Le dernier t-shirt acheté en soldes à Euralille vient sûrement d’Asie et a peut-être transité par le port de Lille avant d’atterrir dans votre sac de course. A l’heure de la focalisation sur les enjeux environnementaux et le développement d’une économie plus locale, La Maufacture vous propose de découvrir les aménagements portuaires de la métropole.
« Le port de Lille ? Je vois pas trop où il est » s’interroge Isabelle, une habitante lilloise interrogée, « je ne savais pas qu’il existait encore » avoue Ayou, confirmant la zone d’ombre qui plane encore autour du port de la ville. A l’image d’une boîte noire, on perçoit les péniches qui arrivent sur les quais et les camions qui y sortent, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe à l’intérieur. La chargée de communication du site l’assure, un important travail a été initié pour faire connaître les activités portuaires aux habitants, en lien avec la volonté de les impliquer dans son fonctionnement à travers le développement de consultations citoyennes. Né en 1935, le port de Lille a nécessité le détournement de la Deûle en creusant un nouveau canal. Depuis la ville a rattrapé la plateforme fluviale qui se trouve aujourd’hui entourée d’espaces urbains. Alors avec le temps, le port de Lille se décline au pluriel. De nos jours, 12 sites sont sous le giron de la Chambre de commerce qui a acquis la concession de la part de l’État jusqu’en 2038.
De Lille à Shangai
Dans un pays, où le transport fluvial n’a pas été beaucoup développé, Lille apparaît comme précurseure, en se dotant dès les années 1990 d’un terminal pour conteneurs. Il s’agit aujourd’hui d’un site multimodal complet accueillant des bateaux en provenances des ports du nord de la France, mais aussi de Belgique et des Pays-Bas. Le site est également relié aux lignes ferroviaires qui font la jonction jusqu’à Toulouse, Bordeaux et Marseille. Enfin, même si les employés du port disent vouloir le limiter au maximum, le transport routier reste encore le moyen dominant pour faire transiter les produits à travers le port.
Ainsi, les ports de Lille se trouvent au cœur de l’Europe pour développer les échanges, « si chaque port le dit, pour nous c’est vrai » sourit Dominique Drapier en charge du marketing de la structure. En effet, ce sont presque deux millions de tonnes de marchandises qui transitent par la métropole et sa région à travers la voie fluviale chaque année. La plupart des produits proviennent alors du Sud-Est asiatique, passent par le canal de Suez, transitent par un des grands ports européens, avant d’arriver par péniche jusqu’à Lille, où ils sont acheminés par camions ou trains pour leurs derniers kilomètres. Inversement de nombreuses marchandises sont également exportées à travers les quais lillois. A l’image des déchets de la métropole, acheminés par voie fluviale jusqu’aux incinérateurs ou usines de retraitements de Loos et Halluin, permettant d’éviter environ 20 000 camions sur les routes.
Le bateau plus écolo ?
Ainsi, lors des visites du port, les employés sont fiers d’interpeller le public en montrant qu’un navire plein de conteneurs équivaut au passage de 90 000 camions, avec très peu de nuisances sonores. De plus, on sait qu’une tonne de marchandise transportée par voie fluviale émet en moyenne 4 fois moins de CO2 que par route. Les ports de Lille se veulent donc comme une alternative au transport routier. Si les représentants se montrent réalistes, en affirmant qu’on ne pourra jamais se passer des camions, ne serait-ce que pour les petites distances, ils insistent sur trois lettres qui résonnent tout au long de l’entretien : RSE.
RSE pour « résponsabilité sociale et environnementale ». Les ports de Lille sont effectivement attentifs aux considérations environnementales d’abord, en ayant mis par exemple au point un Centre Multimodal de Distribution Urbaine qui permet d’approvisionner les commerces de la ville à travers des modes de transports doux, à l’instar de ces « cargo-cycles » de la société CitéLiv.
Les ports de Lille souhaitent également s’engager dans une démarche sociale en développant le lien et le bien être des salariés, développer les contacts avec les citoyens tout en s’inscrivant dans une démarche “éco-responsable”. Au delà de la communication, la station fluviale veut ancrer son activité dans la troisième révolution industrielle à travers le programme régional « REV3 ». Ainsi, les acteurs du port mettent en avant leurs actions en faveur de la biodiversité, de la transition et de l’économie circulaire, comme permettre le développement du biotope dans les tas de sable, héberger des entreprises d’avenir ou favoriser de nouveaux carburants comme l’hydrogène.
La voie fluviale : « un bien commun à partager »
L’aviron côtoyant la péniche sur la Deûle illustre le fait que la voie fluviale se trouve avant tout être un bien commun dont tout le monde à accès. Les réflexions sur un port de ville concernent donc en principe tous les habitants. Dominique Drapier le reconnaît d’ailleurs « les collectivités territoriales ont jusqu’ici été absentes de la gouvernance des ports intérieurs, ce qui devrait évoluer à l’avenir ». L’introduction du politique rend également les consensus plus difficiles mais les décisions plus démocratiques. Il a, par exemple, existé plusieurs projets alternatifs au port de Lille, du parking aux jardins partagés, en passant par les projets de promoteurs immobiliers, les canaux intéressent de plus en plus les élus qui les considéraient quelques décennies auparavant comme de simples « égouts à ciel ouvert » indique le représentant des ports de Lille.
Si selon Gérard, un riverain proche du port depuis une vingtaine d’années, « il vaut mieux avoir un port qu’une route au bord de la Deûle pour se balader », Thibault, 13 ans, lui, trouve ça « moche mais impossible à changer maintenant que les infrastructures sont installées». « Il faut en effet prendre toutes les visions en considération » rassure Dominique Drapier, en ajoutant qu’« il ne faut cependant pas oublier l’argument économique ». Il préfère donc rappeler que les ports de Lille employaient 6 000 personnes lors de la dernière étude, en 2012. Pour lui, « Lille est une ville d’eau, puisque son nom s’écrivait initialement « l’île », le représentant des ports de la métropole appelle donc les citoyens à renouer avec cette tradition aquatique.
Alban Leduc