Le “Chaudron”, c’est la nouvelle association féministe de Sciences Po Lille. Que prévoit-elle ? Quels sont ses projets ? Qu’ont-ils à apporter à notre école ? Manon Deschamps, secrétaire de l’association et Emma Lévy, sa présidente, répondent aux questions de la Manufacture.
Concrètement, le “Chaudron” c’est quoi ?
Le “Chaudron” est un collectif de luttes féministes intersectionnelles. Notre volonté est de combiner un collectif féministe avec un média, en créant du contenu vidéo et audio. Nous allons publier des vidéos et podcasts en ligne sur notre site internet et nos réseaux.
L’objectif est d’être un creuset d’idées aux problématiques féministes intersectionnelles liées au genre, au féminisme, aux minorités et à l’écologie. Le “Chaudron” est une référence au féminisme anarchiste. La référence est centrée sur le livre de Mona Chollet Sorcières: La puissance invaincue des femmes (Zones, septembre 2018). Le “Chaudron” est aussi un lieu de création, où tout se mélange et tout se crée. L’idée est aussi de donner une place aux jeunes féministes et de ne pas laisser seulement les plus âgées parler au nom des plus jeunes.
La première antenne du “Chaudron” s’est développée à Lille. Mais l’idée est de créer un collectif national, pas forcément dans tous les Sciences Po, mais dans tous les milieux universitaires.
D’où proviennent les étudiantes et étudiants qui ont décidé de fonder cette association ?
Pour l’instant c’est une association toute jeune, donc les étudiants et étudiantes viennent essentiellement de Sciences Po Lille. A Sciences Po Lille, nous sommes trois. Manon est secrétaire, Anaïs Croisille est trésorière, quant à moi [Emma], je suis la présidente de l’association.
Vous dites que le “Chaudron” est un lieu de rencontre, où tout se mélange et tout se crée. Ce besoin de créer une nouvelle association féministe tient-il sa justification d’un déficit de dialogue et d’action sur cette question des luttes féministes à Sciences Po Lille, selon vous ?
Je ne pense pas que ce soit un manque de dialogue qui nous ait poussé à créer le “Chaudron”. BCBG à Sciences Po Lille fait déjà des choses formidables entre les formations et les conférences. Mais nous ne voulons pas faire cela, dans la mesure où BCBG le fait déjà. Nous souhaitons mettre en place des moyens d’actions complémentaires. Nous allons faire des contenus vidéos, médiatiques, mais l’on ne va pas faire de formation. Nous voulons donner la parole aux jeunes étudiantes et étudiants. L’idée n’est pas du tout d’empiéter sur ce que fait BCBG, mais d’être complémentaires.
Nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas de médias jeunes qui pouvaient parler de féminisme, d’écologie, des minorités, le tout réalisé par des étudiants qui relaient ces contenus au niveau national.
Il n’y a pas de division ou de clivage idéologique avec BCBG, loin de là.
L’association féministe BCBG existe déjà depuis un certain temps à Sciences Po Lille, qu’est-ce qui vous différencie par rapport à cette association et qu’avez-vous à apporter en plus ou de différent ?
Comme je l’ai dit, nous ne produisons pas le même contenu. La ligne idéologique n’est pas fondamentalement différente. Nous tentons d’être l’expression des féminismes au pluriel. Sur le fond, nous n’allons pas nous différencier de BCBG, mais sur la forme nous allons nous en écarter dans la mesure où nos objectifs ne sont pas les mêmes. Peu d’actions concrètes auront lieu directement sur le terrain dans la mesure où nous sommes encore une association toute jeune. Nous allons essayer de développer d’autres partenariats avec des associations de Sciences Po Lille, concernant le contenu vidéo en particulier.
Dans un souci de complémentarité, nous pourrions aussi organiser des conférences à Sciences-Po Lille avec BCBG, pourquoi pas. Dans tous les cas nous pouvons forcément faire des collaborations intéressantes avec toutes les associations de Sciences Po Lille.
Il ne faut pas s’inquiéter qu’une nouvelle association féministe émerge à Sciences-Po Lille. Beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux étaient inquiètes, se posaient des questions ou émettaient des critiques. Que l’on se comprenne bien : ce n’est pas une scission. Si d’autres associations féministes se créent, c’est une bonne nouvelle. Cela veut dire que nous avons des modalités d’expression des féminismes qui sont nouvelles et variées.
Est-ce que ça signifie que votre vision du féminisme sera différente de celle de BCBG ?
Je ne suis pas certaine que nous aurons une vision différente du féminisme par rapport à BCBG. En effet, sur des sujets nationaux comme la PMA et la GPA nous avons des visions très proches. Dans la mesure où BCBG est déjà implanté à Lille et dans la métropole, leur travail de fond sera certainement beaucoup plus poussé que le nôtre. Nous, nous avons encore une ligne à développer.
Concrètement, en quoi consisteront vos projets ?
Premièrement nous réalisons des podcasts. Nous en avons déjà enregistré un, avec Sandrine Rousseau qui est la vice-présidente de l’Université de Lille, en charge de l’Égalité femme-homme. Le podcast va bientôt sortir. Une vidéo va bientôt être mise en ligne. Nous aimerions faire des vidéos informatives en format court.
Par exemple, nous sommes en train de préparer une vidéo qui traite de la place des femmes dans l’espace public à Lille, avec en toile de fond, toutes les problématiques liées à l’urbanisme et à sa capacité de restreindre, ou au contraire, d’améliorer l’espace public, pour qu’il soit un espace d’égalité et non exclusivement réservé qu’aux hommes. C’est de ce genre de projet que nous aimerions parler ; que la problématique concerne Lille ou bien ses alentours.
Nous aimerions aussi développer un autre projet, qui nécessite de se renseigner pour avoir des contacts et soutiens académiques ou universitaires. C’est la possibilité de réaliser des reportages à l’étranger, sur des sujets d’actualité qui ne sont pas forcément traités par les médias classiques. Nous avons pour projet de réaliser un reportage en Grèce sur la prostitution des personnes migrantes et mineures. L’idée étant que nous y allions directement avec des membres de l’association. Il s’agirait du temps pris sur notre période personnelle de vacances et pas pendant les cours à Sciences-Po, évidemment.
Pour mener à bien tous ces projets, on recrute donc n’hésitez pas à nous envoyer des messages !
Les députés ont voté en première lecture ce vendredi l’article premier du projet de loi sur la bioéthique qui prévoit d’étendre aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée. Cette avancée nécessaire vous semble-t-elle suffisante ou un palier doit-il encore être franchi ?
Concernant l’élargissement de la PMA, c’est une très bonne avancée, nous sommes ravi.e.s. Maintenant, est-ce que c’est abouti ? Pas du tout. La PMA a par exemple été refusée pour les hommes trans, qui sont des personnes qui ont été assignées femme à la naissance et qui ont la capacité biologique de procréer. La PMA leur a été interdite, ce qui est une décision très discriminatoire. Cela a été refusé parce que le gouvernement a donné un avis défavorable et que les députés LREM ont voté contre à l’Assemblée.
Ne craignez-vous pas que l’ouverture de la PMA débouche sur la GPA à long terme ?
La PMA et la GPA, au sein de notre association suscitent du débat, et c’est très bien comme cela. Au sein du “Chaudron”, nous avons parfois des opinions différentes sur le thème même de la GPA, et nous sommes ravis finalement que les gens soient pour ou contre la gestation pour autrui. Nous sommes contents que l’on arrive à un débat sur ce sujet, parce que cette thématique a été complètement exclue du débat public.
La PMA, mais aussi l’augmentation constante du nombre de féminicides est au cœur de l’actualité. Votre association travaillera-t-elle à des campagnes de sensibilisation sur l’ensemble de ces sujets ? Comment ?
Ce n’est pas encore défini, parce que nous sommes une association nouvelle. Les projets sont seulement en train de fleurir. Nous sommes à plus de 110 féminicides. Évidemment notre association va faire quelque chose, même si BCBG se positionne déjà assez largement sur ce sujet, en faisant de la prévention. Sur l’ensemble de ces sujets, l’ambition est de travailler de concert avec des associations qui ne sont pas seulement de Sciences Po, mais aussi de la métropole lilloise.
Marlène Schiappa, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes est annoncée à Sciences Po Lille la semaine prochaine. Votre association compte-t-elle l’interpeller sur tous ces sujets ? Qu’attendez-vous de cette conférence ?
Je ne pense pas qu’il faille attendre concrètement quelque chose de la part de Marlène Schiappa. D’un autre côté c’est la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, c’est une représentante du gouvernement : Qu’elle vienne à Sciences Po Lille est par essence une bonne chose. En revanche, on sait très bien que les débouchés de cette conférence – comme le Grenelle – seront limités, parce que les actions qui sont faites par le gouvernement sont des actions de surface et de communication. Rappelons que cette année, il y a une baisse du budget alloué à la protection des droits des femmes. On enlève de plus en plus des subventions pour les associations féministes. S’il n’y a pas d’actions concrètes derrière cette conférence, ça ne nous intéresse pas.
Carte blanche
Nous aimerions parler de la marche “Nous Toutes”, qui a lieu tous les 25 novembre, le jour de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, la marche intervient dans un contexte assez important, qui est celui de l’ouverture du Grenelle consacré à la lutte contre les violences conjugales. D’autres associations féministes de Sciences Po Lille et d’ailleurs vont y participer. Ce n’est pas un moment qui est associé à un parti politique mais un moment associé à “Nous Toutes”. Participer en tant qu’organisateur, bénévole ou simple citoyens ou citoyennes, me paraît être véritablement une bonne chose.
Emma Lévy et Manon Deschamps
Propos recueillis par Baptiste Coulon