Une nouvelle liste se présente aux élections étudiantes au Conseil d’Administration : Ensemble Sciences Po Lille. Rémi Leleu et Yanis Ben Slimene, respectivement premier et deuxième de la liste ont répondu à nos questions et présenté leur programme. Davantage de démocratie interne, plus de partenariats internationaux, un parrainage avec les Masters, la liste s’oppose aussi fermement à Sud-Solidaires, syndicat de l’IEP.
Pouvez-vous vous présenter ?
Yanis, je suis en première année, j’ai fais Paris Dauphine l’an dernier. Notre point commun c’est que lorsqu’on est arrivé à Sciences Po Lille on s’est rendu compte que les trois listes présentes ne suffisaient pas et ne répondaient pas suffisamment aux attentes des étudiants.
Rémi Leleu, quatrième année, en entrée directe, je viens de l’ESPOL. A titre personnel également, j’ai pas mal entendu parler de la liste Sud, et de tout ce groupe qui ternit l’image de l’école. On a voulu avec plusieurs étudiants créer une liste nouvelle pour changer les choses, quelque chose de différent, et proposer un programme qu’on va pouvoir réaliser.
Pour avoir discuté avec pas mal de gens qui étaient là depuis la 1A, il y a un sentiment de manque de représentativité, or dans un IEP c’est important d’être représenté.
Quelle est la composition générale de la liste ?
Notre liste réunit des 1A, 2A,3A, 4A et 5A.
“SUD est un vrai poids sur l’IEP. Et on essaye de parler à cette majorité silencieuse qui n’en peut plus.”
Votre lancement n’a pas manqué de faire réagir. Ce sont vos mots « antenne syndicale qui prend en otage », « autocensure », « retrouver un cadre d’études vertueux ». Est-ce que vous pensez donc qu’il y a un certain ras-le-bol des étudiants ? Le cadre d’études est-il anxiogène ?
Yanis : Moi, je suis à SPL depuis seulement quelques mois, mais dès que je suis arrivé on m’a raconté le palmarès de Sud ces dernières années, les blocages à répétition, les intimidations sur les étudiants. Ce qui m’a marqué c’est l’histoire de l’annulation de la conférence de Geoffroy Lejeune. En réalité, ce qui me dérange c’est les méthodes, on peut tous défendre nos idées surtout à SPL, mais pourquoi avoir besoin de recourir à l’intimidation, à la violence, aux blocages, pour faire passer un message ?
Rémi : On est une école censée être ouverte sur son environnement, le but c’est de pouvoir recevoir et discuter avec tout le monde. Sur la conférence, on a une pure annulation. Si on veut vraiment être dans la confrontation d’idées, on invite on écoute et on débat. C’est là que d’être dans une école de sciences politiques prend tout son sens. Lorsque l’on a un syndicat qui bloque pour des raisons de politique nationale, ce n’est pas concevable. La manifestation est bonne et saine pour la démocratie mais pas si elle empêche les étudiants d’aller travailler.
Vous voulez donc incarner “un nouveau souffle” ?
A partir du moment où j’ai commencé à parler de vouloir monter une liste, systématiquement on me répondait “Ah Yanis tu as bien du courage, Sud va fouiller tes réseaux sociaux, ils vont chercher à t’intimider”. Je n’ose pas imaginer à quoi cela aurait ressemblé si la campagne n’avait pas eu lieu sur Internet.
Et donc réussir à rassembler sur la liste a pu être compliqué. Certaines personnes voudraient bien mais avec ce contexte il y a une pression sociale donc ils n’osent pas. SUD est un vrai poids sur l’IEP. Et on essaye de parler à cette majorité silencieuse qui n’en peut plus.
Rémi : On n’est pas pour les blocages, on sait se parler, on n’est pas des animaux, j’ai envie de dire. Et puis il y a aussi d’autres listes comme AlterEco et Avenir Spl : on pense qu’elles sont là depuis un moment maintenant. Avenir il y a deux ans, c’était une entrée fulgurante au CA avec 6 sièges, il n’y a pas eu de résultats derrière. Quand on discute avec des étudiants plus vieux, Avenir était l’espoir mais derrière il n’y a rien eu.
L’inclusion des nouveaux étudiants est cette année compliquée, qu’est ce que vous pensez pouvoir faire pour pallier cela ?
Yanis : Autour de moi, mes camarades sortent de prépa ou du lycée, ils arrivent à Sciences Po, ils n’en voient pas véritablement la couleur, ils ne savent pas à quoi ressemblent les assos, la riche vie étudiante, etc. Ils se retrouvent à galérer sur Zoom pour suivre des cours en ligne, qui sont plutôt bien organisés par l’administration. Après, même si elle fait des choses pour le soutien psychologique des étudiants, on pense que cela ne suffit pas, il va falloir trouver des solutions pour impliquer davantage les 1A.
Rémi : En entrée directe (4A), c’est moins problématique car les cours en présentiel ont été maintenus et il y a eu la semaine du SAS, l’intégration des masters a été facilitée. Ce qu’on veut c’est proposer pour les premiers cycles d’avoir des parrains en Master également pour créer une continuité. Car quand on est en 4A ou 5A on a tendance à mieux maîtriser Sciences Po, les lieux, le personnel. Cela permettrait de pouvoir aussi se projeter dans l’école, l’épanouissement serait facilité.
“Pourquoi pas proposer un diplôme valorisant au bout de 3 ans, niveau Licence”
Une réforme du premier cycle
Que pensez-vous de la gestion de la crise par l’administration et êtes-vous favorable à un retour aux cours en présentiel ?
Globalement la gestion était bonne. Après les soucis liés à l’apartathon, tout de suite l’administration a organisé un après-midi de dépistage à Lille alors qu’il y avait 2 semaines d’attente pour se faire tester. L’objectif c’était de fermer l’école le plus tard possible et les mesures ont été bien mises en place, il y avait du gel partout, les demi-groupes, etc.
On souhaiterait une réouverture le plus tôt possible, si la date du 5 février qu’on a commencé à voir passer est conservée, ça serait une bonne chose. Le retour à l’IEP est hyper important, pour la réussite des études, se sentir impliqué, car socialement c’est un désastre d’être à la maison. Être enfermé ça peut faire des ravages chez certains. Et on sait faire, on a très bien géré le présentiel en master.
La réforme des masters vous convient-elle ?
Rémi : Ca nous questionne naturellement sur la pérennité de nos masters, se dire « notre master n’existera plus dans 2 ans », ça interroge. Mais ce qui est intéressant c’est la palette qui est désormais beaucoup plus large. C’est une bonne réponse d’une demande.
On voudrait aussi étudier la piste de réformer le 1er cycle. L’IEP de Paris le fait déjà, pourquoi pas proposer un diplôme valorisant au bout de 3 ans, au niveau Bachelor L3. Certains étudiants, pas la majorité, ont envie de faire seulement 3 ans et se réorienter ensuite. Avec le système des crédits européens c’est facile. Cela permettrait d’ailleurs de recevoir plus d’Entrée Directe en 4A.
Sur la troisième année ?
Les 2A sont dans le flou, c’est un peu confus. Ce n’est pas normal que les règles évoluent sans que les 2A soient bien au clair avec celles-ci, se retrouvent face au fait accompli. Par rapport au classement, il n’est pas tout à fait normal, je caricature, que le dernier de la promo puisse avoir le choix que quelqu’un de très bien classé avait mis en 2e choix par exemple. Il ne faut pas non plus pousser l’élitisme à son paroxysme mais quand bien même les places ne sont pas illimitées, il faut bien les répartir. Autant que le mérite joue pour quelque chose avec un classement.
Rémy : Il faut un principe de clarté, quand on propose une réforme du type, on a déjà la décence de prévenir. Le projet doit mieux être pris en compte. Notamment avec une continuité en lien avec le master. Si on coupe les pattes à des personnes qui ont construit un projet comme cela, je trouve cela un peu dommage. Puis on voudrait travailler sur un financement du TOEFL pour les étudiants boursiers.
Également dans un souci de cohérence à l’ouverture internationale, ça serait bien de développer des partenariats en Afrique, au Moyen-Orient, dans le monde arabe. On a un Diplôme d’Établissement qui n’est pas du tout mis en valeur dans l’IEP à ce propos.
“Ca ne sert à rien de parler Vert pour parler Vert, ce n’est pas constructif. C’est une manière de s’attirer des voix, c’est à la mode.”
Vous avez aussi des projets pour l’associatif
Oui, d’abord créer un mail à chaque association pour pouvoir communiquer directement avec les étudiants. Puis, il faudrait consolider l’équipe administrative, un seul responsable c’est peu, pour gérer par exemple les tâches administratives. Enfin, on veut une valorisation de l’engagement associatif, par exemple à travers un certificat validé face à un jury qui reconnaît les compétences.
Et quant à l’écologisation de l’école ?
Rémi : On ne veut pas faire de l’écologie pour dire qu’on fait de l’écologie. A un moment il faut aussi être pragmatique, se rendre compte de ce qui est réalisable au sein d’une école et de se motiver pour pas que ce soit des petites annonces ou de se dire « on est une liste écologique, on va mettre un compost dans la cafet ». Ca ce n’est pas possible. Il y a des idées qui arrivent qu’on va dévoiler, il y a des partenariats à faire avec l’IEP mais aussi la ville.
Sur le bâtiment à la place de panneaux solaires, on trouverait plus intéressant de mettre un système de récupération d’eaux de pluie car il pleut plus souvent à Lille qu’il fait soleil. Autrement, on nous a vendu, notamment Alter Eco, cette histoire de recyclage, avec les poubelles, au final on a deux poubelles complètement identiques, impossible de faire la différence donc le tri est mal fait. On ne peut pas dire qu’on va supprimer tous les plastiques de la cafet’, il faut aussi une praticité.
Yanis : On a des ambitions écologiques, c’est juste qu’on veut faire des choses réalisables, ça ne sert à rien de parler Vert pour parler Vert, ce n’est pas constructif. C’est une manière de s’attirer des voix, c’est à la mode, il y a des listes qui se fondent que là-dessus. Peut-être qu’à moment il faut être efficace. Il faut arrêter de stigmatiser tous ceux qui ne sont pas Verts, on a une conscience écologique.
Comment avez-vous géré la campagne et le report des élections ?
Yanis On a été un peu surpris par le report des élections. Nous n’étions pas contre forcément, mais au contraire des trois autres listes qui ont été prévenues à l’avance, nous on l’a découvert à la dernière minute. Ce qui a fait qu’on a commencé notre campagne un peu tôt.
Le distanciel nous a empêché d’avoir un dialogue, or c’est dans l’échange qu’on construit quelque chose, qu’on prend en compte les difficultés. On remercie quand même les assos (La Manufacture, l’Arène) de s’intéresser à cette campagne en ligne, c’est super important il ne faut pas que les étudiants décrochent, on sait que c’est dur de s’accrocher aux cours, il ne faut pas qu’ils décrochent de la démocratie étudiante.
“Ce n’est pas l’élection présidentielle”
Pourquoi revendiquez-vous d’être apartisans ? N’est-ce pas le reflet d’une baisse de prise de position idéologique à l’IEP ?
Rémi : Il y a une différence entre se dire d’être une liste apartisane et l’engagement de chaque étudiant au sein des associations politiques, que l’on doit faire vivre. On veut rassembler les gens qui justement n’étaient pas d’accord avec ce mode de fonctionnement, d’une liste avec des positions idéologiques. L’élection au CA, ce n’est pas l’élection présidentielle. On parle de la vie étudiante, pas de politique.
Par apartisan on entend aussi indépendant, il ya d’autres listes, comme Sud, excusez nous de revenir dessus, mais dont les supports sont tous faits déjà par le « natio ». Et donc ils recentrent sur des thématiques nationales. Si l’IEP était ouvert on serait probablement bloqué vu l’actualité. Mais à côté de ça il faut plus d’assos partisanes, M. Mathiot le veut également, on est « Sciences Po » quand même. Le nouveau bâtiment donnera des locaux pour les assos politiques c’est une bonne chose.
Mais n’y-a-t-il pas nécessairement une prise de position idéologique dans les décisions ?
Sur des questions ultra importantes, comme la privatisation de l’IEP, nous on se présente pour l’intérêt de l’étudiant, qu’on soit contre ou pour l’administration. Si ça va contre les intérêts de l’étudiant, on sera très clair. Ensuite, le CA c’est bien beau mais c’est 9 sièges, et il n’y a pas 9 étudiants à SPL, il y en a 2000. On a donc aussi cette volonté de faire revenir un peu de démocratie étudiante à Sciences Po Lille, sur des sujets très importants, avec un référendum interne. Par exemple, si on veut supprimer le concours, on ne peut pas laisser le CA décider sur tout.
Personnellement, êtes-vous engagés ?
Rémi : Oui ça fait un moment. Mais on n’est pas tous au même endroit, on ne fait pas tous la même chose. Il ne faut pas catégoriser. On veut pas que les gens se fassent le schéma dans leur tête : Avenir serait Les Républicains, AlterEco Les Verts, nous soit disant La République en Marche et Sud ca serait La France Insoumise. Encore une fois ce n’est pas l’élection présidentielle.
Yanis : Oui aussi. C’est l’école par excellence pour être engagé, pas forcément en politique d’ailleurs.
Votre dernier mot
Quand on a créé cette liste, on n’a pas dit qu’on allait révolutionner Sciences Po mais on espère au moins impulser quelque chose, plus de démocratie étudiante, que Sciences Po ressemble enfin à Sciences Po. Il faut se saisir de l’avenir de l’IEP, avoir des ambitions, qu’on soit pas dans cette “guéguerre”, je bloque l’école ou autre. On espère que la participation sera forte, que les étudiants se sentiront concernés par le scrutin.
Propos recueillis par Matthieu Marchat et Clément Rabu