Du haut de son 1m47, elle est déjà une star mondiale : la vidéo de son enchaînement au sol sur du Michael Jackson totalise plus de 32 millions de vues et a été largement relayée par les médias internationaux. Elle, c’est Katelyn Ohashi, ancienne gymnaste de l’équipe américaine et actuellement gymnaste de l’équipe universitaire de la UCLA (University of California, Los Angeles). La note parfaite de 10 obtenue à l’issue de son enchaînement désormais célèbre a fait couler beaucoup d’encre. Ce buzz était-il vraiment mérité ?
Si la performance de Katelyn Ohashi avait déjà fait du bruit outre-Atlantique au printemps 2018, ce n’est que suite à la publication par la UCLA d’une vidéo de son enchaînement au sol lors d’une compétition universitaire début décembre qu’elle a fait le tour du monde. Au-delà de l’exécution presque parfaite des acrobaties et de la note maximale obtenue, c’est aussi l’énergie, la joie et la chorégraphie de Katelyn qui ont fait réagir la toile.
Une performance réellement exceptionnelle ?
Les commentaires sur sa prestation et sur l’emballement qu’elle a suscité ne se sont pas fait attendre.
Tout d’abord, le caractère relatif de sa note parfaite a souvent été relevé, parce qu’elle n’aurait jamais pu avoir cette note aux Jeux Olympiques. En effet, le code de pointage en compétition universitaire américaine est bien différent de celui utilisé au niveau international, bien plus strict, où la note sur 10 n’existe plus depuis 2006. Dire que la note de 10 est rarissime aurait donc été vrai si celle-ci était encore utilisée par la fédération internationale. Aujourd’hui cette affirmation est pour le moins contestable, d’autant plus qu’en championnat universitaire américain (NCAA), les 10 ne sont pas si rares que cela.
Non, Katelyn Ohashi ne « dépoussière » pas sa discipline
Sa prestation serait également impossible à voir au niveau international : trop artistique, trop excentrique, bref, trop « libre », en comparaison avec les chorégraphies assez strictes que l’on peut voir chez les professionnels. Et c’est ce qui fait son charme. La dernière fois qu’une gymnaste professionnelle a essayé de casser les codes en se maquillant en chat lors de son passage au sol, ce genre de comportement a été banni par la fédération internationale.
De plus, dire que Katelyn Ohashi « dépoussière », voire « révolutionne » la gymnastique comme l’ont affirmé certains médias, n’est pas totalement exact. Les compétitions américaines de gymnastique universitaire relèvent souvent davantage du « show » que de la compétition sportive de haut niveau : les coéquipières imitent souvent les chorégraphies de la gymnaste qui passe au sol, qui, elle, assure le show avec une chorégraphie moderne et entrainante. Voyez plutôt la prestation de Sophina De Jesus en 2016, qui avait elle aussi enflammé le public avec sa chorégraphie.
Au-delà de la technique gymnique, une question de résilience
L’exercice au sol de Katelyn Ohashi serait-il donc un « faux » buzz, une banalité de la gymnastique devenue virale par hasard ?
Pas tellement. Au delà de l’aspect purement technique de son enchaînement, celui-ci reste un moment plein de vie et de bonne humeur que l’on voit rarement sur le visage des gymnastes concentrées sur leurs acrobaties. C’est justement cela qui a conquis le coeur des internautes, et ce peu importe le niveau de son mouvement.
Le buzz créé par la gymnaste et sa joie communicative ont également une raisonnance particulière au vu de son passé en tant que gymnaste professionnelle. Prédestinée à briller aux Jeux Olympiques notamment en gagnant l’American Cup en 2013, la jeune gymnaste a arrêté sa carrière prématurément suite à de nombreuses blessures. Elle révèlera plus tard avoir souffert mentalement du haut niveau, notamment de la pression sur son poids et de la charge d’entraînement (plus de 30 heures hebdomadaires). Dans ce contexte, le sourire sur le visage de l’athlète a bien sûr une résonance toute particulière.
La gymnastique, une discipline méconnue en France
Enfin, qu’elle soit universitaire ou professionnelle, la gymnastique occupe bien plus l’espace médiatique et suscite beaucoup plus d’intérêt aux Etats-Unis qu’en France. Les gymnastes font l’objet de biographies, voire de biopics comme Simone Biles par exemple, sont invitées sur les plateaux télévisés et participent à des émissions comme « Danse avec les Stars » (comme les championnes olympiques Nastia Luikin ou Shawn Johnson). Il n’est donc pas étonnant qu’une performance telle que celle de Katelyn Ohashi, bien qu’elle soit d’un niveau universitaire, suscite tant d’étonnement en Europe.
Le temps nous dira si elle permettra également de mettre en lumière les difficultés et dérives de la gymnastique de haut niveau, l’affaire Larry Nassar ayant déjà ouvert une brèche dans l’univers si fermé des justaucorps et de la magnésie.
Anna Lippert