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LETTRE OUVERTE – L’avenir c’est la médiocratie

En ce 25 mars les étudiants de Sciences Po Lille ont appris avec joie l’annulation du concours commun. Depuis le temps, nous franchissons le pas, nous suivons le modèle parisien ! Nul besoin de s’acharner pendant de longues soirées à connaître l’histoire de l’après-guerre, de préparer des dissertations sur l’école et la démocratie à la bougie ou d’apprendre des listes de vocabulaire. Un bon lycée, un bac avec mention et les portes s’ouvriront. Nous y rajouterons peut-être quelques quotas pour l’illusion.

Pour les étudiants qui ont préparé, parfois dans des classes prépa, ce concours spécifique ? Allez voir ailleurs ! Vous-êtes vous endettés ? Faisiez-vous de Sciences Po un rêve réalisable par un travail acharné ? Renoncez ! C’est pour la bonne cause, on choisira les meilleurs, enfin notre algorithme les choisira. Nos promos seront pleines de têtes blondes bien faites, bien studieuses et bien scolaires. La méritocratie n’existe pas, c’est Bourdieu qui nous l’a dit ! Fini le concours, avec les dossiers nous prendrons des petits génies de 18 ans qui auront voyagé, auront eu le temps de s’investir dans l’humanitaire, fait des classes européennes et un peu de latin. Nous en ferons les politiques de demain.

Mais ne vous réjouissez pas trop vite futurs sciencespistes ! Cette école n’est plus ce qu’elle était ! La politique ? Ici, fini les luttes sociales, l’accès à la culture émancipatrice, nous menons le combat écologique et féministe. Classes populaires, enfants d’ouvriers, bouseux provinciaux, passez votre chemin. Pour le diplôme acquis à la sueur de son front, c’est pareil. Il suffit maintenant de la victimisation de quelques-uns, pour que soient annulées ou dénaturées les grandes étapes de la scolarité. La soutenance du mémoire, le fruit d’un an de travail acharné ? Ce sera depuis votre canapé. Le Grand Oral, le moment où vous deviez être poussé dans vos retranchements une vingtaine de minutes, annulé. Pas repoussé, pas facultatif, annulé. Evidemment l’enfer est pavé de bonnes intentions, du stress en moins pour nos étudiants en détresse psychologique, des billets de trains économisés pour ceux qui sont déjà partis en vacances. D’autres paient leurs études parce qu’ils croient encore à la méritocratie, les naïfs, l’avenir c’est la médiocratie.

Et ce n’est pas fini, voilà qu’une « lutte » s’engage pour offrir à tous la validation du semestre, indépendamment de vos résultats. Après tout, ne pas être assuré de valider son année, c’est un stress terrible dont les séquelles psychologiques sont dramatiques… « L’essay » de trois cents mots sur les derniers tweets de Trump et le QCM de marketing seront des obstacles insurmontables à votre validation. Plus le temps passe, plus l’examen tient de la formalité. Les échecs se comptent sur les doigts d’une main chaque année. Mais non, tels de puérils collégiens, pleurons pour n’avoir plus rien à faire. Le diplôme vous est offert sur un plateau et il faudrait maintenant directement vous le mettre dans les mains.

La racine du travail est parfois amère, mais la saveur de ses fruits est toujours exquise.

Victor Hugo

Des diplômés en chocolat