Eh oui la team, le s est bien de retour. Juste après avoir usé votre voix place Sébastopol pour préparer le prix de l’ambiance, le double-album de notre cher Saint Jean La Puenta sortait comme une bombe sur toutes les plateformes de streaming. Juste six mois après son dernier album Rien 100 Rien qui en avait surpris plus d’un et en plein lancement de son label du même nom, le J est de retour. Comme pour La zone en personne, C’est pas des LOL est un double album : deux disques au prix d’un pour compenser l’absence d’un album gratuit cette année.
Le plus productif des rappeurs français est égal à lui-même pour son 18ème album, avec 38 nouveaux titres. Depuis son arrivée dans le rap en 2014 avec Dans ma paranoïa, Jul n’a cessé d’enchaîner les projets et d’accumuler les sons tous plus cultes les uns que les autres. Alors qu’il achève la grosse partie de sa tournée en ayant RE-TOU-RNÉ les plus grandes villes de France et avant d’embraser le Vélodrome de Marseille en Juin prochain, l’ovni vient régaler ses fans toujours plus nombreux avec cet album qui ose. Moins d’autotune, de fautes de conjugaisons, des textes plus personnels et un flow surprenant… Vous l’avez compris, C’est pas des LOL est pour moi une vraie réussite – en toute objectivité – après un Rien 100 Rien déjà très encourageant.
« Une critique de Jul ? ». Eh oui, en 2019 taper sur Jul n’a plus lieu d’être. Il a su évoluer et est désormais reconnu comme une figure incontournable du rap français soutenu par plus d’un artiste. De Fianso à Vald, en passant par Eddy de Pretto (qui a repris un de ses textes en acoustique), Nekfeu et même jusqu’à Booba (un projet qui a été avorté faute de temps), beaucoup d’artistes soutiennent le J. Ma critique a donc pour unique but de prendre du recul sur le travail (acharné, sans rire) de Saint-Jean la Puenta, et ne pas le tacler sans même prendre connaissance de son incroyable évolution marquée par ce double-album. Quid de son travail alors ?
Un album surprenant
Cet album ose et c’est du gros cassage de nuques, placé sous le signe de l’audace à l’instar d’un « Ibiza » sorti de nulle part. Jul est généreux une nouvelle fois en offrant 38 morceaux au total -avant une potentielle réédition ?- et des featurings novateurs. C’est aussi là que l’on retrouve l’audace : en plus de proposer des textes mieux écrits, présentant un vrai intérêt et de se détacher de l’auto-tune, le J s’éloigne des grosses têtes du raps français -Mister You à l’époque, Soprano, Alonzo, L’Algérino, Maître Gims, Ninho ou Vald– pour se rapprocher de nouvelles figures. En plus des traditionnels Moubarak et TK, ce sont donc Jimmy Sax, A-Deal, Milko, Houari GP, Kamikaze et le K, mais aussi les étoiles filantes Gambi et Vladimir Cauchemar qui ont collaboré… Très solide.
Très complet, cet album cherche à faire plaisir à tout le monde avec des bangers, des gros tubes (les évidents « Ibiza », « Beuh magique », mais aussi l’incroyable « Crocodile »), des gros sons de lovers mais moins nombreux que d’habitude, (« mon bébé d’amour ») des sons mélancoliques (« Oh maman »), de la trap, du old-school, de la variété… Une vraie mine d’or.
Mais c’est aussi par ses titres calmes et par un flow bien plus travaillé que Jul surprend. Ce dernier apparaît libéré dans cet album. Il fait ce qui lui plait sans se forcer à être quelqu’un d’autre, contrairement à ce que j’avais ressenti dans son autre double-album La zone en personne beaucoup trop long, excessivement répétitif et avec des sons sortant du lot à compter sur les doigts d’une main. J’avais peur pour C’est pas des LOL. Mais il apparaît que le J a appris. Son évolution qu’il avait déjà initié avec Rien 100 Rien atteint ici son apogée : chaque son apporte sa part à l’univers de l’ovni et avec très peu de temps morts dans tout l’album (ce qui est fort pour un disque de 38 titres).
Des textes plus personnels
À l’image de son « J’ai passé l’âge » en feat avec Jimmy Sax, la face A du C.D est très personnelle. Jul apparaît grandi – eh oui même pour l’ovni la trentaine approche -, mature et libéré d’un poids. Il se livre, aussi bien de rencontres que d’événements qui l’ont touchés et d’un statut qu’il assume maintenant pleinement. Il sait que c’est en étant lui-même que son travail marche le mieux. Il fait donc le point sur sa carrière et se rend compte qu’il n’est plus qu’un ovni dans le rap français et prouve qu’il a su évoluer depuis Dans ma paranoïa en 2014 – que j’insupportais personnellement -.
Dans cet album c’est la conséquente présence des déceptions notamment relationnelles dont Jul fait part qui m’a marqué. Si c’est un thème récurrent chez lui depuis quelques temps, ici celui-ci est développé dans pratiquement la moitié des titres proposés. Comme s’il se rendait réellement compte que maintenant il avait une vraie place installée dans le milieu et qu’il ne pouvait plus compter sur ceux auxquels il croyait : ici il nous livre sa tendance à la naïveté… Honnête de sa part.
Une mention spéciale pour deux titres : « T’es un gonflé » et « Oh maman ». Les deux n’ont pas grand intérêt en terme des paroles – peu développées -, mais le J ose être lui-même, encore une fois. Le premier met totalement de côté le politiquement correct avec de simples « j’t’aime bien mais j’t’aime pas », « j’t’aime bien mais… va te faire enc**** » qui ne vont clairement pas plaire à tout le monde. Pour autant à bord de ma douce Twingo, le son poussé au max, se casser la voix dessus libère. Le second présente également un faible texte, mais il faut voir sa capacité à émouvoir avec très peu de mots. Ici c’est l’honnêteté sur lui-même que l’on remarque surtout. Il est vrai et c’est ce qui procure le plus d’émotions.
Son flow a bien évolué depuis ses débuts
J’étais personnellement déjà convaincu par le flow de Jul, surtout depuis Rien 100 Rien, mais c’est ici un nouveau step de franchi. Le sang a clairement amélioré son flow, aussi bien avec auto-tune que sans : on est bien loin du flow off-beat qu’il nous balançait dans ses premiers skeuds. Dès le premier titre : c’est la grosse surprise. On nous offre un flow ultra-surprenant à la « Tel Me », très calme d’abord avant l’explosion. Dans le même style, Jul fait fort avec « Cremosso », « Ça tombe pas du ciel », « Je mets le way », « Ça a tiré », « J’ai passé l’âge » dans un mood plus calme, ou le très efficace « T’es un gonflé ». Évidemment le plus fort reste « Cassage de nuques pt. 3 », sa série de freestyle dont il offre le meilleur pt, très clairement. Son débit nous tient parfaitement en haleine 6 minutes durant, sans aucun temps mort et ça c’est du très fort.
Mais Jul c’est aussi l’auto-tune, à ne pas laisser de côté. Eh bien c’est aussi une réussite ici. Sa maîtrise est bluffante et il apparaît presque en symbiose avec par moments. À l’image de « Sakakini » du dernier album, son utilisation ne permet plus de cacher les fausses notes, mais au contraire montre que l’ovni maîtrise bien mieux sa voix et donne une certaine mélancolie robotique à plusieurs sons. Cela apporte beaucoup, notamment dans l’émouvant « Oh maman » et l’utilisation parfaite dans le solide « Crocodile ».
Des sons trop nombreux ?
Malgré la qualité croissante des titres de Jul, les avis médiatiques ne sont jamais bons, cela ne changera certainement pas ici. J’ai indiqué qu’il n’y avait que très peu de temps morts, mais il est vrai que certains titres sont plus facilement oubliables (mais pas inintéressants pour autant). Le problème de ces titres, notamment « Nia », est leur placement dans la tracklist, entre des sons très forts. Le problème n’est pas la quantité excessive de titres, mais la présence de sons sortant de nulle part et qui livrent de mauvaises transitions : « Ça tombe pas du ciel » qui aurait mérité de se placer à la fin de la face A avant « Cassage de nuques, pt. 3 », « Fréquenter », « Au péage » ou encore « Le combat » qui dénote totalement avec le très personnel « J’ai passé l’âge », un point sur lui-même. Mais évidemment un album de 38 sons est difficile à bien gérer et choisir une face du disque = une ambiance aurait été insupportable. Donc finalement, ici encore Jul s’en sort bien avec peu de fausses notes. Même si on peut lui reprocher un manque de sélection dans ses titres, ce double-album est solide et apporte de quoi plaire à tout le monde… Heureusement avec 38 titres !
Un album à l’image de ses concerts
À l’instar de ses très généreux albums, Jul est incroyable sur scène. Ce-dernier se régale totalement dès lors qu’il débarque de son ovni – ouverture de son dernier concert -, fait battre des records du plus grand nombre de signes simultanée – BERCY REPRÉSENTE –, filme la scène parce-qu’il « trouve ça trop beau »… Tel un enfant qui ouvre ses cadeaux le matin de Noël, Jul n’arrive pas s’arrêter, se fait plaisir et fait plaisir. En fait son album représente bien cet esprit : fini les faux-semblants, Jul assume tout et livre une de ses plus belles pièces… Et on en redemande !
Anthony Fortin