Début janvier, la publication du livre La Familia Grande de Camille Kouchner a mis en lumière un problème social souvent oublié, l’inceste. Au fil du mois, la multiplication de scandales impliquant des personnalités publiques, la prise de parole par la société civile, ont confirmé sans surprise que ce phénomène n’était pas isolé, poussant les acteurs politiques à s’emparer de la question. L’heure de briser et de juger ce tabou est elle enfin arrivée ?
En novembre dernier, la publication d’une enquête menée par Ipsos provoquait une consternation générale. Selon cette dernière, un français sur dix aurait été confronté personnellement a des violences incestueuses. A l’époque, le chiffre paraissait exagéré, bien trop élevé pour être le reflet d’une société dans laquelle l’inceste semblait bel et bien avoir disparu. Le rapport faisait part d’une âge moyen très jeune pour les victimes de ces violences (9 ans), confirmant que les actes incestueux sont souvent, en parallèle, des actes de pédophilie.
Ce sondage, mené pour l’association Face à l’inceste, n’était pas le premier du genre. Cependant, il est révélateur d’une forte hausse de la proportion de personnes se disant victime, ce chiffre ayant triplé depuis 2009. Cette croissance exponentielle, qui n’a sans doute pas atteint son pic, s’inscrit dans la suite logique de la libération de la parole initiée par le mouvement MeToo en 2016.
Si ces chiffres ont rapidement été mis de côté par l’opinion publique, sans doute noyée dans la densité d’informations liées à la situation sanitaire, la parution du livre La Familia Grande de Camille Kouchner a remis sur le devant de la scène une problématique sociale souvent omise, volontairement ou non, par la conscience collective. Dans ce livre, l’autrice relate les violences sexuelles dont a été victime son frère, et accuse son beau-père Olivier Duhamel, figure émérite et influente de la vie politique française, d’en être le bourreau. L’onde de choc initiale de la révélation laisse rapidement place à ce qui semble avoir été un secret de polichinelle. L’autrice évoque ainsi une cinquantaine de personnes qui étaient au courant, a commencer par sa propre mère. Difficile de ne pas citer la volte-face du directeur de Sciences Po Paris (où Olivier Duhamel intervenait régulièrement), qui après avoir affirmé sa stupeur a été contraint d’avouer qu’il avait effectivement été mis au courant de ces agissements (il vient d’ailleurs de démissionner à l’heure où j’écris l’article).
La lettre pro-pédophile signée par … Bernard Kouchner
Personne n’est dupe, le tabou qui régnait autour de l’inceste n’était qu’un sursis, qui ne faisait pas disparaître le fond du problème. La France, pays des droits de l’Homme, qui aime prôner le respect et la tolérance, nous a souvent montré que ses valeurs défendues n’étaient dédiées qu’à certaines catégories de personnes. Depuis la libération sexuelle de 1968, une partie des l’ « intelligentsia » française se plaisait à dire que les relations libres entre adultes et enfants n’’était que la suite logique de l’évolution des mœurs. En témoigne ainsi une lettre ouverte pro-pédophile écrite par Gabriel Matzneff en 1977, signée par des personnalités influentes tel Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jack Lang ou encore… Bernard Kouchner (le père de Camille). Avoir été des acteurs importants dans le développement de la culture française n’excuse pas tout, et il était important que ces individus fassent face à la responsabilité de leurs paroles, mais surtout de leurs actes.
La partie immergée de l’iceberg commence petit à petit à se dévoiler. Au cours du mois de janvier, la multiplication de scandales a montré que l’affaire Duhamel dépassait le statut du simple fait divers. Il est également apparu que les personnalités publiques n’étaient pas les seules victimes. Rapidement, les témoignages se sont multipliés sur Twitter via le #metooinceste, confirmant que l’ensemble de la société civile étaient concernée.
Le tout n’est pas de parler, il faut également quelqu’un qui nous écoute
Le traitement du tabou de l’inceste bénéficie des sentiers tracés par le mouvement MeToo. Grâce aux réseaux sociaux, et à l’anonymat qu’ils peuvent procurer, la prise de parole sur ses sujets sensibles s’est développée au cours de la dernière décennie. Les abus dans la sphère professionnelle ont largement été dénoncés (même s’ils demeurent encore présents), il s’agissait maintenant de s’attaquer à un cercle beaucoup plus intime, beaucoup plus sensible, la famille. Les enjeux des témoignages sont bien plus complexes pour les victimes. Souvent, du fait d’un sentiment de soumission ou d’un chantage affectif, le secret s’installe, au détriment de la santé de la principale personne concernée. L’entourage a un rôle important à jouer dans ces situations, la bienveillance ou la pression de ce dernier peut changer beaucoup d’éléments dans le dénouement de ces crimes. Le tout n’est pas de parler, il est également important d’avoir quelqu’un qui nous écoute, sans ça, aucune avancée ne peut être envisagée..
J’ai personnellement espoir que la sensibilisation quotidienne envers toutes les formes de violences sexuelles pourra faire évoluer rapidement la conscience collective.
Projet de loi
Cependant, c’est également à l’exécutif de mettre en place des dispositions permettant une protection plus efficace des victimes. Rapidement, le Président de la République s’est exprimé sur les réseaux sociaux, affirmant tout son soutien envers les victimes. Emmanuel Macron a demandé au Ministre de la Justice de renforcer la loi afin de mieux punir les violeurs, divers projets sur des mises en place de structure d’aides psychologiques au niveau des écoles ont également été annoncées. Bref, le chef de l’Etat reconnait le problème mais les mesures paraissent encore assez floues.
Récemment, une proposition de loi visant à requalifier en crime de viol ou délit d’agression sexuelle les « atteintes sexuelles » faites sur les mineurs à provoqué une controverse par le seuil qu’elle proposait. Ce projet de loi considère en effet qu’être âgé de 13 ans suffit à être suffisamment mature psychologiquement pour estimer que l’on est consentant ou non. La proposition de loi n’est pas exempte de points positif, le seuil de 15 ans demandé par plusieurs associations de défense de mineurs paraitrait cependant plus pertinent.
Il sera intéressant de voir comment les différentes affaires seront traitées par la Justice. Des sanctions sévères illustreraient le sérieux avec lequel sont pris les témoignages et permettra, sans doute, une libération de la parole d’autant plus conséquente.
Pablo May