L’adage “Si tu veux la paix, prépare la guerre” nous rappelle l’approche politico-militaire que peut adopter un potentiel belligérant pour finalement maintenir la paix. La Pologne, consciente de sa position géostratégique, semble suivre cette pensée en renforçant son armée. Les réformes militaires entreprises dans ce pays sont ambitieuses mais ne sont pas sans soulever quelques critiques.
Déclencheur russe
Alors que la communauté internationale paraît lutter contre la militarisation et promouvoir le désarmement depuis la fin de la Guerre Froide, c’est l’effet inverse qui se produit. Le monde entre dans une nouvelle phase de la course aux armements avec divers États qui cherchent toujours plus à muscler leurs capacités militaires. Cette tendance a elle-même été intensifiée par l’invasion russe de l’Ukraine, bouleversant le spectre d’une sécurité européenne. Cette invasion choc a surtout réaffirmé la nécessité de solidification des armées des pays limitrophes à la Russie. Parmi ces pays, la Pologne avait déjà déclaré un renforcement radical de son armée en automne 2021, soit avant le début de la guerre en Ukraine. Plus précisément, le vice-premier ministre polonais chargé de la sécurité soutenait le 26 octobre 2021 qu’une armée devait être grande et bien équipée.
Plans et réformes mis en œuvre par Varsovie
Varsovie demeure sans doute à la pointe du développement des forces armées à l’OTAN (l’Organisation du traité de l’Atlantique nord). Les réformes introduites par le gouvernement polonais sont aussi bien d’ordre qualitatif que d’ordre quantitatif. Bien qu’au sein de l’OTAN les États membres soient conseillés à consacrer 2% de leur PIB (produit intérieur brut) en termes de défense, le budget militaire polonais a déjà atteint 3.9% du PIB national. Il devrait même être révisé à 4% et plus au cours des prochaines années. En conséquence, cela pourrait signifier que Varsovie ait le pourcentage le plus élevé de dépenses militaires au sein de l’OTAN. La Pologne prévoit parallèlement une augmentation du nombre de soldats, voulant presque doubler ses effectifs actuels. Cela les porterait à 300000 d’ici 2035 (comprenant 250000 militaires professionnels et 50000 issus des Forces de Défense Territoriale). Le service militaire reste pourtant volontaire.
La Pologne s’engage également dans la modernisation et le développement de son armement. Elle est, entre autres, en cours d’acquisition de chars d’assaut, d’avions de chasse, d’hélicoptères
d’attaque, de lance-roquettes, d’obusiers automoteurs, de systèmes de défense antiaérienne et antimissile et de frégates – pour beaucoup flambant neuf. Pendant longtemps, ce fut les États-Unis qui constituaient le principal fournisseur d’armes pour la Pologne. Cependant, après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, la Pologne a porté son attention vers la Corée du Sud, son prochain grand partenaire localisé en Asie.
La coopération entre les industries de défense polonaises et sud-coréennes diversifie les livraisons d’armes pour la Pologne, diminuant la dépendance de Varsovie envers un seul approvisionneur majeur. Ces dernières années, Varsovie a signé plusieurs contrats importants avec Washington et Séoul. Les commandes en provenance d’Amérique englobent quelques 32 avions de chasse F-35A, 350 chars M1 Abrams, 96 hélicoptères d’attaque AH-64E Apache et 500 lance-roquettes HIMARS. En ce qui concerne l’accord avec la Corée du Sud, le pays est en train de recevoir près de 1000 chars K2, 672 obusiers automoteurs K9A1, 48 avions de combat FA-50 et 288 lance-roquettes multiples K239. D’ailleurs, ces achats offrent à la Pologne la possibilité de remplacer ses anciens équipements post-soviétiques avec du matériel nouveau et de remplir ses stocks militaires. En effet, suite à l’invasion russe, le pays a muni l’Ukraine d’une part de ses chars, avions de combat, etc…
Même si dans le passé la Pologne était principalement attaquée par voie terrestre, Varsovie doit également assurer la sécurité de la frontière maritime, qui mesure environ 440 km. Elle se doit aussi de protéger la sécurité de la navigation en mer Baltique, face à la menace russe. C’est pour cette raison que l’industrie de défense polonaise coopère avec le Royaume-Uni sur la construction et la livraison de frégates de la classe Miecznik.
Pologne – rêves et besoins de la nouvelle puissance régionale
Si toutes les livraisons sont réalisées et que chaque réforme est mise en place avec succès, la Pologne pourrait émerger comme la nouvelle puissance militaire à l’échelle régionale dans les années à venir. Il faut néanmoins se souvenir que, certes, elle disposera de l’armée de terre la plus grande en termes des troupes et de matériel, mais ses forces navales ne pourront jamais concurrencer la marine française ou anglaise. En effet, ses besoins géopolitiques ne sont tout simplement pas les mêmes. Les efforts de la musculation militaire effectués par Varsovie sont conditionnés par deux facteurs principaux : la sécurité et l’ambition.
La Pologne et la Russie partagent une histoire tumultueuse remplie de guerres et de tensions. Le territoire polonais a déjà été envahi et occupé par l’armée russe à plusieurs reprises. Il est ainsi certain que la crainte et l’hostilité envers Moscou sont considérablement plus élevées en Pologne que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Ces sentiments se sont encore renforcés au fil des années, notamment depuis l’annexion de la Crimée. Le point culminant de cette animosité a été atteint après l’invasion russe de l’Ukraine. Certains évoquent alors les ambitions impériales russes en craignant qu’après l’Ukraine suivent les Pays Baltes et la Pologne. Cela a amené les dirigeants polonais à considérer la nécessité de construire une armée en capacité de braver la menace russe. Le but de forces armées puissantes est, en premier lieu, de dissuader une attaque russe et, en deuxième lieu, de priver Moscou de la possibilité de parvenir à ses objectifs.
Cela est toutefois contestable étant donné l’appartenance de la Pologne à l’Alliance atlantique. Celle-ci comprend l’article 5. Ce dernier implique une assistance immédiate en cas d’une attaque armée. Par conséquent, la Pologne ne devrait pas affronter la Russie toute seule et cela met en doute l’utilité d’une telle expansion de l’armée. Toutefois, le gouvernement actuel en Pologne remet en cause la fiabilité de Washington en tant qu’allié et craint que la Maison Blanche ne lui vienne pas en aide. Cela résulte de la critique du gouvernement polonais de la part de Joe Biden à propos des penchants autoritaires du parti au pouvoir – Droit et justice.
La sécurité polonaise dépend pourtant depuis longtemps de l’alliance polono-américaine et Varsovie cherche à s’affirmer comme l’allié le plus important de Washington en Europe continentale – un rôle attribué encore récemment à l’Allemagne. La position géostratégique de la Pologne qui partage une frontière avec l’Ukraine, a été reconsidérée après l’invasion russe. Cela fait écho à la logistique de l’aide internationale pour Kiev et à l’intensification des efforts américains pour sécuriser les pays à proximité de la Russie. La Pologne veut utiliser cette situation à son profit et ambitionne de prendre sur ses épaules la sécurité en Europe centrale afin de devenir l’acteur clé sur le flanc Est de l’OTAN. Cela déboucherait à l’augmentation de son importance non seulement au sein de l’OTAN mais aussi au sein de l’Union européenne.
Grâce aux contrats avec la Corée du Sud , comprenant la production de chars en Pologne, l’industrie de défense polonaise sera élargie. Par conséquent, il est probable que, dans un futur proche, Varsovie aura la capacité de fabriquer ses propres tanks, voire qu’elle adhère au cercle des pays exportateurs de ces véhicules. Tout cela renforce les aspirations polonaises à tenir un rôle aussi indépendant que possible dans la sécurité européenne.
Question de la faisabilité financière, défis et controverses
Quoique les investissements du gouvernement polonais dans la défense témoignent d’une grande ambition, leur mise en œuvre ne reste pas sans défis, ni controverses. Certains ont l’impression que le gouvernement polonais fait fi du montant total de ses achats coûteux et ne discerne pas que les ambitions et la véritable capacité financière de la Pologne ne se chevauchent pas. Le besoin d’autant d’hélicoptères Apache ou de chars K2 est également questionné. En fait, la possession d’une armée ne se limite pas aux achats mais inclut également la formation du personnel, la conservation et la révision du matériel. En même temps, le gouvernement doit soutenir et financer d’autres secteurs essentiels pour le fonctionnement adéquat de l’État, y compris l’infrastructure publique, les soins médicaux et l’éducation. Il est possible qu’afin d’assurer le financement à long terme de la modernisation militaire, la Pologne devra faire face au dilemme du “beurre ou canons”.
La question démographique soulève également un autre problème à Varsovie. Étant un pays caractérisé par le vieillissement de la population, la Pologne disposera progressivement de moins en moins de jeunes prêts à joindre les forces armées. Etant donné le fait que le service militaire n’est pas obligatoire en Pologne, le gouvernement rencontrera probablement des difficultés pour trouver de nouvelles recrues et donc pour rassembler 300000 soldats.
Le gouvernement actuel est également accusé d’utiliser le renforcement de l’armée comme argument électoral, à l’approche des élections législatives qui auront lieu le 15 octobre 2023. Comme le parti au pouvoir souhaite se targuer d’être le seul groupement politique en mesure de défendre la souveraineté et la sécurité du territoire polonais, il instrumentalise la menace russe et l’angoisse sociale à son profit. C’est pourquoi il est primordial de considérer ces réformes et ces plans aussi comme des promesses populistes. Il faut encore souligner qu’il existe un consensus parlementaire autour de la nécessité de rendre l’armée plus robuste en Pologne. Dans ce contexte, l’opposition politique ne remet pas en question l’idée du renforcement de l’armée mais son échelle et la façon d’implémentation.
Conclusion
Il ne fait aucun doute que des efforts considérables entrepris par la Pologne pour ériger une armée puissante. Alarmée par la politique agressive de la Russie et consciente de sa proximité géographique avec Moscou, Varsovie envisage la construction de forces armées garantissant la sécurité nationale. La Pologne aspire simultanément à jouer un rôle de nouvelle puissance militaire européenne en mettant l’accent sur une construction régionale de sécurité. Néanmoins, la hausse des dépenses pour la défense, l’augmentation des effectifs militaires et la modernisation de l’équipement ne seront pas faciles à atteindre et à soutenir. Les ambitions sont énormes. Pourtant, la volonté politique ne suffit pas pour assurer le succès et les dirigeants polonais devront faire face aux contraintes financières et démographiques substantielles s’ils visent à transformer la Pologne en puissance militaire.
Jakub Witczak
Sources :
https://www.businessinsider.com/poland-buying-tanks-helicopters-able-to-wage-combined- arms-warfare-2023-8?r=US&IR=T
https://www.defensenews.com/global/europe/2022/09/17/poland-inks-deal-for-fa-50-light- attack-aircraft-from-south-korea/
https://www.euronews.com/2023/09/06/poland-said-its-army-will-soon-be-the-strongest-in- europe-but-is-that-possible
https://www.ft.com/content/91590a6d-2739-42c6-bb29-4d2aeac21bf7
https://www.politico.eu/article/europe-military-superpower-poland-army/
https://www.rp.pl/polityka/art19049681-kaczynski-o-radykalnych-zmianach-w-armii-chcesz- pokoju-szykuj-sie-na-wojne
https://www.rts.ch/info/monde/13783945-comment-la-pologne-construit-larmee-la-plus- puissante-deurope.html
https://www.rusi.org/explore-our-research/publications/rusi-newsbrief/eastward-shift-natos- new-centre-gravity
https://www.sipri.org/commentary/blog/2023/impact-war-ukraine-polish-arms-industrial- policy
https://ukdefencejournal.org.uk/poland-building-part-of-a-british-frigate-why/
https://pulaski.pl/en/pulaski-policy-paper-polands-military-modernisation-still-many- challenges-ahead-robert-czulda-2/
https://www.youtube.com/watch?v=Jl_QA4gW-EI
https://businessinsider.com.pl/gospodarka/niemcy-o-polskim-wojsku-maja-szanse-stac-sie- najsilniejsza-armia-w-europie/hs9p447
https://defence24.pl/przemysl/polska-coraz-blizej-produkcji-czolgow
Photo de l’armée américaine par Spc. Joshua Zayas, Fête des forces armées polonaises à Varsovie le 15/08/2023