L’enquête Egaé réalisée auprès des étudiants de Sciences Po Lille concernant les violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein de l’école donne aujourd’hui ses résultats, et bien que les données démontrent certaines améliorations, les constats sont encore alarmants.
Il s’agit d’une première à Sciences Po Lille selon le directeur, Pierre Mathiot, lors de la réunion de restitution des résultats, jeudi 10 mars : une enquête réalisée en ligne auprès des étudiants de manière anonyme sur la question des violences sexistes et sexuelles au sein de l’école. Ce questionnaire d’une quarantaine de questions, avait pour but de recueillir des données sur l’ampleur des VSS au sein de la vie des étudiants mais aussi du personnel de l’école. Réalisée en collaboration avec le groupe Egaé, entreprise travaillant sur l’égalité homme femme et la prévention contre les VSS dans l’enseignement supérieur et dans le milieu du travail, l’enquête était une initiative de la Commission Egalité de Genre de Sciences Po Lille, dirigée par Catherine Saupin. Cette enquête va permettre de donner certaines indications quant aux différents points devant être améliorés pour prévenir les violences à Sciences Po, car des violences il y en a…
Avec un taux de participation environ égal à 30% de l’ensemble des élèves de Sciences Po Lille (550 réponses) l’enquête n’offre, en réalité, qu’une image partielle de la réalité des faits, mais fournit tout de même les données suffisantes pour réaliser une analyse objective de ces faits.
Des violences de différents types
L’enquête Egaé différencie les VSS selon quatre catégories : les agissements sexistes ou discriminatoires, le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles et enfin le viol. Environ la moitié des étudiant.e.s répondants à l’enquête ont été confronté.e.s à ces violences, en tant que victime ou témoin. Parmi ces chiffres, on constate, sans surprise, une surreprésentation des femmes victimes dans toutes les catégories de violences. Par exemple, sur 33 victimes d’agression sexuelle parmi les répondant.e.s, 29 sont des femmes. En ce qui concerne le viol, sur 11 victimes 9 sont des femmes.
11 personnes déclarent avoir été victimes de viol
Le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ou discriminatoires sont les deux types de violences que l’on retrouve le plus chez les répondant.e.s. Pour le harcèlement, 30% des étudiant.e.s répondant.e.s disent avoir été confronté.e.s à des propos à connotations sexuelles au sein de l’école, tandis que 42% disent avoir été confronté.e.s à des agissements à caractère sexistes (remarque, « plaisanterie » ou tout agissement lié au sexe d’une personne et portant atteinte à sa dignité), soit 231 personnes.
L’enquête laissait aussi la possibilité aux étudiant.e.s de mettre en avant d’autres types de violences à l’intérieur de l’école. Les injures, le harcèlement moral, les discriminations et aussi les violences au sein du couple ont été notamment rapportés par 209 répondants.
Ces violences sont majoritairement les faits d’étudiant.e.s, à environ 90% des cas, mais les données montrent aussi que certaines de ces violences sont aussi exercées par des enseignants ou des membres du personnel de l’école, notamment pour les propos et agissements sexistes où, dans 35% des cas, il s’agirait d’enseignants. Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que sur les 168 personnes rapportant avoir été témoins ou victimes de propos à connotations sexuelles, 19 répondent que ces propos sont ceux d’enseignants ou d’enseignantes. L’enquête ne permet cependant pas de savoir si ces 19 cas sont les faits d’une seule et même personne ou non. En ce qui concerne les agressions sexuelles, une personne témoigne que les faits auraient été commis par un membre du personnel.
L’enquête rappelle qu’une agression sexuelle n’est pas uniquement une atteinte commise avec violence sur le sexe d’une personne mais peut aussi être une atteinte commise avec contrainte, menace ou encore surprise. Rappelons aussi qu’il existe plus d’une zone du corps, en plus du sexe, où l’on peut considérer l’acte comme agression sexuelle, notamment les fesses, les seins, la bouche et entre les cuisses.
Le problème des soirées étudiantes
Si la majorité des violences sont le fait d’autres élèves, l’enquête permet aussi de constater que ces VSS ont lieu le plus souvent dans des soirées étudiantes. Les chiffres montrent par exemple que la plus grande partie des outrages sexistes, des agressions sexuelles ou encore des viols ont lieu à l’extérieur de l’établissement dans le cadre d’évènements liés à l’école. Le cas des viols semble le plus révélateur puisque cinq personnes disent que ces faits auraient eu lieu dans le cadre de soirées liées à Sciences Po.
Les faits les plus graves sont majoritairement le fait d’autres élèves dans des soirées.
Ce constat ne diminue en rien les obligations de la direction de l’école qui se doit d’agir dès lors qu’elle reçoit un signalement, que les faits soient avérés ou non, en signalant, en enquêtant et en sanctionnant pour faire cesser les violences.
Cette surreprésentation des soirées comme lieux de violences invite à se poser des questions sur les dispositifs de sécurité mis en place durant celles-ci. Si des « safe zone », c’est-à-dire des zones sûres et calmes à l’intérieur des soirées pour prévenir les risques de violences, et des représentants VSS sont désormais des dispositifs généralisés lors des soirées les plus importantes de l’école ou dans le cadre des activités de l’école (WEI, Gala, JIIEP etc.) ces moyens restent beaucoup moins présents pour le reste de la vie nocturne des associations et des étudiants de Sciences Po. La Commission Egalité de Genre se penchera sur cette question dans les semaines qui suivent.
La prise en charge des signalements
L’enquête Egaé révèle également un disfonctionnement dans la prise en charge des signalements d’agressions. Selon les chiffres, on constate un décalage entre le nombre de répondants affirmant avoir signalé les faits et le nombre de signalements reçus par les personnes en charges de la cellule d’écoute à Sciences Po. Plusieurs explications sont possibles, les répondants peuvent affirmer avoir signalé les faits reprochés alors que non, les faits peuvent avoir été rapportés mais à la mauvaise personne qui n’aurait pas perçu cela comme un signalement ou bien, plus alarmant, les faits peuvent avoir été signalés mais la personne n’aurait pas fait remonter le signalement à la cellule.
La conclusion qui s’impose est que le dispositif de signalement des violences sexuelles, c’est-à-dire le formulaire en ligne et l’accès à la cellule d’écoute, peuvent encore être largement améliorés. Sur 33 personnes répondants avoir signalés des faits à la cellule, 16 répondent que leur signalement n’a pas été traité suffisamment selon eux, et six disent que ce signalement n’a pas été traité.
Et maintenant ?
La prévention et l’information des étudiants concernant les VSS et la notion de consentement se poursuit au sein de l’école, comme le montre la réunion prévue dans le cadre des jeux inter IEP. Une réunion du même genre concernant la mobilité internationale a aussi eu lieu pour les étudiants de deuxième année. On a cependant constaté que plus les réunions VSS se multiplient et plus les sièges des amphis se vident. Réussir à sensibiliser doit, semble-t-il, d’abord passer par réussir à intéresser.
La Commission Egalité de Genre a pour cela pensé d’ores et déjà à de nouveaux moyens de prévention et de sensibilisation pour la rentrée 2022. Le projet d’un guide pratique pour aider à l’identification des violences et fournir des aides et des informations sur les procédures pénales et disciplinaires, dont 302 réponses à l’enquête ont montré une opinion favorable, est en cours de réflexion. Un projet de capsules vidéo serait aussi en cours. Sciences Po possède aussi désormais un partenariat avec Allô Victime, une commission d’avocats du barreau de Lille ayant mis en place une permanence téléphonique gratuite pour répondre aux demandes de victimes d’agressions et les aider dans le cadre des procédures pénales. Tous les appels sont non facturés et il est aussi possible d’obtenir un rendez-vous gratuitement.
Le gros point positif qui ressort tout de même de l’enquête est que 82% des répondants disent qu’il y a eu une amélioration du traitement des signalements de violences sexistes et sexuelles depuis le début de la mission égalité en mars 2019 au sein de Sciences Po Lille. Depuis la rentrée, 66% des répondants estiment aussi que le sujet de la prévention des violences sexistes et sexuelles est suffisamment abordé dans le cadre de leurs activités à Sciences Po Lille. Le ressenti est donc positif et l’école semble effectivement être sur la bonne voie. De nombreux progrès restent à faire mais il semble que la majorité des acteurs de l’école en soient conscients, ce qui est de bon augure pour la suite.
Margot Denis