Une semaine après le début des mesures nationales prises pour répondre à la crise produite par le COVID-19, des étudiants de 4A de la majeure Développement Soutenable, partagent une lettre ouverte sur leur ressenti vis-à-vis de la “continuité pédagogique”, instituée par l’administration et les professeur.e.s. de SPL et appelle les étudiants à les soutenir en signant cet appel.
Nous remercions les ambassadeur·rice·s des différentes majeures de Master d’avoir pris l’initiative d’écrire un premier mail exposant une partie de la situation actuelle au personnel administratif, et nous avons ici décidé de revenir sur certains points importants afin de préciser les effets néfastes de ce confinement sur les étudiant·e·s de Sciences Po Lille.
C’est pourquoi nous avons décidé de publier cette lettre ouverte dans les groupes des différentes promotions concernées par la « continuité pédagogique » encouragée par le Ministère de lʼEnseignement supérieur.
Tous celleux se sentant concerné.e.s par cette situation auront l’opportunité d’apposer leur signature sur le Framaform prévu à cet effet. Bonne lecture !
Madame, Monsieur,
Nous souhaitons tout d’abord vous apporter notre soutien, espérant que vous et vos proches allez bien, et nous vous transmettons bien évidemment tout notre courage dans cette épreuve difficile.
Nous désirons également vous remercier pour votre engagement et votre réactivité face à cette situation. Nous savons que vous faites de votre mieux et ne remettons aucunement en cause le travail effectué par les équipes de Sciences Po Lille.
Il nous paraît toutefois justifié de questionner l’idée de « continuité pédagogique » que le Ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation appelle de ses voeux.
Ce qui nous est demandé par le corps enseignant et le personnel administratif ne nous semble pas pleinement réalisable au vu des conditions particulières, et il nous semble important de vous faire part de nos appréhensions. L’idée même de continuité pédagogique, sans réflexion sur la situation actuelle au préalable, nous a tou·te·s beaucoup surpris·e·s.
Nous comprenons bien sûr qu’avec la maquette universitaire votée en amont, il est compliqué de revenir sur l’organisation globale de ce deuxième semestre. Nous comprenons également que ce calendrier vous soit imposé par de plus hauts échelons au sein-même du Ministère de lʼEnseignement supérieur.
Il semble cependant avoir été décidé que rien ne changerait ou presque, que les évaluations seraient maintenues aux dates prévues et qu’il était impensable de déplacer certaines échéances importantes.
Lundi dernier, alors que dans la France entière il était question de s’organiser, de rejoindre sa famille, d’appeler ses proches, et surtout de ne pas paniquer, des élèves ont dû effectuer un galop d’essai en ligne.
Les dates des exposés et des évaluations sont pour la plupart maintenues.
Les cours, dans la grande majorité des cas, ne sont pas repensés.
Certains membres du personnel administratif semble nous considérer en vacances prolongées.
Au-delà de ces exemples, nous remettons en cause l’idée de la continuité pédagogique pour plusieurs raisons.
Certes, nous sommes à la maison, mais contraint·e·s d’y rester, cloîtré·e·s. Or pour travailler, il faut pouvoir se concentrer, faire des pauses, être dans un environnement silencieux. Ces conditions ne sont pas remplies : des étudiant·e·s sont seul·e·s dans des logements de très petite taille et parfois insalubres, certain·e·s ont déménagé chez des ami·e·s, d’autres sont dans leurs familles au cœur d’un brouhaha de télétravail, où la connexion internet est mauvaise, et les voisin·e·s bruyant·e·s.
La continuité pédagogique est-elle seulement envisageable pour tou·te·s ?
Nous nous interrogeons, car outre ces conditions « matérielles », beaucoup d’élèves ne sont pas dans un état psychologique leur permettant de fournir un travail de qualité.
Face à l’immobilisme du corps, une certaine liberté de l’esprit semble indispensable.
La sensibilité de chacun·e est heurtée par la situation, les effets de la pandémie et du confinement se font déjà ressentir et perdureront sans doute après la fin de cette période. Des élèves doivent gérer des proches malades, vulnérables et/ou éloigné·e·s, une information abondante et inquiétante, de longs moments enfermé·e·s. Certain·e·s doivent même encore assurer un travail salarié dans les secteurs les plus à risques, comme celui de l’agroalimentaire. Ces difficultés affectent grandement les capacités de concentration.
Également, la présence permanente derrière les écrans tout au long de la journée se révèle au fil des jours de plus en plus abrutissante. Le travail intensif sur ordinateur est néfaste pour la santé mentale et corporelle, nous ne vous apprenons rien. Une fatigue visuelle, parfois caractérisée par des maux de tête, des douleurs liées à la posture (troubles musculo-squelettiques), des troubles de l’humeur et du sommeil en sont les conséquences. Ces risques sont tous reconnus par le Ministère du Travail.
Cette lettre a donc pour objectif principal d’ouvrir une discussion sur les notions d’apprentissage et d’enseignement en cette période de crise.
Elles ne peuvent en effet se résumer à l’évaluation et à l’ingurgitation de connaissances à l’excès. Elles sont, au départ, le fruit d’une relation entre un·e professeur·e et des étudiant·e·s. Elles sont le fruit d’échanges, d’une dynamique collective nourrie de débats et de discussions, ce que les difficiles conditions du confinement ne permettent pas.
Il convient de prendre cette situation en compte et ainsi de ne pas prétendre que tout reste inchangé.
La nécessité d’évaluer ne doit pas occulter ce que nous, étudiant·e·s, ressentons. Nous sommes des élèves intéressé·e·s, nous continuons de lire, d’apprendre, de nous informer et nous regrettons beaucoup de ne pouvoir assister aux cours qui auraient dû être dispensés ce semestre.
Notre appel n’est pas une plainte fainéante, il est une invitation au bon sens. Nous ne serons pas des promotions moins formées, à moindre « valeur ajoutée », si ce qui nous est demandé est adapté à la situation.
Nous vous prions donc de prendre en compte ces difficultés, et espérons que vous accepterez de discuter avec nous des modalités d’enseignement et d’évaluation.
En vue d’examiner avec vous les conditions qui permettraient de traverser ensemble la période actuelle de la façon la plus sereine possible, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, nos meilleures salutations.
Cette lettre est volontairement ouverte à signature ici. Bon courage à vous.