Nouvelle chronique de la nouvelle série ciné de La Manufacture ! Prenez place sur votre fauteuil, le film va commencer… Au programme cette semaine : le dernier film de Hong Sang Soo, la femme qui s’est enfuie.
Hong Sang-Soo : un réalisateur du quotidien
Hong Sang-Soo(HSS) est un réalisateur coréen extrêmement prolifique. Actif depuis 1996, il sort au moins un film par an depuis 2003, il en sort même 3 en 2017 ! Cette cadence quasi industrielle lui donne une filmographie riche et radicale. HSS est un réalisateur qui se concentre sur l’ennui et le quotidien dans un réalisme jamais vu ailleurs. Son style se caractérise par une image extrêmement brut couplé à une absence de mise en scène. HSS va juste poser sa caméra et laisser ses personnages parler de sujets banals du quotidien. Il alterne le simple plan fixe large ou le cadre montre les personnages discuter, le zoom sur les visages pour mieux capter les expressions, puis le plan séquence fixe(la caméra reste au même endroit, elle est juste incliné) pour capter les mouvements.
Ce travail minutieux rappelle les tranches de vie japonaises d’Ozu des années 1950 qui s’attardait sur le fait de filmer le quotidien et le milieu domestique. Le naturalisme français à la Rohmer influence aussi HSS, dans le fait de capturer des moments du quotidien sans filtres, mais également dans le fait de raconter des histoires d’amour tristes. Cette synthèse de styles si unique corresponds à une méthode particulière. HSS n’a pas de script prévu à l’avance. Les dialogues sont écrits au jour le jour, en fonction de la personnalité des acteurs. HSS prends des notes en plein tournages et les fais parvenir à son équipe le jour-même. Par conséquent, les acteurs et toute l’équipe technique ne connait pas l’issue du film, ce qui rends très difficile, et donc intense le tournage.
L’histoire d’une femme ennuyée qui tue le temps
La femme qui s’est enfuie raconte l’histoire de Gam-Hee(interprétée par la merveilleuse Kim Minhee), une jeune femme séparée pour la première fois de son mari après cinq ans de relations. Pour passer le temps, elle se rends chez trois amies à elle: l’une avec une belle maison, une artiste et une ancienne amie à elle. Le film suit leurs discussions.
Ce qui est si bien réussi dans ce film, c’est la représentation de l’ennui. Pendant plusieurs moments la caméra va juste suivre Gam-Hee marcher jusqu’à la maison de ses amies. Les quelques zooms sur son visage, lorsqu’elle soupire, montre un profond ennui. Ce même procédé est utilisé pendant les discussions. Lors de la première partie du film, quand Gam-Hee discute avec son amie sur le canapé, la caméra est posée fixement pour cadrer les deux personnages. Dès que le personnage de Kim Minhee fait mention de son mari, la caméra zoome sur elle. Son regard vide ne sachant pas ou se poser se connecte avec un léger soupir amer. Il n’y a aucune photographie, aucune mise en scène.
Ces actrices sont authentiques au possible. Comme dit plus haut, HSS écrit ses personnages en fonction des acteurs. Ce processus va bien plus loin puisque le but est de se calquer au plus possible sur la réalité. L’acteur doit être réel, ses émotions aussi. Son rôle n’est pas de dessiner des émotions sur son visage pour dire au spectateur ce qu’il faut penser, mais bien de les vivre en direct. On pourrait accuser HSS de n’avoir aucune vision artistique, une critique facile l’accuse de “juste poser sa caméra”; mais paradoxalement, cet effet frontal, très “cash” qui est recherché repose sur une vision très réfléchie.
La femme qui s’est enfuie est une plongée à l’intérieur de la société coréenne. Dans ces trois anthologies, ces femmes discutent de leur vie. L’avenir est souvent évoqué, la relation avec les autres hommes est le principal sujet de conversation. A chaque fois, ces trois scènes seront interrompues par l’intervention d’hommes extérieurs. Toujours tournés en ridicule, HSS illustre le machisme de sa société avec humour. Un autre élément dans les dialogues qui les rends si crédible, c’est le fait que toutes les répliques ne soient pas utiles. Toutes les conversations ne visent à développer les personnages ou faire passer un message. Ce film prends le parti rare de faire discuter ses personnages autour de futilités, d’inutilités. C’est par exemple lors de ce barbecue ou Gam-Hee parle juste de la viande qu’elle trouve bonne, que le magasin dans lequel elle va propose des produits de qualité. C’est de cette façon que HSS livre des personnages très crédibles: comme dans la vie, on ne discute pas toujours de choses importantes. Ce parti-pris, à saluer, est rare dans un médium ou les personnages parlent sans cesse pour faire avancer l’intrigue.
En définitive, la femme qui s’est enfuie est un film radical, mais qui fait plaisir à voir. Ce talent si rare pour filmer le banal mérite qu’on s’y penche !