La récente création en Pologne de « zones sans idéologie LGBT » a fait entrer le pays d’Europe centrale dans un climat de tensions toujours plus fort avec Bruxelles. Cette nouvelle mesure contraire à la libre circulation prévue par les traités européens s’ajoute à la multiplication des provocations à l’égard des institutions européennes dont celle-ci n’est que le corollaire. Depuis l’arrivée au pouvoir du parti conservateur PiS (droit et justice) en 2015, les violations du principe de l’Etat de droit n’ont cessé de s’accentuer, alimentées par la loi controversée sur les médias et la suppression du Conseil national de la magistrature. Si le torchon brûle en ce moment, c’est également dû au fait que le tribunal constitutionnel polonais ne reconnaît toujours pas le droit européen comme ayant une valeur supranationale et que la Commission bloque à ce jour l’abondement européen du plan de relance polonais.
A quoi joue donc Varsovie ?
Le climat entre Bruxelles et la capitale polonaise est devenu exécrable, à tel point que la Commission bloque encore les fonds du plan de relance européen du pays qui s’élèvent à 57 milliards d’euros (un montant supérieur à celui que va toucher la France) tant que les pouvoirs publics ne se soumettront pas aux normes européennes en vigueur.
Un déni de réalité européenne
Les traités de l’UE sont pourtant formels : le droit européen prévaut sur tout droit national dès lors qu’une décision est ratifiée. Pourtant le passage est loin d’être évident pour la Pologne, le Tribunal constitutionnel n’ayant pas encore tranché cette question véritablement épineuse.
En effet, si la procédure demeure aussi chronophage, cela est dû au fait que la plus haute juridiction du pays est dans une impasse. Si elle affirme la primauté du droit européen elle risque de s’attirer les foudres du gouvernement, mais à l’inverse, dans le cas où elle déterminerait le droit polonais comme supérieur, elle prendrait le risque d’embarquer le pays tout droit vers le Polexit. On peut aussi légitimement s’interroger sur la lenteur de la procédure, la Pologne ayant intégrée l’UE il y a de cela presque 20 ans, et la question est encore sur toutes les lèvres.
Malgré ce caractère quelque peu réfractaire, le pays d’Europe centrale semble oublier qu’il est à ce jour le plus grand bénéficiaire des fonds européens. Le quotidien Ouest-France a ainsi estimé qu’entre 2007 et 2020, la Pologne avait encaissée 160 milliards d’euros, soit le double de son PIB annuel, lui assurant un revenu constant d’au moins 10 milliards d’euros chaque année.
Une nationalisation toujours plus forte
Arrivé à la tête du pays en 2015, le nouveau gouvernement polonais avait immédiatement retiré le drapeau européendes salles dans lesquelles se déroulaient les conférences de presse. Un geste qui souligne la position quelque peu belliqueuse de Varsovie à l’encontre de Bruxelles, ponctué d’une nationalisation toujours plus forte.
Celle-ci est incarnée par l’eurodéputé Zbigniew Ziobro qui dans une récente conférence a effectué une véritable philippique estimant que la Pologne aurait perdu plus de 100 milliards d’euros depuis son entrée dans l’UE. Bien que ce chiffre ait été immédiatement contesté par un grand nombre d’économistes, la présentation a fait le tour des médias progouvernementaux connus pour leur euroscepticisme prononcé. Ce climat d’ « europhobisation » est continuellement repris par les hauts responsables du parti, qui sont allés jusqu’à déclarer qu’il fallait « combattre l’occupant bruxellois » comparant ainsi les institutions européennes aux nazis et soviétiques que le pays avait combattu dans le passé.
Un futur européen qui demeure en suspens
Si la Pologne fait autant parler d’elle, c’est également en raison de la décision de la Commission d’organiser un débat parlementaire suite au perpétuel non-respect de l’Etat de droit, l’un des principes cardinaux de la juridiction européenne, mais aussi suite à la promulgation d’une loi contestée sur les médias qui limiterait la liberté d’expression. À la suite des mises en garde des institutions bruxelloises, les pouvoirs publics polonais ont réagi à travers les propos du Président du parti Pis : « nous voulons être dans l’UE mais en même temps nous voulons rester souverains ». Il estime que les questions de justice doivent rester de la compétence exclusive des Etats, ce qui est aujourd’hui contraire aux dispositions des traités en vigueur.
Par ailleurs, la Cour de justice de l’UE vient d’infliger au pays de Mateusz Morawiecki une amende journalière de 500 000 euros tant que la mine de charbon de Turow, qui ne respecte aucune norme environnementale européenne ne sera pas fermée. Cette décision a entrainé une cristallisation toujours plus forte dans les rapports entre la Pologne et l’UE. C’est oublier que l’UE a accepté que le pays soit une sorte de « passager clandestin » dans la transition écologique, Varsovie ayant été autorisé par la Commission à ne pas avoir à se conformer aux diminutions d’émissions de gaz à effet de serre imposés aux autres pays européens pour 2030 et 2050 en raison de la part prépondérante du charbon hérité de l’époque communiste.
Toutefois, le comportement stoïque de la Pologne vis-à-vis de l’UE semble aller dans le sens contraire de la volonté de la population, elle qui d’après le dernier eurobaromètre, serait la plus europhile des Vingt-Sept, 80% de la population déclarant soutenir l’adhésion à l’UE – un taux bien plus élevé qu’en France.
Le rapport à l’Europe diffère selon les régions du pays, dans une opposition ville/campagne. La relation avec les institutions européennes pourrait se tendre dans les prochains mois alors que le gouvernement Pis voit sa majorité s’effriter et que Bruxelles use de différents leviers légaux pour inciter le gouvernement à de meilleures dispositions. Les législatives de 2023 et avant cela le sort du premier ministre hongrois, Viktor Orban, en 2022 détermineront l’évolution politique de ce pays majeur des Vingt-Sept.
Matthieu Maillard