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Les critiques Ciné : Mank, de David Fincher

Après la lecture d’une presse dithyrambique sur Mank, dernière réalisation de David Fincher sortie début décembre sur Netflix, il apparaît essentiel de nuancer l’emballement général et d’avertir l’ingénu spectateur.

Un projet dépoussiéré

Sept ans après l’excellent Gone Girl (2013), Fincher nous gratifie d’un nouveau long-métrage issu de sa collaboration avec la plateforme de streaming Netflix. Collaboration déjà fructueuse puisque le réalisateur avait produit la première série originale de la plateforme, House of Cards, avant de piloter plus récemment la non-moins excellente Mindhunter. Netflix permettant aux cinéastes de concrétiser leurs rêves de réalisation, à l’image de The Irishman (2019) pour Scorsese ou encore Roma (2018) d’Alfonso Cuarón, l’homme derrière Fight Club (1999) a saisi sa chance.

Il a donc dépoussiéré un de ses anciens projets: l’adaptation d’un script écrit par un certain Jack Fincher, son père. Un projet pas tout à fait récent puisque le film aurait pu voir le jour, fin des années 90, avec Kevin Spacey et Jodie Foster dans les rôles désormais attachés à Gary Oldman et Amanda Seyfried.

L’histoire de Mank est plutôt simple sur le papier : on suit Herman J. Mankiewicz dans la conception du scénario d’un des monuments du 7ème art, Citizen Kane (1941). Comme le laissaient présager les interviews de David Fincher précédant la sortie du film, celui-ci s’évertue à déconstruire le mythe d’Orson Welles en le dépeignant arriviste et mégalomane, pas si différent du paysage hollywoodien des années 30. L’objectif de Fincher est donc de redonner ses lettres de noblesse à un homme trop longtemps resté dans l’ombre de Welles.

“Entre léthargie et remake raté de Citizen Kane, il est effectivement difficile de choisir”

Pour cela, rien de mieux que de lui accorder un film d’un peu plus de deux heures, similaire par sa narration à Citizen Kane. Et c’est là qu’on touche à l’un des problèmes du film: non seulement il n’arrive pas à la cheville de celui de Citizen Kane, mais le récit est extrêmement laborieux, sans parler de son intérêt tout relatif. En effet, Mank nous fait voyager entre le présent, moment d’écriture du script, et le passé, moment d’inspiration pour l’écriture de ce dernier. L’histoire se déroule donc sous la forme d’aller-retour entre ces deux temps et on lutte pour savoir lequel nous intéresse le moins.

Entre léthargie et remake raté de Citizen Kane, il est effectivement difficile de choisir. Il faut également ajouter à cela une intrigue politique qui occupe à peu près une heure du film et dont la justification simpliste n’aura pas fini de vous tourmenter tant elle bouleverse notre conception de l’humanité. Si cela n’était pas suffisant pour vous, Fincher, dans sa grande érudition, agrémente votre expérience de conversations que vous aurez le plus grand mal à suivre puisqu’elles concernent des événements ou des personnes inconnues du spectateur de 2020, et notre cher réalisateur n’éprouve pas l’envie de s’encombrer avec la pédagogie.

“La transparence du rôle de Rita Alexander (Lily Collins) n’a d’égal qu’avec son inutilité narrative.”

Comment évoquer Mank, sans parler de son interprétation, en commençant par celui qui tient le rôle principal, Gary Oldman (Darkest Hour, The Dark Knight). L’acteur est garanti sans prothèses et cela faisait un certain temps pour lui puisqu’il a confié à Empire : «Je n’arrive pas à me rappeler la dernière fois que ça m’est arrivé. J’ai toujours quelque chose!». Tout ce temps passé sous les prothèses lui a sûrement fait perdre son talent d’acteur puisque chaque minute du film passant, le spectateur frustré regrette un peu plus la version avortée des années 90.

De fait, Oldman réussit à nous rendre complétement hermétique aux aventures de son personnage auquel nous voudrions apporter notre aide dans la rédaction du script si seulement cela pouvait permettre d’abréger le film. Il convient également de souligner la pauvreté de certains rôles, avec en première ligne celui de Rita Alexander (Lily Collins) dont la transparence n’a d’égal que son inutilité narrative.

Fincher conclut son long-métrage avec une ultime tentative iconoclaste, déclarant plus ou moins que le succès de Citizen Kane est uniquement dû à son scénario, qui aurait été exclusivement écrit par Mankiewicz et que Welles se serait contenté de le signer. Il semble donc nécessaire de rappeler l’évidence, très primaire j’en conviens, qu’un bon scénario ne fait pas forcément un bon film. Un mauvais scénario en revanche fait rarement un chef d’œuvre, Fincher nous l’a parfaitement démontré.

Virgile Hub