Dans le cadre de sa tournée dans toute la France pour parler de son nouveau livre L’avenir, c’est l’esprit public, la député Clémentine Autain s’est rendue le 4 avril dans nos locaux pour une conférence organisée par L’Arène, après avoir reçu plusieurs médias étudiants lillois pour un point presse.
Clémentine Autain est venue nous parler de l’importance de reconstruire notre vision du commun, estimant qu’il existe aujourd’hui un problème dans la capacité à penser et à investir dans ce domaine. Selon elle, il faudrait étendre l’espace du commun, pour que le monde ne soit pas guidé par la recherche du profit, avec un Etat qui ne devrait pas tout faire mais être le pilote, le guide, de cette motivation. Dans les prochaines lignes, vous retrouverez un compte-rendu non exhaustif de sa conférence sur ce thème, suivi de la retranscription du point presse.
C’est dans un amphi presque vide, rempli d’un bon nombre de militants, que la député a fait sa conférence. A sa gauche, c’est Anaïs qui lui posait des questions. La première interrogation portait sur ce que sont les symptômes du déclin français dont parle Clémentine Autain dans son livre. La député répond, exemple pour exemple, par ce que l’on trouve déjà dans l’introduction de son livre : le déclin du service public français se voit à travers les hôpitaux publics surchargés, les femmes victimes de violence domestiques à qui l’on ne propose pas de solution d’hébergement et qui doivent rester au domicile où se trouve leur conjoint violent.
Ce qu’elle entend par esprit public, c’est trois choses : tout d’abord, la mise en commun respectueuse de la planète, mais aussi un Etat stratège capable d’anticiper, et enfin la démocratie (partout).
Anaïs enchaîne avec une question sur la critique que fait Clémentine Autain du néo-libéralisme et la capacité de cette critique a être entendue et comprise en France. Selon elle, la société ne fonctionne pas et les français en sont très conscients. Ils verraient, par la dégradation du service public notamment, que la fable vendue par le modèle néo-libéral n’est plus crue. Il faudrait donc réinventer le «nous», un «nous» qui serait totalement contradictoire avec le «nous» prôné par l’extrême-droite, parce que cette vision de la société se construit sur un «eux» excluant. Selon elle, la bataille des identités n’a pas d’issue autre que la guerre civile. A son avis, la droite a une vision destructrice des services publics, avec en horizon une recherche de rentabilité qui n’est pas viable, par la privatisation, quand selon elle le privé et ses logiques de management ne font pas mieux que le service public.
L’Arène interroge ensuite la député sur sa critique du « court-termisme » et quant à la manière de replacer la planification dans la politique. Selon elle, il faut entamer une réflexion sur le temps long, ce qui ne serait pas le cas aujourd’hui. La député parle alors de créer une Chambre du futur pour mieux ancrer la politique dans une perspective longue, sans pour autant réellement savoir ce que ferait cette chambre. Elle évoque quelque chose qui pourrait être similaire aux conventions citoyennes, qui mêleraient des représentants politiques et citoyens.
Pour mettre en place l’esprit public, il faudrait donc notamment lutter contre « le grand déménagement », mettre en place un meilleur maillage d’action entre les associations, l’économie sociale et solidaire et l’Etat. Il faudrait donc beaucoup plus impliquer le citoyen, et démocratiser encore plus la politique. L’Etat doit s’impliquer davantage, mais cela ne doit pour autant pas ressembler à ce qui était fait en URSS par exemple.
A la question de l’avenir de la gauche, Clémentine Autain répond que la priorité c’est de se rassembler face au danger imminent que représente l’extrême droite. Un RN aux portes du pouvoir qui est loin d’être réfractaire à des personnalités politiques telles que Donald Trump ou Vladimir Poutine, c’est à craindre. Mais la tripolarisation du jeu politique français complique la tâche, avec un accès au second tour complexe pour la gauche. Pour y parvenir, la gauche doit se fédérer, mais elle ne le fait pas, parce qu’elle est coincée dans ses considérations partisanes.
C’est ensuite un temps qui est donné au public pour qu’il puisse poser ses questions. Ce dernier ne se bouscule pas. Quelqu’un questionne la logique entre la volonté de fédérer la gauche et la création d’une énième force politique. A cela, Clémentine Autain que puisqu’il s’agit de rassembler, il n’est pas du tout incohérent de rassembler des forces multiples. L’union, c’est justement le pluralisme.
Pierre Mathiot questionne la député sur son approche qui serait peut être trop stato-centrée, quand les services publics sont beaucoup administrés par des entités décentralisées comme les collectivités locales ou les associations. Selon Clémentine Autain, l’Etat est le principal acteur du service public dans la mesure où c’est lui qui alloue les budgets. En ce sens, si une collectivité n’est pas en mesure de fournir les services nécessaires, c’est surtout la faute de l’Etat. Pierre Mathiot se questionne aussi sur la dépense, faut-il dépenser plus ou dépenser mieux ?
Rémi Lefebvre prend ensuite la parole pendant de longues minutes, faisant d’abord l’éloge du livre, d’une écriture dont les politiciens d’aujourd’hui ne seraient dans la majorité plus capables. Il revient sur la question de Pierre Mathiot en ajoutant une réflexion intéressante : l’Etat dépense aujourd’hui beaucoup en subventions vers les entreprises privées. Or, cette acceptation d’aides étatiques par les entreprises est totalement contraire au néo-libéralisme duquel beaucoup d’entreprises se revendiquent. Selon Rémi Lefebvre, l’efficacité économique ne devrait pas être le monopole de la droite. Durant son long monologue, le politiste est aussi revenu sur la question du trop grand nombre de niveaux de collectivités locales qui selon lui complexifie l’application des politiques publiques. Ce serait une question tabou pour la gauche, qui bénéficie de beaucoup d’élus locaux.

De l’autre côté de l’amphithéâtre, Pierre Mathiot regarde sa montre en souriant. Rémi Lefebvre continue et s’attaque désormais à l’absence de politiques culturelles à gauche, et donc à l’absence de cet aspect dans le livre de Clémentine Autain.
La politique culturelle sert les intérêts des classes dominantes, Rémi Lefebvre
Par ailleurs, selon lui, la gauche n’est pas assez fidèle sociologiquement à qui elle veut représenter. A cela, Clémentine Autain se dit favorable à l’instauration d’une parité sociale, seul moyen d’arriver à une réelle égalisation. De manière générale, elle acquiesce aux remarques soulevées par Rémi Lefebvre.
Enfin, dernière question de l’auditoire sur la position et le discours à tenir pour ramener vers la gauche des gens qui votent à l’extrême droite. Clémentine Autain explique que la cacophonie qui existe à gauche est un problème, mais qu’il n’y a pas de fatalité à la montée de l’extrême droite. Souvent, la gauche est perçue comme donneuse de leçons, comme moralisatrice et remplie de nouveaux interdits, alors qu’avant, elle proposait plutôt de donner plus de liberté. C’est donc cette doctrine qu’il faut changer, sans changer les thèmes abordés, mais en les appréhendant différemment, pour redonner goût à la gauche.
La conférence s’est conclue sur une séance de dédicaces du nouvel ouvrage de la député.
La Manufacture, SPLTV et La Roue Libre, trois médias étudiants, étaient présents en amont de la conférence pour questionner Madame Autain. Nous avons préféré vous retranscire l’échange dans son intégralité.
SPLTV :
Pourriez-vous faire une petite présentation générale de votre ouvrage ? Pourquoi vous avez décidé de l’écrire ? Est-ce qu’il y a un événement en particulier qui vous a amené à le rédiger ?
Plusieurs, en fait. C’est une combinaison. D’abord, je pars, comme vous l’avez vu, si vous avez jeté un œil, de la question des besoins, qui me paraît être la grande question du XXIe siècle. De quoi avons-nous besoin ? C’est une question toute simple, et pourtant, elle est révolutionnaire, je pense. Parce qu’organiser notre appareil productif en fonction des besoins de la population, c’est exactement ce que ne sait pas faire le capitalisme, qui, lui, part des besoins du capital pour créer des besoins artificiels chez nous tous. C’est une mécanique inverse de ce qu’on connaît depuis que le capitalisme est là. C’est pourquoi je pense que la question des besoins est très importante. Qui peut satisfaire les besoins ? Ce n’est pas le monde marchand. Ce n’est pas le système capitaliste. Donc, qu’est-ce que c’est ? Ma réponse, c’est l’esprit public, c’est-à-dire d’avoir la volonté de faire reculer le monde marchand pour démocratiquement décider de ce que sont nos besoins et pour avoir une industrie, des services qui sont chargés d’y répondre dans un état d’esprit, d’intérêt général, d’universalité des droits, d’égalité.
C’est une manière de répondre à la question des besoins. La deuxième, c’était l’enjeu posé par François Ruffin sur « les bourgs et les tours », je dirais les classes populaires des villes et des campagnes : comment les relier ? J’ai toujours eu l’obsession de savoir ce qui pouvait les fédérer entre elles. Il me semble que la question des services publics, et c’est pour ça que je suis partie aussi de ces services publics, est très reliante. Est-ce que des problématiques existent ? Par exemple, chez moi, je suis en Seine-Saint-Denis, dans des quartiers populaires, et ce que je peux découvrir quand je vais dans l’Arriège ou je ne sais pas où, en Bretagne ou ailleurs, au fond, on voit que ce sont des problématiques communes. L’hôpital, l’école, les transports sont des sujets du quotidien et qui ne sont pas exactement de même intensité.
Il peut y avoir des spécificités, mais la problématique est la même, c’est qu’on a cassé ces services publics et ça a créé de l’abandon. Et sur ce terreau de l’abandon, il y a du ressentiment, et ce ressentiment, c’est l’extrême-droite aujourd’hui qui l’exploite. J’arrive à la conclusion qu’il faut investir dans ces services publics, qu’il faut que la puissance publique ait à nouveau du sens.
Hier, j’étais chez ArcelorMittal, l’État ne fait rien du tout. Il voit les entreprises faire des plans sociaux en chaîne. Il n’y a pas de pilote dans l’avion. Ce que je dis, c’est qu’il faut un pilote dans l’avion pour développer la réponse aux besoins, et donc ça passe par ces services publics qui sont délabrés partout. Et ça, c’est quelque chose qui peut potentiellement fédérer entre les besoins des classes populaires, des villes et des campagnes. C’est notamment ces deux questions-là qui m’ont amenée à travailler l’enjeu de l’esprit public. En fait, en partant des services publics, je me suis rendue compte que leur état de délabrement que je constate moi et que vous constatez, qu’on constate tous, les gens qui meurent sur des brancards dans les urgences, les écoles où les profs n’en peuvent plus, c’est en fait quelque chose qui n’est que le bout de la chaîne de décisions qui sont prises au sommet et qui se délitent au sommet de l’État lui-même, puisque l’État s’est dépossédé de sa capacité d’agir.
Les hauts fonctionnaires aujourd’hui font privé, public, privé, public et ils ne savent plus ce qu’ils servent comme intérêt général, pas tous, mais une partie, une petite caste qui fait ses allers-retours en va-et-vient et qui a donné plein de parts au privé et qui a importé les normes du privé en termes de management dans le public et c’est tout ça qui est en train de dynamiter en fait tout l’espace public, le service public et les gens ont l’impression qu’ils payent de plus en plus d’impôts, de taxes et qu’ils ont un service qui est toujours moindre et ça, ça crée de la détestation des institutions de l’État et ça encore une fois, c’est le terreau de l’extrême droite.
Donc réinvestir le public, le public qui est le commun, historiquement, dans la Rome antique, public, ça voulait justement dire ce qui n’était pas dans le monde marchand, ce qui échappait au monde marchand, donc réinvestir ce public-là, c’est ce qui permet de démarchandiser la société, c’est ce qui permet de redonner confiance dans nos institutions et c’est ce qui permet de satisfaire les besoins fondamentaux de la population et pour tout le monde, pas pour une poignée en haut, pour tout le monde.
La Manufacture :
Et concrètement, comment redynamiser les services publics dans les campagnes, dans les quartiers populaires, en termes très concrets, ça se ferait comment ?
Déjà, il faut des moyens, ça paraît assez évident, mais pas seulement, mais déjà des moyens, donc c’est pour ça qu’il y a toute une partie dans mon livre qui est consacrée à l’impôt, parce que je pense qu’il faut réhabiliter l’impôt et il faut que l’État soit stratège dans sa dépense publique et que par exemple, elle arrête de dilapider l’argent dans des aides qui coûtent des dizaines de milliards aux grandes entreprises sans contrepartie, ni sociales, ni environnementales, ça c’est ce qu’on appelle la politique de l’offre, en espérant que ça ruisselle et puis à la fin, tout le monde voit que ça ne ruisselle jamais, ça ne ruisselle pas. Donc il faut être stratège et il faut que l’impôt pour être réhabilité, il faut que les ultra-riches paient l’impôt et c’est pourquoi on a d’ailleurs déposé avec ma collègue Eva Sas, il y a quelques semaines, une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour taxer à hauteur de 2% le patrimoine de ceux qui ont plus de 100 millions d’euros de patrimoine, c’est énorme. Et juste en taxant 2%, c’est l’idée de Gabriel Zucman qui est un grand économiste, on peut mettre dans les caisses de l’État entre 15 et 25 milliards d’euros. Moi ce que je dis, c’est qu’il faut commencer par là, il faut que les hyper-riches contribuent à l’impôt au même titre que tout le monde, or aujourd’hui, ils échappent à l’impôt, ils contournent l’impôt par toute une série de mécanismes et ce n’est pas seulement l’évasion fiscale et c’est ce qui fait, comme je ne cesse de le redire, qu’aujourd’hui la moyenne des Français paie 50% d’impôt et les ultra-riches combien paient-ils ? Enfin, c’est-à-dire d’impôt, de cotisations sociales et de taxes, tout compris, je mélange tout, y compris les cotisations sociales. Donc nous tous, par rapport à notre revenu, on paie 50% en moyenne et eux, ils paient 27%, donc en fait ils paient proportionnellement moins d’impôt que la moyenne des Français et donc pour réhabiliter l’impôt, il faut commencer déjà faire en sorte que ceux qui ont le plus contribuent déjà au moins autant que la majorité des Français. Ce n’est pas possible sinon.
Donc voilà, je pense qu’autour de l’impôt, des aides publiques, d’une stratégie d’État aussi dans les moyens, il y a remettre de l’esprit public au sommet de l’État dans ceux qui prennent des décisions publiques, arrêter d’aller demander à des agences de conseil qu’on paie des fortunes leur avis sur comment régler tel ou tel problème et faire en sorte que nous ayons nous-mêmes, parmi nos fonctionnaires, les compétences et on les a en fait, pour nous-mêmes décider soumettre aux élus des éléments qui sont des éléments construits avec un souci d’esprit public et non pas donnés au privé qui conseille maintenant le public. Ça veut dire aussi changer le management à l’intérieur de tout cet espace public qui est très important et qui aujourd’hui est gangrené par la politique du chiffre. La logique de rentabilité c’est la T2A à l’hôpital par exemple très concrètement et ça, ça ne peut pas marcher.
Vous ne pouvez pas demander un service public d’avoir pour objectif d’être rentable, d’être rivée uniquement sur la politique du chiffre. Il doit rendre un service avec humanité, avec égalité et donc ça, les objectifs en fait qui sont demandés aux agents ne correspondent pas à des objectifs conformes à l’esprit public. Donc ça rend les choses terribles parce qu’en fait c’est les économies qui sont sans cesse recherchées, des économies pour pouvoir payer les politiques en faveur des riches et des grands groupes.
Parce qu’on a supprimé l’ISF, quand on prend l’ISF, la flat tax, toute une série de mesures, les CICE autrefois et puis la suite des politiques fiscales, des politiques d’aide d’État très favorables aux grands groupes, quand on met tout ça bout à bout, ce sont des fortunes qui sont dilapidées et qui en supportent le coup, c’est évidemment les contribuables, les foyers, les ménages qui contribuent mais c’est aussi les agents du service public et donc les usagers aussi par la détérioration du service puisqu’on demande de faire des économies partout et plus on fait des économies, moins ça marche. C’est logique et une fois que ça ne marche pas, on dit regardez ça ne marche pas, il faut privatiser. Sauf que la privatisation, elle ne permet pas de répondre aux problèmes.
La preuve par les EHPAD, on voit bien que le privé ne peut pas, ne sait pas faire puisque lui ce qu’il cherche c’est à dégager des profits et la preuve suprême, je pense que c’est quand même l’exemple du chemin de fer anglais où en Angleterre, vous savez Thatcher a vraiment initié les politiques néolibérales et elle a privatisé le rail et au début on a dit c’est formidable, tout le monde doit faire comme ça, c’est ça l’avenir, le public ne sait pas faire sauf qu’ensuite on a eu des retards en chaîne, des accidents et l’Angleterre vient de renationaliser son système ferroviaire. C’est dire le bout de la chaîne. C’est qu’une fois que tout est en lambeaux et qu’on ne sait plus faire, qui est-ce qui vient à la rescousse ? Eh bien c’est le public.
La Roue Libre
Moi j’ai une petite question sur pourquoi réinvestir l’esprit public ? Comme je le comprends, il y a quand même aussi la notion de redonner la notion du commun aux gens. Est-ce que c’est la bataille idéologique d’une société de plus en plus individualiste, de plus en plus atomisée ? Est-ce que c’est encore possible de redonner une certaine conscience, une forme de conscience de classe ? C’est une bataille idéologique qui a un peu été perdue. Est-ce que c’est possible de reprendre cette bataille ?
On ne gagne que les batailles que l’on mène. Si on ne les mène pas, on est sûr d’avoir perdu. Si on la mène, ce n’est pas sûr. C’est le seul moyen de gagner. Donc je pense qu’il faut la mener. Et le diagnostic que je pose, en effet, c’est que la société est malade du nous. Elle est malade précisément de désinvestissement dans le cadre commun. Et on ne sait plus faire société. D’ailleurs, je parlais de Thatcher tout à l’heure. Elle dit qu’il n’y a pas de société, il n’y a que des individus. Donc la destruction de la société est un projet politique porté par les néolibéraux. Et à partir de là, en réalité, à la fin des fins, ce sont les individus qui n’ont plus la possibilité de devenir libres parce qu’ils n’en ont plus les capacités. Quand vous n’avez pas un toit sur la tête, que vous ne pouvez pas vous soigner, que vous n’avez pas accès à l’éducation, à la culture, à la mobilité, vous ne pouvez pas être un individu libre. Donc en fait, il y a un va-et-vient entre le je et le nous, entre l’individu et le collectif qui est essentiel à l’épanouissement individuel et au fait de faire société.
Mais mon diagnostic, c’est qu’aujourd’hui, ce qui est profondément malade, c’est l’espace commun, le collectif, le nous, qu’il faut réinvestir pour permettre aux individus de devenir pleinement émancipés. Et l’extrême droite, elle, elle investit le nous à sa manière puisqu’elle, le nous qu’elle propose, c’est un nous de « on est chez nous ». C’est le nous qui exclut l’autre, en fait. On est nous parce qu’on est le nous contre les étrangers, contre les musulmans, contre les parasites.
C’est-à-dire qu’en fait, on ne se définit en collectif qu’en excluant plus dominés que nous. Et la proposition que je fais avec notre nous, à nous, c’est, au contraire, d’être un nous incluant, d’être un nous de partage, d’être un nous de mise en commun, d’intérêt général. Et ce n’est pas du tout le même nous.
C’est un nous inclusif, alors qu’eux, ils sont sur un nous qui exclut. Et ça, c’est une bataille fondamentale face à l’extrême droite, face au trumpisme. On est au cœur, on est presque au cœur de la bataille.
La Manufacture :
Et comment est-ce que, dans les esprits, vous essayez de construire ce nous ? Ce nous, vraiment, c’est une bataille dans les idées. Comment est-ce que vous pensez qu’on peut faire pour construire un nous ?
D’abord, il y a du déjà-là. Et là, je reviens à l’instant où on était à la vie… Alors, ça s’appelle la vie est bête. La vie est belt, à Roubaix. Je prends un exemple. Hier soir, c’était pareil, en fait. Ça fait deux jours que je suis là, et je ne vois que ça. Hier soir, j’étais avec Utopia 56.
Donc, voilà des gens qui se sont auto-organisés pour aller venir en aide aux migrants qui sont sur la côte et qu’on laisse crever en attendant qu’un bateau de fortune les emmène de l’autre côté de la mer. C’est ça qui est en train de se passer. Et là, on a des individus, des gens, qui se mobilisent, qui font une association, des bénévoles, et qui font le travail qui devrait être fait par l’espace commun, par la puissance publique.
Ils ne le font pas, des gens le font. De la même manière, tout à l’heure, j’étais avec la vie est left, belt ? Comme je suis fatiguée, en plus, ça ne imprime pas. Belt, voilà. Et donc, c’est une entreprise, ils sont huit, et ils ont décidé de recycler des pneus de vélo pour en faire des ceintures. Ça, c’est de l’intelligence collective. Ça a du sens. Il y a du déjà-là. Il y a beaucoup de gens, et notamment dans la jeunesse, qui n’en peuvent plus de cette société qui n’a pas de sens commun, le sens du commun, et qui veut investir son énergie à être solidaire, à être vertueux sur le plan écologiste.
Il y en a plein, en fait. Des expériences comme ça, il y en a plein. Je pense que la société telle qu’on la dessine et qu’en fait, on la dessine à gauche, elle ne part pas de rien.
Elle part du déjà-là qui existe, et d’une soif, au contraire, de faire des choses qui ont du sens et qui permettent de faire vivre notre belle devise de liberté, d’égalité, de fraternité. Je ne trouve pas ça très… Je pense qu’il y a déjà des gens à mobiliser. Ils sont déjà mobilisés, mais à mobiliser ensuite politiquement.
Qu’on fasse force commune et qu’on se déploie, mais je ne dirais pas qu’on ne parle de rien et que nos principes sont des années-lumière de ce que la population française pense. Je ne le crois pas. Je pense que ça existe. Maintenant, il faut se rendre compte de notre force et la faire grandir, en être fiers, l’apporter de manière aussi décomplexée. Et je pense que ce sera possible quand un nombre suffisamment grand de gens le portera. Donc ce qu’il faut, c’est réveiller le désir de cette autre société, de le rendre contagieux, joyeux et ensuite de l’étayer.
Et la question des moyens arrive souvent, on dit mais ce n’est pas possible, etc. Et je pense que c’est pour ça que j’ai fait tout un chapitre sur les enjeux fiscaux, d’impôts et de pilotage par l’État des choses, parce qu’en réalité ce n’est vraiment pas compliqué de faire mieux que les Mozart de la finance qui nous ont mis dans le mur budgétaire et dans le mur tout court. C’est compliqué en vrai.
SPLTV :
Vous évoquiez justement l’extrême droite qui se nourrissait de ce ressentiment-là pour attirer des électeurs. On l’a vu dans certains de leurs discours, ils ont des faiblesses quand il s’agit de parler des services publics. Pourquoi le programme de l’extrême droite ne peut pas répondre aux enjeux que posent les services publics aujourd’hui ?
C’est absolument impossible puisqu’ils sont pour détruire l’État. Ils l’ont dit d’ailleurs dans le grand rout à Washington de toute l’internationale des néofascistes très libéraux sur le plan économique. Le premier point d’accord entre eux, Javier Milei avec sa tronçonneuse là, vous voyez bien, Trump, cette grande internationale là, ils étaient d’accord en premier point pour dire qu’il faut détruire l’État. Et dans le programme du Rassemblement national, il y a cette destruction de l’État. Et ils veulent diminuer les impôts. Ils votent toujours contre quand il s’agit de taper les plus riches. Donc il n’y a aucune volonté d’étendre l’espace public en fait, le domaine géré par le public. Et ils sont tout à fait acquis aux normes libérales sur le plan économique. Quoi qu’ils racontent. Là pour le coup, il y a vraiment une arnaque.
Il y a une arnaque entre ce qu’ils racontent, parfois même on les voit, on voit des élus d’extrême droite qui vont dans les manifestations soutenir les hôpitaux. Mais là, c’est très typique de l’opportunisme des fascistes. Historiquement, ils ont toujours été comme ça sur le plan économique. Ce qui les soude, c’est l’identité, la question de l’identité. C’est sur ça qu’ils sont, c’est ce qui les rassemble. Et c’est le discours essentiel qu’ils donnent à voir. Le mal premier, c’est les immigrés, les étrangers, les parasites. C’est le discours sur l’identité.
Et quand on regarde sur le plan économique, ils sont opportunistes. Donc ils peuvent raconter qu’ils veulent défendre l’hôpital, mais si vous regardez leur programme, il n’y a aucun moyen qu’ils se donnent pour consolider l’hôpital, consolider notre école, consolider, développer les transports publics. Et je ne parle pas de la transition écologique puisque le déni sur le réchauffement climatique, le dérèglement climatique, il est quand même très grand à l’extrême droite.
Donc il y a un opportunisme, une arnaque et c’est aussi à nous d’être capables de la démanteler, de la donner à voir. Ce matin, on était aussi avec des représentants du monde de la culture qui racontaient ce que fait l’extrême droite à la culture. Alors pas seulement l’extrême droite, c’est-à-dire que ça commence à avoir de pâles copies, mais il y a une volonté de ne pas subventionner, de laisser de côté tout ce qui permet aux êtres sensibles que nous sommes de nous développer, de l’être plus encore.
Ce qu’ils appellent une intelligence qui est aussi une intelligence émotionnelle. Et eux ne veulent pas de ça du tout. Et donc, comme en Italie, on voit une mainmise sur la nature des spectacles et des budgets qui sont sans cesse réduits pour faire vivre les arts et la culture, la création. Ce sont des ennemis de la création, des ennemis du développement de cet espace sensible qui est pourtant essentiel pour qu’on devienne des individus épanouis.
La Roue Libre :
Votre projet est ambitieux et on sait que la gauche pour une victoire aux élections a besoin d’une union. Jusqu’où ? Qu’est-ce qu’on ne va pas lâcher ? Où est la ligne rouge ?
Il faut quand même prendre les choses à mon sens. Dans un premier ordre, c’est de constater qu’on a une vague brune à l’échelle planétaire et une menace de l’extrême droite au pouvoir. Ma première question, ce qu’il ne faut pas lâcher pour commencer, c’est l’objectif d’union pour pouvoir gagner. Je pense qu’il faut être extrêmement déterminé à se dire que dans la tripartition du champ politique, si on y va façon puzzle à gauche, on laisse le boulevard à l’extrême droite. Ma première intention, c’est de réussir cette union. Elle est aujourd’hui difficile et malmenée.
Après, il faut qu’on se mette autour d’une table et qu’on travaille. Pour moi, la copie de départ, c’est le programme du nouveau Front Populaire. Je me battrai tout ce que je peux pour avoir le programme le plus ambitieux et que surtout, on ne retourne pas dans les vieilles solutions à l’eau de rose. C’est fondamental. Mais c’est une question collective.
Si on veut créer de la dynamique dans le pays, il faut qu’on ait un programme qui propose de transformer la société profondément et qui apporte des solutions pour les classes populaires. S’il s’agit d’en rabattre sur tout, en fait, on ne va pas gagner. Ce n’est pas simplement une histoire de ce que je ne veux pas lâcher, comme si j’étais sur un tour de table et si ce n’est pas comme ça, je m’en vais, mais de convaincre que c’est sur la base d’un projet de transformation profonde que nous pourrons l’emporter dans le pays. C’est ça que je ne vais pas lâcher. C’est cette bataille de conviction à l’intérieur de la gauche que c’est comme ça qu’on va pouvoir gagner et que c’est comme ça qu’on va pouvoir changer la vie de nos concitoyennes et concitoyens et qu’on a été bien payés avec le quinquennat de Hollande pour savoir que si on dit dans une campagne mon ennemi c’est la finance et qu’au final c’est pour se mouler dans les normes néolibérales, ça ne donne rien. Du dégoût pour la politique et du dégoût pour la gauche.
Donc ce qu’on a à remonter, c’est une pente aussi par rapport à ça. Et je crois que c’est toute la gauche qui doit en prendre la mesure. Je ne veux pas commencer, je pense que je suis claire, je ne veux pas commencer par j’arrive et si c’est pas comme ça, non, j’arrive et je veux qu’on y arrive. Je veux qu’on y arrive.
SPLTV
Vous êtes plutôt optimiste et vous y croyez ?
Raisonnablement. C’est vraiment Gramsci là, c’est l’optimisme de la volonté et le pessimisme de l’intelligence. Mais en même temps, je reconnais parce que des fois, je ne sais plus sur quelle émission de télé j’avais défendu l’Union et il y avait des copains déprimés qui m’ont appelé. “Ah tu m’as convaincu quand même en fait”. Mais parce qu’on n’a pas le choix. Sinon c’est des fachos. Je veux juste que chacun se réveille bien et qu’on ne reste pas dans notre truc interne. C’est tout petit par rapport au tragique de l’histoire qui est en train de se produire. Donc il faut prendre un peu de hauteur par rapport à tout ça et redevenir sage dans le bon sens du terme. Dans le bon sens du terme. Et se rendre compte qu’on n’a pas d’autre solution que de s’entendre et de s’entendre sur un programme qui soit porteur de changements profonds.
La Roue Tourne :
Parce que même si la gauche l’emporte mais que le programme n’est pas assez ambitieux, le risque c’est qu’à 5 ans plus tard, il n’y a rien qui va changer. Donc c’est quand même…
Bien sûr. Et puis même dans ce cas là, on sert à… L’idée ce n’est pas seulement d’empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir. C’est aussi de porter un espoir et de ne pas le décevoir. Il faut s’en donner les moyens. Dans la globalisation néo-libérale, tout n’est pas simple. Mais je pense vraiment qu’on peut avoir des marges de manœuvre importantes. Vraiment.
Lou Landgren