Alors que la crise sanitaire et économique liée à la propagation du Covid-19 frappe de plein fouet les Etats-Unis, Donald Trump ne semble pas décidé à changer ses habitudes. Pire, le milliardaire à la tête du géant américain a même choisi de faire du coronavirus son allié dans la (re)conquête du pouvoir. En ligne de mire, les élections présidentielles du 3 novembre 2020. Analyse d’une gestion de crise aux accents électoralistes.
Le ridicule ne tue pas, il fait même gagner des élections. Depuis un fameux soir de novembre 2016, Donald Trump l’a très bien compris. Après une campagne disons originale, le magnat de l’immobilier a enchainé avec un mandat plutôt particulier – tentons de rester neutre. Trump ne respecte pas les codes – et la loi, bye bye la neutralité – le dernier exemple en date étant sa gestion de la crise du coronavirus sur le sol américain.
Du fait de l’isolement géographique du continent, le virus ne s’est propagé qu’au début du mois de mars, avant de connaître une croissance exponentielle, notamment dans les trois « clusters » que sont les villes de Seattle, de New York et l’État de la Louisiane. Les Etats-Unis sont désormais le pays le plus touché au monde, avec près de 800 000 cas et plus de 42 000 décès, dont 14 600 pour la seule ville de New York – chiffres de l’Université John Hopkins. Pire, c’est tout le modèle américain qui semble s’effondrer : sur les trente derniers jours, 22 millions d’américains se sont retrouvés au chômage – un huitième de la population active – soit huit chômeurs supplémentaires chaque seconde ! En Louisiane, ce sont les inégalités sociales et raciales, criantes, qui se révèlent avec la crise : si les afro-américains représentent un tiers de la population, ils correspondent à plus de 70 % des décès. Et si la grande précarité explose de nouveau, le Président semble moins se concentrer sur la faim des américains que sur sa propre soif de pouvoir.
Car D. Trump a une conception bien particulière de la gestion de crise : les gouverneurs font, ses collaborateurs défont ; les scientifiques recommandent, lui commande. Dès les prémices de la pandémie, le virus a été pour la Maison Blanche une farce venue d’Asie, un complot – terme si apprécié par l’alt-right américaine. Pire, le Covid-19 devient aussi avec le 45ème Président des Etats-Unis un outil électoral, un moyen de renforcer sa base qui s’était légèrement affaiblie depuis son élection. La communication présidentielle devient un véritable (en)jeu politique, un véritable cirque médiatique, dans lequel Donald Trump est à la fois M. Loyal, clown et fauve en cage, devant un public américain mi consterné, mi ébahi. Son allocution solennelle du 12 mars tourne à la parodie, Trump accusant l’Europe d’inaction coupable de la présence sur le sol américain d’un virus « étranger ».
Le même jour, le premier couac pour Donald intervient avec le test positif d’un officiel brésilien ayant rencontré le Président quelques jours auparavant. Pourtant, pas question de changer de posture face au virus : les gestes barrières sont à franchir pour des américains affranchis de tout bon sens, répète un Trump confiant durant ses interminables conférences de presse quotidiennes. En arrière-plan, les scientifiques désabusés ressemblent à des cautions de crédibilité pour un Président en manquant cruellement. Partout, le rayonnement américain se ternit, le quotidien français Libération titrant le 1er avril dernier à propos de la gestion de crise américaine : « La première impuissance mondiale ».
Outre-Atlantique, en cette période de guerre – pour reprendre l’expression d’un autre dirigeant occidental, l’union nationale n’est pas. Le Président, chef des armées, s’est (re)lancé dans une bataille contre un ennemi interne qui perturbe son avancée : les médias, qu’il accuse le 13 avril dernier, de « le brutaliser ». Victimisation loin d’être inédite pour Trump qui ajoute, loin de l’introspection : « Tout ce que nous avons fait [contre le virus] est juste ».
Reste que Donald s’est transformé depuis le début de l’épidémie en son oncle Picsou : solitaire fortuné, ronchon confiné dans une immense maison. Surtout, l’enfermement lui donne des envies d’aventures, appelant sans retenue le 17 avril dernier à l’insurrection et au non-respect des mesures de confinement dans le Michigan, le Minnesota et la Virginie… trois États gouvernés par les démocrates. Pourtant, loin d’être fou, Donald Trump est stratège : alors que des manifestations de militants ultra-conservateurs ont secoué ces États, le Président leur apporte un soutien tout calculé dans trois « swing states » cruciaux en vue des élections, le républicain ayant remporté le Michigan en 2016 avec un écart de 0,2 %.
Dernier calcul en date du Président : la fermeture totale de l’immigration ce lundi 20 avril, dans un soucis de « protéger les emplois des américains ». Pas de chômages partiel – n’existant pas aux Etats-Unis, ni de réelles mesures sociales, mais une interdiction d’immigrer, et non une éphémère fermeture des frontières. Pas d’émission de visas de travail ni de titres de séjours jusqu’à nouvel ordre. Une crise – sanitaire – en cachant une autre – démocratique. Par décision unilatérale, Donald Trump profite du chaos pour tourner son pays vers l’isolationnisme.
A moins de deux-cent jours des élections présidentielles, et alors qu’un de ses principaux adversaires, Bernie Sanders, s’est retiré le 8 avril dernier au profit d’une union démocrate autour de l’ancien vice-président Joe Biden, Donald Trump est aujourd’hui plus candidat que Président en exercice. Épinglé par le service de filtrage de « fake news » de Facebook le mois dernier, pour une vidéo de son rival Biden détournée, le Président sortant semble prêt à utiliser tous les moyens pour rester quatre ans de plus dans le Bureau Ovale. Même à utiliser la plus grave crise sanitaire du siècle à des fins politiques. Une lecture – le mot étant mal choisi pour qualifier Trump – ultra-stratégique d’une catastrophe naturelle inédite. Une simple illustration du – répugnant – modèle trumpiste à la tête du pays le plus puissant du monde. Une gestion calculée oui, mais pour quels effets ? La coalition démocrate peut-elle faire basculer les États clés et revenir à la Maison Blanche ? Donald Trump se dirige-t-il vers une réélection ? Réponses dans 6 mois…
Romain Cauliez