Voilà quasiment un an que je n’avais pas écrit pour cette chronique et c’est avec joie, maintenant que je suis revenu pleinement dans le quotidien lillois, que je reprends mes articles cinéma ! J’espère cette fois-ci que la situation sanitaire me permettra de la mener sur une année comme je l’ai toujours souhaité….
Mais avant tout, pour la rentrée, je souhaite faire un bref rappel de ce que je défends dans mes articles, et le film dont je vais parler aujourd’hui symptomatique de ce qui m’ennuie dans le monde médiatique actuellement. Ma vision n’a jamais changé, et même si mes premiers articles ne sont pas les derniers, j’ai toujours eu la même ligne directrice : parler de cinéma. Presque tous les médias ont abandonné l’analyse cinématographique et préfèrent analyser les films sous le prisme de l’histoire. Beaucoup ont ce biais de valider un film seulement quand l’histoire confirme leur position, et à l’inverse, descendre un film quand l’histoire ne serait pas correcte à leur yeux. J’ai pour habitude de toujours chercher des informations sur le film dont je parle pour mieux saisir la démarche derrière, et pour ce Plan 75, j’ai été frappé du nombre d’articles, creux, qui font les louanges du film non pas pour ses qualités cinématographiques, mais simplement parce que le récit d’anticipation du film était important, alarmiste, sur un sujet où les occidentaux aiment pointer le Japon du doigt.
Je ne veux pas prendre cette posture méprisante ou de maître au sommet de la tour, mais avec cette chronique j’ai toujours souhaité mettre en avant le cinéma pour le cinéma, pour les ambiances qu’il peut retranscrire, les émotions qu’il peut faire vivre à travers des expériences visuelles et sensorielles, pour la façon dont on peut être touché par la direction d’acteur, bref une vision d’art pour l’art. Prenons alors un peu de recul ensemble pour parler de cinéma, ce qui est le plus profitable, car un tel regard, une telle logique, nous donne une ouverture, une curiosité, qui nous incite à toujours découvrir de nouveaux films, différents entre eux. Dans mes articles, j’ai toujours eu à cœur de faire découvrir des films qui ne bénéficient pas de la meilleure visibilité. L’inverse ne profite pas au cinéma.
Malgré ma position critique sur le scénario, je suis toujours attaché aux non spoilers, pour donner une présentation du film, sans en dire trop aux personnes qui ne l’ont pas vu, mais assez, pour que celles qui l’ont vu puissent confronter leur réflexion à la mienne. C’est pourquoi je fais le choix de mentions discrètes et rares de certaines scènes du film.
Plan 75 est le premier long-métrage de la cinéaste japonaise Chie Hayakawa, avec une mention caméra d’or à Cannes. Peu d’information sont accessibles sur la réalisatrice et les coulisses de son film, mais notons une participation au projet Anticipation Japon en 2018, où elle réalise un court-métrage sur le même sujet que Plan 75. Mais alors, de quoi parle ce film ? Sous ses aspects de choral (film faisant intervenir plusieurs personnages sans réelle différence d’importance), Plan 75 se passe dans un futur plus ou moins proche où le parlement japonais décide d’accorder le droit d’euthanasie aux personnes âgées de plus de 75 ans, dans le simple but de résoudre, radicalement, la vieillesse de la population. Le film suit alors plusieurs personnes qui sont prises dans l’engrenage administratif et mortifère du Plan 75.
Plan 75 est un premier essai satisfaisant. Chie Hayakawa délivre un film d’une sobriété à glacer le sang, avec une ambiance froide digne d’un film d’horreur. Son long métrage est d’autant plus glaçant, que son film est très terre à terre, malgré une photo sombre. Sa caméra retranscrit ce qu’on pourrait qualifier comme un univers réaliste, ou du moins c’est le ressenti face à la société qui est présenté. Les acteurs ont tendance à « sous jouer », à la discrétion ; il y a très peu de musique, le ton reste sérieux tout le long. Ainsi donc, l’esthétique sobre du film le rend crédible aux yeux du public.
Chie Hayakawa part donc sur un style très modeste, dépouillé de tout artifices, qu’il n’est absolument pas rare de retrouver dans un certain cinéma japonais, contemporain. Elle semble avoir compris qu’il est possible d’être plus marquant, en montrant des images qui disent plus que toutes les répliques du monde. La répétition des plans sur cette vieille femme, seule chez elle, dans le noir, ces moments où son silence au sein du groupe trahissent sa solitude, n’ont pas besoin de mots pour être marquants. Chie Hayakawa fait confiance à son spectateur, ce sont les instants de silence où la peine des personnages se fait le plus ressentir.
Si l’histoire de la vieille femme est de loin la plus touchante, c’est malheureusement la seule dans laquelle je me suis impliqué. Chie Hayakawa a trop eu à cœur de filmer un système, au lieu de se concentrer sur une trajectoire individuelle. De ce fait, elle se force à montrer plusieurs personnes à l’écran, souvent mises sur le même plan. Les personnages sont plus nombreux qu’au début et la réalisatrice veut leur donner un traitement équitable. Peut-on trouver que l’absence de parti pris, et c’est mon cas, être une qualité, permettant ainsi au spectateur de se faire son propre avis sur la situation, malgré une prise de position bel et bien assumée du film. Eh bien tout cet aspect choral, mêlé au geste démocratique décrit ci-dessus, nuit au film. La réalisatrice filme avec beaucoup trop de froideur et de distance un nombre important de personnages, ce qui empêche l’implication avec ces derniers. Au final, beaucoup de passage paraissent longs et peu intéressants ; pourra-t-on dire qu’ils contribuent à l’ambiance déprimante du film….
Mais derrière toute cette froideur accumulée, ce ton grisâtre, sombre et pessimiste, peuvent émerger des couleurs et des bons sentiments. Quelque part dans cet océan de malheur, Chie Hayakawa arrive à montrer de très rares moments de joie. L’intérêt d’immerger son public pendant la grande majorité de son film, dans cette esthétique morose, est de donner encore plus de sens aux passages heureux. Comme les économistes aiment dire, la contrainte de rareté augmentent la valeur. Forcément, quand le spectateur est habitué à cette triste histoire, il est d’autant plus frappé par le contraste ; le bonheur, éphémère, se remarque beaucoup plus vite, l’expérience de la joie est d’autant plus intense. Tout culmine lors de l’arc entre notre protagoniste et la jeune opératrice, où le film enchaîne ses moments les plus touchants l’espace d’un court instant.
Plan 75 est donc un bon film que je recommande. Très rares sont les premiers films maitrisés, mais beaucoup ont montré des progrès exponentiels dès les deuxièmes, troisièmes films. Chie Hayakawa s’ajoute donc à la liste des cinéastes à surveiller…
Amir Naroun