Les défis écologiques ne concernent que les électeurs de gauche en France. Du moins, c’est ce qu’on pourrait penser en contemplant le vide abyssal laissé par la droite sur la catastrophe en cours.
En effet, en France l’écologie est le terrain de la gauche. Déjà je vois apparaître les critiques, clamant que l’écologie est maintenant l’affaire de tous. Une chose doit être claire : l’ensemble du spectre politique français est environnementaliste (Dobson), il a admis l’existence des problèmes liés à l’environnement mais n’a pas pris la mesure de ces derniers. La droite française persiste à croire en une parfaite continuité du système politico-économique : c’est la croissance verte, sublime oxymore qui abreuve les discours politiques. En vérité, il en est ainsi de l’ensemble des libéraux : du parti socialiste aux Républicains, sans oublier la majorité présidentielle.
Cependant, la gauche française a pris conscience que des changements économiques et sociaux sont nécessaires (peut-être que sa défiance à l’égard du capitalisme l’y incitait plus que d’autres couleurs politiques). Le résultat de cette polarisation est l’enfermement de l’écologie dans un clivage gauche-droite. A ceux qui pensent que cette dichotomie est désuète, les unes du Figaro et de Libération le 11 mars dernier, au moment de l’anniversaire de la catastrophe nucléaire de Fukushima valent le détour. Et en réaction des positions prises à gauche, la droite française se mue en rempart contre la « dictature verte » : contre le tyran végétarien à Lyon, les terribles extrémistes antipublicité de la Convention citoyenne pour le climat (une liberté dont il ne faut surtout pas priver le consommateur).
« There is no alternative »
Et quid du citoyen convaincu que la société doit prendre le chemin de la résilience ? Il a le choix entre l’écologie libérale schizophrénique ou celle du monstre de Frankenstein. Cette dernière est portée par Europe Ecologie Les Verts ou encore par La France Insoumise. La conviction écologiste est sincère mais l’extrême gauche la rend indigeste. Entre l’écologie et la somme des revendications sociétales, on ne sait plus où donner de la tête.
L’enjeu du siècle ne peut se trouver prisonnier de ces partis politiques. Puisque l’écologie ne peut plus être en dehors de la politique, toute la politique doit être écologiste. Et c’est dans la refondation d’un lien entre la nature et la société qu’une certaine droite française peut jouer un rôle essentiel pour bâtir un pays qui saura faire face aux défis environnementaux.
La droite doit se mettre au vert
Alors que les libéraux (de gauche ou de droite) exaltent une nature réduite au modèle de la ferme urbaine au sein des métropoles, une droite conservatrice peut porter l’idée selon laquelle reconstruire la vieille ruralité française c’est renouer les liens qui unissent les Français à leurs terres. Pendant des siècles, la ruralité a fait la France. C’est en son sein que se trouve une solution majeure pour faire face aux défis environnementaux.
Au contraire des métropoles (pollueuses et voraces en énergies), villages et petites villes forment un modèle de mesure et de soutenabilité. Des milliers d’initiatives, de solutions pour lutter contre la catastrophe environnementale s’épanouissent dans le silence de la campagne française ; loin d’être un problème, l’échelle locale peut être la base d’une autre écologie. La renaissance de la ruralité française doit passer par une profonde transformation de l’agriculture. En effet, aujourd’hui, l’Europe néolibérale soutient un modèle productiviste qui épuise la plus grande richesse de notre pays : son sol. Jacques Ellul pensait que le salut face à la société technicienne se trouvait dans le modèle de l’homme raisonnable, guidé par les traditions.
La religion du progrès et de la technique
Le culte que les sociétés (de Chine jusqu’aux Etats-Unis en passant par l’Europe) ont rendu à la technique a emporté ces traditions. Le savoir et les pratiques des anciennes générations ont été jugé à l’aune des nouvelles valeurs de notre société. On a alors balayé tout un petit système qui entretenait une certaine sagesse dans nos rapports aux choses et notamment à la nature. En défendant la remise au goût du jour des traditions, la droite se ferait plus écologiste que ne l’a jamais été La République En Marche. Bien-sûr, toutes les anciennes pratiques ne sont pas bonnes à réanimer, il n’est pas nécessaire de sombrer dans un obscur traditionalisme, écueil équivalent au progressisme aveugle qui règne aujourd’hui.
La droite qui défendra une France résiliente ne peut être libérale. Sans une défiance envers le capitalisme et le mondialisme, elle ne ferait que se parer de vert. La société de croissance (que celle-ci soit verte ou non) est l’anti-modèle de la société écologique. En cela, la droite qui s’oppose au néolibéralisme, à l’injonction de la croissance (au mépris des hommes et de la nature) fait un grand pas dans le sens de l’écologie.
Quand Serge Latouche a commencé à prêcher la décroissance, il provoquait. Mais aujourd’hui, une réflexion sur la décroissance doit mener à l’idée qu’il est nécessaire de se détourner de l’indicateur roi pour fonder une économie du bien commun : il ne s’agit pas de chercher la décroissance comme on convoite aujourd’hui la croissance mais de ne plus faire des points de croissance le graal du système économique français. C’est rattacher l’économie au réel, à la terre en l’arrachant à la finance et à la statistique.
Il ne faut pas rompre les ponts
Face au véganisme (idéologie totale dont on ne peut rien retrancher) et aux antispécistes qui veulent séparer les hommes et la nature, la droite peut se faire le chantre d’une société qui s’ancre dans la nature. Car c’est bien l’absence d’un lien entre cette nature et la société qui est au cœur de la catastrophe écologique actuelle. L’Homme saccage la planète et perturbe le « système Terre » parce qu’il considère la nature comme « un dehors » (Bourg, 2018).
Replacer notre société dans ce « système Terre », c’est reconstruire le lien entre la nation et la nature. La France se fait une fierté de son patrimoine culturel, elle devrait aussi s’enorgueillir de cette immense richesse naturelle qui s’étend sur son territoire : des volcans d’Auvergne aux Pyrénées, en passant par la Drôme, sans oublier la jungle guyanaise ou les récifs en Polynésie française. C’est le patriotisme vert (évitons l’amalgame avec le nationalisme grâce à Romain Gary : « le patriotisme c’est l’amour des siens. Le nationalisme c’est la haine des autres. »).
Lutter contre le réchauffement climatique, c’est combattre la disparition des glaciers dans les Alpes, prendre des mesures contre la pollution des eaux, c’est protéger nos nombreuses et belles rivières. Loin d’être une idée creuse, le patriotisme vert doit déclencher une volonté politique forte pour la protection de la nature.
Spiritualité
Plus qu’une vision politique de la France, la droite peut apporter une dimension spirituelle à son écologie. Si l’on considère que les catholiques forment un électorat de droite (François Fillon a obtenu 46% des voix des catholiques pratiquants, au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, selon Jérôme Fourquet de l’IFOP), alors ce fragment de l’identité de cette famille politique peut être une des sources de sa conviction écologiste.
Si certains auteurs comme Lynn White ont porté l’idée que la civilisation judéo-chrétienne est à l’origine de la catastrophe environnementale, il est possible de défendre la thèse contraire. D’abord la vision absolutiste de la Genèse (la nature n’est qu’un stock au service de l’homme) a été contesté par une encyclique du pape François : dans Laudato Si’, ce dernier défend une vision qui fait de l’homme l’intendant de la nature, il doit veiller à sa protection, à son exploitation raisonnable.
Ensuite, certains contestent le sérieux de la vision absolutiste : Jacques Ellul a notamment expliqué que si la nature a été donnée à l’homme, elle lui a été donné par Dieu qui exige de l’homme un véritable amour de toutes ses créatures. Le chrétien ne peut donc pas accepter un monde qui ne cesse de détruire l’environnement.
L’écologie, pourquoi faire ?
Tout le but de cette tribune est de montrer que la droite porte en elle-même les germes qui peuvent en faire une force politique en faveur d’une société résiliente. A travers ses thèmes de prédilection, la droite française peut développer une véritable pensée politique de l’écologie. Mais il y a un obstacle de taille : croire.
Le développement des questions liées à l’environnement à droite est né d’une volonté électoraliste. Si le taureau est attiré par le rouge, l’électeur l’est par le vert, pensent-ils. Valeurs Actuelles a synthétisé cette posture dans son numéro de la semaine du 4 mars 2021, intitulé « les écolos sectaires ». La grande préoccupation était la « poule aux œufs d’or électorale » : « quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt » dit le proverbe chinois.
Tant que la droite persistera à considérer l’écologie comme une opportunité électorale et non comme un devoir d’agir en profondeur face à une catastrophe réelle, il n’y aura pas de droite écologique. Peut-être que cette famille politique n’a pas embrassé l’ampleur de ces défis. Mais « savoir n’est pas croire » répondrait Jean-Pierre Dupuy. Il est plutôt question d’une prise de conscience, d’un choc moral.
Quoi qu’il en soit, la droite en France doit comprendre les défis écologiques dans toutes leurs implications, mais elle doit aussi être convaincue de la nécessité de changements importants pour faire face au choc. Une fois ces étapes passées, elle pourra être une véritable actrice de la protection de la nature.
Benjamin Magot
Tu m’avais conseillé de lire ta tribune lors d’une soirée, c’est chose faite !
Ta vision est intéressante, et presque intégralement en désaccord avec la mienne – sauf quand il s’agit de la critique du capitalisme et de la nécessité de décroissance. Tu as eu raison de me pousser à la lire 🙂
Peut-être que je tenterai une tribune-réponse dans l’année !
D’abord très content que tu te sois donné la peine de lire cet article !
Je pense que si “l’âme” de l’écologie que tu défends est en effet très différente de ma conception de l’écologie, nous pouvons toutefois nous accorder sur le diagnostic (scientifique) de la situation et sur la nécessité de transformer en profondeur la société pour aller vers un modèle sociétal soutenable…
N’hésite surtout pas à écrire une tribune-réponse (qui en appellera sûrement une autre) !
Le monde rural est précisément le plus polluant.
La ville pollue plus en valeur absolue puisque plus de monde y habite, évidemment. Mais si l’on revient à une valeur proportionnelle, qui rend compte réellement de la valeur polluante d’un espace, l’urbain est très largement moins polluant (logement commun, mieux isolé, moins de transport, moins de consommation d’énergie en général car tout est proche…), et ce sont les politiques de développement des logements individuels qui provoquent une occupation de l’espace désastreuse pour l’environnement.
Et c’est bien pour ça que la gauche est le camp politique qui peut parler environnement : puisqu’elle s’intéresse aux faits, à la science, avant les fantasmes et la spiritualité.
Quand on parle pollution, on doit aussi regarder la concentration de la pollution je pense. Une ville comme Paris produit par exemple une intense pollution atmosphérique en Ile-de-France, peut-être que si vous répartissez proportionnellement (et j’en doute) vous obtenez un résultat inférieur par tête que dans un village, mais dans ce village il n’y a pas de problème de pollution atmosphérique. De plus, les problèmes de pollution, de gestion des déchets, d’alimentation sont des défis à taille humaine dans ce village, on peut appliquer des solutions rapidement mais à l’échelle de Paris, tout devient complexe et long. Puis rien n’empêche de mieux isoler les logements en campagne, de partager les réseaux d’énergie (certains travaux sur des coopératives énergétiques montrent cela). Je pense personnellement qu’il est plus aisé de construire des communautés soutenables dans le monde rural.
Chaque camp joue la carte de la science. Cette science elle fonde le diagnostic environnemental, elle nous montre l’ampleur des défis et elle peut même nous aider à trouver des solutions. Mais ces dernières peuvent aussi être politiques, sociales, économiques, philosophiques. Vous opposez le spirituel et la science, pourquoi ? La science ne détruit pas le spirituel, il est tout aussi vrai que le spirituel ne détruit pas la science.
Être “la science”, prétendre représenter strictement “les faits” en faisant semblant de ne pas voir qu’on y ajoute toujours sa subjectivité personnelle, emprunte de spiritualité quand bien même elle n’est pas religieuse, voilà la nouvelle tare de la “gauche” en effet.
Quel que soit son positionnement sur le spectre politique (si jamais celui-ci a encore un sens), rien n’empêche d’être conscient de sa propre subjectivité, de la prégnance constante du sentiment personnel qui vient interpréter de telle ou telle manière des faits, des informations, des démonstrations scientifiques. Le réchauffement scientifique anthropique est un fait, mais importance à lui à accorder et les solutions à lui apporter ne peuvent être celles d’une seule orientation politique.m, de surcroît quand cette orientation politique prétend la plupart du temps qu’il s’agit d’un phénomène inédit alors que la planète a connu nombre de réchauffements et extinctions de masse au cours de sa paléo-histoire, ce qui là encore constitue des faits scientifiquement établis. Faire semblant de le nier, c’est prendre le risque d’une dérive totalitaire qui refuse d’entendre des solutions nuancées puisqu’on se prétend basé uniquement sur la rationalité pure.
Malgré le ton presque arrogant, l’article est très agréable à lire.
Le sujet est tout aussi pertinent qu’interessant.
Je félicite.
Merci pour votre commentaire !