Les notions de culture et de race ont connu des représentations variées dans nos sociétés, jusqu’à ce que ces deux termes deviennent synonymes par de rapides dérives de langage.
Une définition floue
Quand on pense à la notion de race, on fait référence à l’appartenance à un groupe, fondée sur des critères physiques ou biologiques, voire spirituels. Cette idée devient de plus en plus critiquée depuis la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, un drame, profondément marqué par une idéologie antisémite, basée essentiellement sur l’idée de race. L’idéologie nazie souhaitait anéantir les races impures, au profit de la race aryenne, image d’une évolution ultime de l’humanité. Aujourd’hui, il devient difficile de défendre ouvertement l’idée de race alors qu’elle a été réfutée scientifiquement, et que le monde entier s’alarme à la mention du « r-word ». Cependant un problème se pose lorsque cette définition floue et sulfureuse peut facilement se rapprocher de celle de la culture, à une époque où beaucoup se réunissent autour d’une culture commune.
En effet, la culture est d’abord ce qu’un groupe de personnes partage, et qui leur permet de se rapprocher, de se définir et de se présenter comme membre d’une certaine communauté, forte de traditions et de représentations qui lui sont propres. Cette idée peut être la cause de dérives proches du racisme, toutefois non pas basées sur la biologie mais sur la culture. Il peut être difficile de saisir la différence entre les deux termes. La confusion est en réalité préjudiciable aussi bien aux racistes qu’à ceux qui se battent contre le racisme. Nous créons artificiellement des différences à l’aide de cultures et d’identités distinctes. Nous construisons nous-mêmes les murs qui nous séparent en cherchant à protéger notre identité. Nous inculquons ensuite cette idée aux générations suivantes, au nom de la protection de l’enfant, qu’il ne faudrait pas perturber par des racines culturelles complexes.
Or, il est évident que ceux qui ont eu la chance de voyager ou de vivre à l’étranger pour une période plus ou moins longue sont plus ouverts et réfléchis de par cette exposition et cette immersion dans une autre culture, mais aussi plus compréhensifs, plus aptes à comprendre les points de vue de chacun, ce qui est essentiel dans notre monde actuel. En effet, nous sommes la première génération à être fièrement née de cet échange de cultures, à y avoir été bercé. Nous sommes les premiers bébés Erasmus, les premiers à toujours avoir connu l’Europe, le poids de l’Américanisation, tout en apprenant qu’il fallait être fiers de notre propre culture, et la défendre. Par le passé, les couples dit mixes ou dont les partenaires ne venaient pas du même pays ou de la même région étaient moins conventionnels. Nous avons toujours appris que la culture rapproche les peuples, car elle nous permet de souligner l’existence de racines communes. En outre, celui qui est façonné par cette richesse culturelle est également apte à se différencier de la masse, par une réflexion qui lui est propre, libre d’influences extérieures.
L’impact de la politique sur la confusion entre ces deux termes
La politique a alors cherché une nouvelle façon d’envisager et de comprendre la culture, ce qui s’est manifestée par des formes différentes à la droite et à la gauche de l’échiquier politique.
La droite a explicitement présenté la culture comme un remplacement de la race. Cette culture était donc unique à chaque nation, peuple ou pays, qui se devait de la protéger. Jusqu’alors, la culture avait toujours eu pour vocation de s’ouvrir au monde et de le transformer. On assiste peut-être ici à la naissance d’une nouvelle interprétation de la culture, perçue comme un besoin de se refermer sur soi-même, afin de la protéger. Cependant, se renfermement n’est-il pas négatif sur un plan aussi bien culture, politique qu’économique ? Refuser de prôner le libéralisme, n’est-ce pas nager à contre-courant, voire se tirer une balle dans le pied, au sein d’un contexte politique qui prône l’efficacité d’une action coordonnée par plusieurs pays, comme le montre l’avènement de nombreuses organisations internationales ?
Face à cela, la gauche a opté pour la position inverse : elle se targue d’être l’image d’une opinion politique qui défend à la fois la différence, l’unicité de chacun, ainsi que les minorités. Or, elle oublie que s’il faut défendre ces minorités, c’est afin qu’elles ne soient un jour plus perçues comme telles. On doit tâcher à ce qu’elles deviennent des citoyens à part entière, sans traitement de faveur ou préjugés. La démocratie est avant tout ce système politique qui défend l’égalité, « l’absence de toutes discriminations entre les êtres humains, sur le plan de leurs droits », et combat les traitements de faveurs. Nous avons la chance de naître « libres et égaux endroits ». Or, porter autant d’attention sur ces minorités n’est-il pas discriminant au regard du reste de la communauté ? La gauche a alors crié au scandale face à toutes tentatives « d’appropriation culturelle », c’est-à-dire dès qu’un membre du groupe dominant et plus privilégié utilisait les produits de la culture moins favorisée, à des fins esthétiques par exemple. Dès lors, si un membre de ce groupe privilégié souhaite se battre aux côtés des opprimés, il est susceptible d’être rejeté des deux groupes : le premier le percevra comme un « collaborateur », tandis que le second l’accusera de ne pas comprendre les souffrances que telle minorité doit endurer. Le même problème se pose pour ceux qui bénéficie d’une double nationalité par exemple, ou pour ceux qui sont issus d’une union mixe-raciale : comment savoir à quelle culture ces individus doivent s’identifier et comment éviter qu’ils se sentent rejetés ?
Le vrai problème est donc là : il ne faut privilégier personne, tout en défendant ceux qui sont trop souvent oubliés ou négligés. Chaque culture ou race dans le sens d’ethnicité mérite d’être célébrée autant par ceux qui s’y identifient, que par ceux qui l’apprécient ou s’y intéressent. En voulant bien faire, on ancre ces minorités dans ce statut inférieur. S’il faut être fier de ces différences, il est contreproductif de ne se définir que par elles. Aussi, penser la culture comme quelque chose qui est propre à un peuple, qui doit absolument être protégé en refermant les frontières est contraire à la culture elle-même. La France possède une culture si riche et si diversifiée justement car cette dernière a été forgée par le mélange d’une multiplicité d’autres cultures. Par exemple, c’est en accueillant des intellectuels italiens que François Ier a développé et instauré l’institution qu’était la cour française en embrassant le courant artistique et culturel de la Renaissance. Cela lui a permis de rayonner sur les autres royaumes européens. Se refermer sur soi-même c’est donc se priver de cette richesse ethnique, culturelle, spirituelle ou philosophique, qui façonne réellement la culture. Dans une société mondialisée, nous sommes peut-être amenés à repenser l’idée de race et de culture, et le lien qui existe entre ces deux notions.
Gwendoline MOREL