Mendès France qui lui ont permis de s’inscrire dans les pages de l’histoire en seulement sept mois d’exercice du pouvoir. Son immense popularité s’étendra d’ailleurs bien au-delà de sa mort en 1982. Ainsi comme le résume Alexandre Adler : « Un certain nombre de français se demandent encore si la pensée de Mendès France était une utopie nostalgique, ou une incroyable anticipation pleine d’espoir d’un monde qui vient. »
Mehdi Cattez