Depuis le 20 octobre 2021 et jusqu’au 14 février 2022 la collection « Ma Normandie » de David Hockney est exposée au Musée de l’Orangerie à Paris. Ce peintre britannique a raconté à travers ses tableaux l’arrivée du printemps du 17 mars 2020 à juillet 2020. Alors qu’une grande partie de la planète était enfermée sous le coup des mesures sanitaires, David Hockney a redécouvert le printemps, et l’a fait vivre à coup de crayons et de pinceaux, sur son iPad ou sur une toile.
De Bradford à la France.
David Hockney est né le 9 juillet 1937 à Bradford, en Angleterre. Issu d’une famille modeste, il est le seul de ses quatre frères et soeurs à être allé au collège après ses 16 ans. Son choix s’est alors porté sur l’art, dans lequel il a prouvé son talent et son approche avant-gardiste.
David Hockney est un peintre très influent de son vivant. Son oeuvre peut se rapporter au pop art et à l’hyperréalisme. Vous connaissez d’ailleurs sûrement l’une des ses oeuvres les plus connues, « Portrait of an artist (pool with two figures) ». Cette oeuvre réalisée en Californie en 1972, a été vendue à 90,3 millions de dollars aux enchères en 2018, un record pour une oeuvre d’artiste vivant. Le peintre a exploré plusieurs manières de peindre et différents sujets. Mais en 2020, c’est sur la nature qu’il a décidé de se concentrer dans sa Normandie.
Un confinement en Normandie.
David Hockney a acquis sa petite maison de campagne dans le Pays d’Auge en 2019. Cette initiative d’acheter en Normandie lui est venue en 2018. Il était invité pour un vernissage dans la capitale britannique, mais cet événement l’ennuyait. Un de ses amis lui a alors proposé de passer le week-end en Normandie, où il a séjourné à Honfleur et Bagoles-de-L’Orne. C’est à ce moment là que lui vient l’idée d’entreprendre en Normandie ce qu’il a accompli dans le Yorkshire : raconter la venue du printemps en peinture. Son dévolu s’est ensuite rapidement jeté sur une petite ferme ancienne aux murs blancs, au toit incliné. Il a commencé son installation en mars 2019, après le vernissage de l’exposition Van Gogh – Hockney à Amsterdam.
En mars 2020, accompagné de son chien Ruby, il décide de revenir dans sa maison de Normandie, qu’il nomme La Grande Cour, pour débuter la peinture de son histoire. Dans un entretien au Monde paru le 17 août 2020, il confie que le confinement a été un moment de bonheur pour lui.
Une image (« picture ») par jour, pendant 117 jours, pour raconter le printemps.
Pendant quatre mois, David Hockney ne pensait qu’à ces pictures sur le printemps en Normandie. Il s’est consacré entièrement à son travail et n’a bougé de sa Normandie ni physiquement, ni mentalement. Il a toujours été passionné par l’arrivée du printemps. Chaque jour la nature change, la lumière bouleverse les sujets et accompagne l’arrivée du printemps et le renouvellement de la nature. Il vit alors dans ce qu’il peint. Il peint parfois les mêmes objets, mais à des points de vues différents, avec des conditions différentes : un arbre sous la pluie, puis un arbre secoué par le vent… Cela rappelle bien sûr les différentes toile de Monet d’un même sujet, mais exposé à différentes lumières. En peignant plusieurs fois le même sujet mais de différentes façons, David Hockney réussit à en extraire l’essence même : la faune et la flore normandes.
Pour le britannique, le confinement a été heureux. Il trouve la joie dans la peinture et dans la nature qu’il représente. Selon lui, les citadins ne prennent plus le temps de regarder l’arrivée du printemps. Dans une interview avec le musée Van-Gogh d’Amsterdam, il raconte qu’une de ses amie de 80 ans lui a confié avoir vue réellement le printemps pour la première fois à 80 ans.
Après l’histoire du printemps achevée en juillet 2020, assemblée dans la collection « Ma Normandie », Hockney a choisi de continuer cette histoire en racontant l’arrivée de chaque saison en Normandie.
De nouvelles techniques et une exploration des possibilités de la peinture.
David Hockney s’est essayé à plusieurs pratiques de la peinture et de l’art. Il est intéressé par tous les procédés de fabrique de l’image. De la peinture à l’huile à l’acrylique, de la photographie aux Polaroïds, du fax à l’ordinateur, et depuis 2010, l’iPad et une imprimante. C’est en effet à l’iPad que le peintre a réalisé la majeure partie de ses oeuvres de la série « Ma Normandie ». Décrié lors de l’exposition de ses premières oeuvres réalisées à l’aide d’un écran numérique et d’un stylet, il est aujourd’hui admiré pour avoir exploré cette possibilité offerte par la technologie. Afin d’améliorer la qualité de ses dessins, en 2015 il demande à un mathématicien d’améliorer l’application qu’il utilise, Brushes. Après cette correction, les résultats qu’il obtient sont proches de ce qu’il pourrait obtenir avec de la peinture à l’huile. L’utilisation de l’iPad se révèle utile et facilite la peinture pour le peintre. En effet, elle le débarrasse de contraintes matérielles et techniques qui risquent d’altérer l’oeuvre en cours. Tout d’abord, pour la lumière. Dans l’entretien au Monde d’août 2020, il prend l’exemple de peindre la lune. Pendant l’été, la lune a été pleine et très lumineuse. S’il avait peint avec de la peinture sur une toile, il aurait été obligé d’avoir une lumière. Cela aurait pu altérer sa vision de la lune et la couleur de celle-ci. Mais avec l’iPad, pas besoin de lumière. Il a pu retranscrire réellement ce qu’il percevait de la lune ce soir là. Mais l’iPad se révèle tout aussi pratique pour peindre plus rapidement. Sur des sujets tels que les levés ou couchés de soleil, il doit peindre rapidement pour capter la couleur qu’il souhaite. Cela n’est possible qu’avec l’iPad.
Ainsi, par des gestes brefs et courts sur l’iPad, David Hockney peut réaliser l’oeuvre qu’il souhaite. Il trace, agrandit, rétrécit, remplit avec des couleurs. Puis entre en jeu l’imprimante. Il imprime ses dessins puis observe. Il regarde et réajuste la peinture à sa convenance. Il peut donc travailler autant de temps qu’il le souhaite sur ses tableaux sans dénaturer l’oeuvre ni l’abimer. La peinture ne devient jamais sèche ou terne. Selon lui, c’est une nouvelle manière de peindre. Il déclare au Monde : « Très peu de gens l’utilisent, je ne sais pas pourquoi. Ils utilisent l’iPad pour imiter la photographie alors qu’il y a bien mieux à faire. »
David Hockney aime représenter des sujets difficiles à peindre : la pluie, le vent, les feuilles… S’il a cette passion, c’est parce qu’il est en constante réflexion sur les possibilités de la peinture. De plus, il a développé une nécessité de la précision qui l’accompagne depuis ses études des Beaux-Arts à Londres. Il se devait d’être meilleur que ses camarades de classes afin qu’ils arrêtent de se moquer de son accent du Yorkshire. Mais c’est aussi parce qu’il a très tôt découvert et aimé le cinéma, les images précises qui y sont projetées et les scènes détaillées.
Du cubisme à l’impressionnisme : des inspirations diverses qui rejettent la perspective.
David Hockney refuse de mettre de la perspective et de peindre les ombres dans ses tableaux. Selon lui, la perspective a été inventée par les européens. Elle est inexistante dans l’art chinois et japonais qui ne s’intéresse qu’à l’objet en lui-même. La perspective suppose l’immobilité. Cependant, elle est impossible. Le corps et le regard sont sans cesse en mouvement. Alors il a décidé d’utiliser la perspective inversée dès les années 1980, théorisée par Pavel Florenski, qui confirme ce qu’il expérimente. En utilisant la perspective inversée, le point de fuite se trouve derrière le spectateur. Tous les éléments convergent vers lui. Celui-ci se retrouve donc dans le tableau. Cet affranchissement de la perspective classique permet au peintre de synthétiser un ensemble de sensations qui peut traverser le spectateur.
David Hockney s’inspire beaucoup du cubisme, notamment de Picasso. Ce courant rejette les codes de la perspective. Mais au delà de s’affranchir des contraintes de beauté, il s’inspire de Picasso car selon lui l’artiste maitrisait tous les styles de peintures. David Hockney retient cette leçon puisqu’il cherche à utiliser tous les styles de peintures.
Le peintre britannique s’inspire également beaucoup de l’impressionnisme, et tout particulièrement du peintre néerlandais Vincent Van-Gogh. Lorsque qu’il a découvert les peintures de Van Gogh, David Hockney était encore très jeune. C’était en 1955, lors d’une sortie à une exposition de ses oeuvres avec son école. Il a alors était subjugué par les couleurs qui s’entremêlent sur les toiles du peintre. Depuis, il a toujours été inspiré par ce grand nom de la peinture, et se rapproche de son état d’esprit. David Hockney, tout comme Van Gogh, a une passion pour la nature. Il rejette le postulat des citadins qui reprochent à la nature d’être monotone. Selon Hockney, on ne peut pas être ennuyé par la nature. Comme Van-Gogh, il se dit joyeux de peindre la beauté simple et sereine de la nature. Pour David Hockney, il est important de bien regarder la nature, de bien l’observer pour percevoir la couleur des choses. Il faut voir ces couleurs pour ensuite les retranscrire sur les toiles. Dans l’interview pour le musée Van-Gogh, Hockney déclare que même si le peintre néerlandais était malheureux et misérable, il ne l’était pas quand il peignait. Peindre lui procurait de la joie. A la différence de Van-Gogh, Hockney se déclare être un peintre heureux, mais il dit se rapprocher de Van-Gogh dans la joie que lui procure la peinture.
David Hockney, peintre heureux.
David Hockney est très sourd. Il regrette beaucoup de ne pas pouvoir apprendre le français à cause de sa surdité. Mais cet handicap lui a permis de développer ce qu’il juge essentiel pour peindre : la vue. Il faut voir clair, bien regarder, bien observer, pour ensuite retranscrire chaque détail, chaque variation de couleur dans les peintures. Selon lui, il faut vraiment regarder les couleurs et le paysage, on peut toujours mieux voir, il faut juste prendre le temps.
David Hockney, est un peintre heureux. Quand il peint, il se sent jeune. Quand il peint, il retourne à ses 30 ans et à la dynamique de l’excitation de l’art. Quand il peint, il oublie son corps, il est transporté par cette passion. Tant qu’il peint, il va bien. Il peut continuer à fumer, à son âge cela n’a plus d’importance selon lui.
Tant qu’il a un travail à faire, il continuera de peindre. Il ne peut pas s’arrêter sans avoir fini sa tâche. Dans l’entretien au Monde d’août 2020, pour illustrer ses propos, il prend l’exemple de Monet. A 86 ans, le peintre est décédé, une fois qu’il avait terminé le travail qu’il s’était fixé : peindre les nymphéas.
Marienka Verriest