Cela fait des semaines que le thème du concours est paru. Pourtant, malgré le flot d’idées qui me vient en tête, je ne parviens pas à écrire. En me posant quelques secondes, je réalise que le thème m’effraie. Le fait d’écrire, de donner son opinion, me terrifie. Mais pourquoi ne parvenons nous pas toujours à mettre sur le papier ce que l’on ressent ?
S’engager, c’est s’affirmer en tant que personnalité singulière
Steve Jobs disait « Ne laissez pas le bruit de l’opinion des autres étouffer votre voix intérieure ». « Facile à dire », « quelle phrase bateau », me diriez vous. Pourtant cette phrase m’a servie d’électrochoc. En effet, chaque personne a la possibilité d’exprimer son opinion. On a tous des vécus, des émotions, des environnements différents. On a donc des opinions qui divergent. Et c’est cela qui est riche. C’est cela qui est à l’origine des débats, qui nous permet d’avancer. Chacun, par sa parole, peut apporter aux autres. Mais pourquoi avons-nous donc cette peur constante de l’engagement ? D’ailleurs, qu’est-ce que l’engagement ? S’engager c’est exprimer publiquement ses opinions. Lorsque l’on s’engage on dit donc haut et fort ce que l’on pense. Nos opinions ne restent plus cantonnées à la sphère privée. Le fait de garder nos idées pour nous, a quelque chose de rassurant. Nous ne prenons aucun risque. Personne ne peut nous contredire, remettre en doute ce que l’on pense.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. S’engager c’est s’exposer au regard des autres. S’engager, c’est accepter que certaines personnes ne vont pas être d’accord avec notre opinion. S’engager c’est être ouvert à tout débat. S’engager c’est être sûr de ce que l’on défend. C’est sortir de cet état passif, qui est si confortable. C’est devenir actif. On s’affirme en tant que personne singulière, ayant un avis propre. Il est donc difficile d’oser affirmer sa voix. Cela nécessite une certaine confiance, estime de soi. Cela est d’autant plus difficile lorsqu’il s’agit d’exprimer son opinion à l’écrit. Mais pourquoi écrire rend-il les choses encore plus compliquées?
« L’écriture est la peinture de la voix », Voltaire
L’écriture c’est la matérialisation de notre parole. On met sur le papier ce que l’on pense. Exprimer son opinion à l’oral, est plus sécurisant. Notre voix s’efface, s’envole. Il n’y aura pas de preuves. L’écriture vient bouleverser tout ça. L’écriture inscrit la pensée dans le temps, il y a une réelle représentation de notre pensée. Cela est d’autant plus le cas lorsque l’on sait que l’on va être lu. C’est le cas dans les journaux par exemple. Tout le monde peut nous lire. Tout le monde peut juger notre manière de penser. Tout le monde peut juger notre manière de nous exprimer.
« L’écriture est la peinture de la voix », l’écriture c’est un esthétisme, c’est une question de style. Bourdieu montre que notre écriture est caractéristique de notre milieu social. Notre écriture est le témoin de notre éducation qui dépend en grande partie de notre origine sociale. La question de la légitimité peut donc se poser, particulièrement pour les personnes de milieux dits populaires. On peut ne pas se sentir légitime à écrire un article car on ne possède pas d’expérience, parce que l’on trouve que notre écriture est lourde, qu’on manque de créativité. On se dit que les autres écrivent mieux. On a ce sentiment si désagréable, souvent nommé « le symptôme de l’imposteur », que l’on est incapable de nous exprimer correctement. Dans le domaine du journalisme ce sentiment peut être particulièrement ressenti.
Qui sommes nous pour écrire des articles ? En parlant avec une amie, je me suis rendue compte que je n’étais pas seule à ressentir cette angoisse. Étant en prépa scientifique, elle considère ne pas avoir les compétences requises, ni le recul nécessaire. Les paroles d’Émilie résonnent en moi. Ni notre formation, ni notre milieu social, ne devraient nous empêcher de nous exprimer. A quoi cela sert de se mettre des barrières ? Ses paroles me font comprendre que l’on peut tous s’exprimer, même si on se sent incapable. Mais malgré cette réalisation, un obstacle persiste. Comment se mettre à écrire ? Pourquoi restons nous, parfois des heures, devant notre feuille sans trouver la force d’écrire une phrase ?
« La page blanche ! Ce grand désert à traverser, jamais traversé. », Gaston Bachelard
Assise à mon bureau. Mon ordinateur devant moi. Je regarde la page libreoffice. J’attends. Je regarde des vidéos. J’envoie des messages. Une idée me vient ! Mais je n’arrive pas à la formuler… Alors j’envoie un autre message. Je regarde l’heure. Ça fait une heure. Ça fait une heure que j’essaye d’écrire. Mais rien. La page est toujours aussi blanche. Mais comment cela se fait-il ? Mallarmé a su mettre un nom sur ces maux : « le syndrome de la page blanche ». Ce syndrome porte aussi le nom de leucosélophobie. C’est la peur que ressens un artiste avant de se mettre à écrire. C’est la peur de ne pas trouver l’inspiration, de ne pas trouver les mots. Il faut absolument parvenir à trouver de l’inspiration, à faire preuve de créativité.
C’est donc le cas pour l’auteur. Écrire, est la profession de l’auteur. Que devient l’auteur s’il n’écrit plus ? Mais cette angoisse est également ressentie par les journalistes, par les étudiants. Alors oui, les attendus artistiques d’une copie ou d’un article, sont moindres. Mais cette peur est tout de même présente. Cette angoisse est ressentie lorsque l’on a l’obligation d’écrire quelque chose. On sait que l’on doit écrire un article. Qui plus est, cet article doit être original. Cet article doit sortir du lot. Mais cet article doit tout de même rester dans le cadre du sujet. Comment trouver la cause que l’on veut défendre ? Comment défendre cette cause ? Comment parvenir à s’engager ?
Voilà autant de questions qui peuvent traverser la tête d’un journaliste, d’un étudiant, qui souhaite écrire pour défendre son opinion. Ces questions sont sources de stress, de peur. Cette peur mène à la procrastination. On a peur donc on procrastine. On repousse au lendemain, et finalement on ne s’engage pas. On ne prend pas le courage d’affirmer nos opinions, notre singularité. On reste au même point. Cette cause qui nous tient tant au cœur, ces ressentis qui nous sont propres, ne seront jamais dévoilés. Et si on essayait enfin de traverser ce grand désert ? Que risquons-nous réellement ?
Alors voila, c’est fait. A travers ce petit article j’ai enfin réussi à m’engager. Je suis parvenue à exprimer ce que je ressens, à mettre des mots sur mes idées. Alors oui, ces quelques mots sont peut-être maladroits, les tournures de phrase ne sont pas toujours des plus élégantes, et il doit y avoir bon nombre de répétitions. Mais cet article c’est moi. Et vous, quand est-ce que vous vous lancez ?
Lebreton Lucie