Vendredi 2 octobre. Depuis un mois déjà, une Cour spécialement composée tente d’éclaircir les conditions de la préparation des attentats de janvier 2015. Il s’agit de déterminer le degré de participation des quatorze accusés qui ont tous été en lien avec les frères Kouachi ou Amedy Coulibaly ; de comprendre quelle était la nature de leurs relations et quel soutien logistique leur ont apporté les accusés. Ces derniers étaient-ils au courant du projet des trois terroristes ?
Un procès hors normes
Plus de cinq ans après les faits, témoins, survivants, accusés et avocats se retrouvent au Tribunal judiciaire de Paris, Porte de Clichy. Ce procès marque le début d’une nouvelle période pour la justice française, celle du jugement des attentats récents. Le nombre de personnes impliquées est impressionnant : 94 avocats et 200 parties civiles qui attendent impatiemment des réponses à leurs questions face à onze accusés présents. Pour couvrir ce procès, 90 médias dont 29 étrangers ont pu être accrédités. Pendant deux mois, soit 49 journées d’audiences, de 9h30 à 19h30, la Cour tentera de lever le voile sur l’organisation des attentats de janvier 2015.
Les accusés : qui sont-ils ?
Les individus jugés sont accusés d’avoir été les complices des principaux protagonistes des attentats, les frères Kouachi et A. Coulibaly, abattus par les forces de l’ordre à l’imprimerie de Dammartin-en-Goële et à l’Hyper Cacher. Quatorze personnes sont jugées mais seulement onze d’entre elles sont présentes car trois individus n’ont pas été retrouvés. Ces derniers, qui ont fui en Syrie en janvier 2015, sont de toute évidence les plus impliqués. Hayat Boumeddiene, compagne d’A. Coulibaly et les frères Belhoucine sont jugés pour association de malfaiteurs terroristes. Si les Belhoucine sont sans doute morts depuis 2015, la veuve d’A. Coulibaly aurait été aperçue par une revenante dans un camp syrien. Au procès, Ali Riza Polat, considéré comme le bras droit d’A. Coulibaly, est le principal accusé présent. Il est jugé pour complicité d’assassinats terroristes et risque la prison à perpétuité. A ses côtés dix autres hommes, belges et français, sont accusés d’avoir apporté un soutien logistique aux terroristes. L’un d’eux, Christophe Raumel, comparaît libre. C’est le seul à être poursuivi sans qualification terroriste.
Assister au procès
Nous avons pris nos billets de train sur un coup de tête, se disant que nous ne pouvions pas rater un tel événement, captivant et historique. Nous nous attendions à entrer difficilement mais finalement nous y sommes parvenues.
Un procès sous haute sécurité
Aux abords du tribunal de Paris, une présence policière hors norme surveille un large périmètre. Une semaine auparavant un homme a agressé deux journalistes au hachoir devant les anciens locaux de Charlie Hebdo : la tension est palpable. Pour approcher de l’entrée, nous devons présenter nos cartes d’identité pendant qu’un policier fouille nos sacs et nos manteaux. Nous passons ensuite sous un détecteur de métaux et entrons enfin dans le hall. Nous sommes alors frappées par le dispositif de sécurité : CRS lourdement armés et policiers du RAID cagoulés. Nouvelle fouille pour entrer dans l’auditorium. Cette fois, un agent de sécurité vérifie que nos téléphones sont éteints. Dans la salle, quatre policiers sont chargés de la surveillance.
Premières impressions
Il y avait des jeunes, des plus âgés, avec ou sans crayons ; certains avaient l’air d’être déjà venus, d’autres étaient plus perdus. Nous avons même entendu deux jeunes filles se demander de quel procès il s’agissait. La police, présente dans la salle, veillait à ce que personne ne s’endorme. Un jeune homme a eu le malheur de fermer les yeux. Il s’est fait expulser de la salle d’audience et a crié aux policiers qu’il “déterrait Pablo Escobar” en sortant. Sur les côtés, des journalistes étaient assis, ordinateurs sur les genoux, s’empressant d’écrire des Live Tweet pour que chaque minute de ce procès historique soit relatée.
Nous sommes dans la salle de retransmission du procès. A travers l’écran, nous apercevons les accusés, assis côte à côte dans leurs box transparents, de part et d’autre de la salle, poignets enserrés dans des menottes, encerclés de policiers cagoulés. Nous avons du mal à réaliser que nous observons ceux qui ont peut-être aidé à préparer les attentats de janvier.
Déroulement de l’audience
Le procès commence. Le Président de la Cour, Régis de Jorna, prend la parole et indique le déroulé de la matinée. Éric François, commissaire à la section anti-terrorisme de la police judiciaire fédérale de Belgique, sera en vidéo-conférence. C’est lui qui a mené l’enquête sur les activités des accusés en Belgique. Ce dernier a prévu un PowerPoint pour que “ce soit plus clair”. Mais devant la longueur de l’exposé d’Éric François, la salle s’endort. Il détaille chaque faits et gestes des accusés, chaque conversation téléphonique, chaque déplacement, chaque lieu, chaque papier. Nous apprenons que des bornages ont permis de retracer les déplacements des accusés, de la Belgique à la Grèce en passant par Paris. Grâce à l’analyse de leur téléphonie, la police a constaté que ces intermédiaires entretenaient des liens suspects avec A. Coulibaly : deux accusés ont coupé leur téléphone le jour de la prise d’otages tandis qu’un autre l’a rencontré la veille. A la fin de l’intervention du commissaire, le Président de la Cour prend la parole et lui pose des questions auxquelles il peine à répondre. Il est confus, stressé, balade ses mains entre ses lunettes et sa bouteille d’eau qu’il a posé devant lui. C’est aux avocats de la partie civile de prendre la parole. Après eux, les avocats de la défense nous impressionnent. Ils démontent les informations d’Eric François qui n’étaient pas toutes justes, jouant de ses hésitations et de son ton, trop léger pour ce procès.
L’après-midi, c’est au tour de deux experts en génétique d’être entendus à la barre. Leurs laboratoires ont mené des expertises sur les empreintes génétiques retrouvées sur plus de 200 scellés. Ces empreintes ont ensuite été comparées à d’autres prélèvements déjà effectués et reliés à leurs propriétaires qui sont, entre autres, les frères Kouachi, A. Coulibaly, Boumeddiene, Pastor, Prevost, Dubois, Makhlouf. Madame Fournier, de la police scientifique, parle la première. Olivier Pascal, expert en génétique, poursuit. Leurs conclusions, notamment sur un taser qui aurait pu être utilisé par Makhlouf, ne coïncident pas. Ce qui provoque de vifs débats entre les avocats de la partie civile et les avocats de la défense. Les premiers ne comprenant pas, les seconds tentant de défendre leurs clients. Les spécialistes expliquent que plusieurs critères entrent en jeu : l’hygiène de l’individu (moins il se lave, plus il déposera d’ADN), s’il est un bon ou un mauvais donneur d’ADN et le temps de contact. Selon l’enquêtrice, “Il n’existe aucune certitude en matière d’ADN”. Toutes les hypothèses sont possibles, on ne peut donc rien conclure. L’avocate de Makhlouf est rassurée.
Les avocats de la défense étaient impressionnants. Ils défendaient Karasular, Catino, Abad, Polat, Pastor, Ramdani, Makhlouf, Prevost, Martinez et Farez ; des noms que l’on a découverts, encore peu entendus dans la presse. Se détachant des actes que leurs clients auraient commis pour les voir avant tout comme des hommes ayant droit à une défense. Les avocats des parties civiles nous ont moins captivées mais n’en demeurent pas moins impressionnants.
Rendez-vous dans les prochains jours pour un deuxième article sur le procès des attentats de janvier 2015.
Enora Quellec et Madeleine Kullmann
Image à la Une : Tribunal Judiciaire de Paris, Porte de Clichy