Il suffit de cliquer sur deux ou trois boutons pour écouter de la musique, pour prendre une photo, ou pour regarder une vidéo, et tout cela rien qu’avec un téléphone. Mais avez-vous déjà ressenti ce sentiment de voyage temporel lorsque, dans un éclair de lucidité, vous décidez de regarder un film sur une cassette, de prendre une photo avec le vieux polaroid qui prend la poussière, ou de ressortir les vieux CD au plastique jauni ?
Vous n’êtes pas sans savoir qu’en 2025, l’humanité possède toutes sortes de technologies plus ou moins complexes qui nous permettent d’obtenir des expériences toujours plus qualitatives et immersives. Entre casques bluetooth, enceintes connectées, Spotify, Deezer, Youtube, sur la télévision ou le téléphone, il n’y a que l’embarras du choix.
Mais pourquoi existe-t-il encore des personnes qui préfèrent écouter leur musique sur des lecteurs CD, pourquoi certains s’entêtent à acheter des vinyles ou des cassettes alors qu’il existe des alternatives moins chères et plus pratiques, promettant une meilleure immersion musicale ? Sur le marché de la musique, le streaming représente 83% des parts certes, mais le vinyle s’accroche tout de même avec ses 11%, ce qui, pour un mode de lecture considéré comme mort et dépassé, est un chiffre tout de même considérable. Ce phénomène ne se limite pas à la musique, on observe également le retour des appareils photo argentiques ou polaroids, ou encore du cinéma à la pellicule.
La raison de la popularité du vinyle et de ses semblables tient dans les deux mots de Laura Marks : la nostalgie analogique. Certes le vinyle, le CD, les cassettes ont ce charme inépuisable du vintage, du souvenir d’une époque révolue, avec leurs belles pochettes et leur grain signature. Mais s’ils sont aussi tendance aujourd’hui alors que leur utilité a été dépassée, c’est probablement parce que nous avons besoin de nous raccrocher à quelque chose de familier : quelque chose d’humain et d’imparfait. C’est ce que Dominik Schrey explique dans son étude « Nostalgie analogique et art de la ruine » publiée en 2021. Ce qui différencie les objets analogiques des objets numériques, ce sont leurs défauts. Le petit craquement du vinyle, le rembobinage des cassettes, le grain de l’argentique : tous ces petits détails ne se retrouvent pas sur les plateformes de streaming ou les appareils photos numériques. Ces défauts nous rappellent une chose : ces objets sont avant tout fondamentalement humains. C’est justement là que tient tout le concept de la nostalgie analogique. Nous sommes attachés à l’humanité de ces objets plutôt qu’à l’expérience auditive ou visuelle qu’elle nous procure. La nostalgie analogique est plus qu’un simple phénomène rétro : elle témoigne d’un besoin de réenchanter les expériences médiatiques face à l’uniformisation numérique. Nicholas Rombes, dans Cinema in the Digital Age (2017), aborde également le sujet de la nostalgie analogique de manière similaire. Il parle d’ “accentuer l’imparfait” pour en faire ressortir l’humanité qui se cache derrière ; un mouvement à contre-courant du perfectionnisme numérique, où tout est lissé, calculé, stérilisé et poli pour ne laisser la moindre trace d’authenticité. L’esthétisme et le fonctionnement de ces objets de nostalgie sont propres à eux-mêmes tandis que la différence entre Spotify et Deezer par exemple, n’est pas particulièrement frappante. Il ne faut cependant pas se méprendre : contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, il ne s’agit pas d’un sentiment réservé aux objets analogiques, certains objets ou médias numériques peuvent également le procurer. Il suffit de regarder d’anciens jeux vidéos, où les bugs de textures et l’amateurisme des designs vous plongent dans une ambiance toute particulière, bien différente des jeux vidéos modernes qui visent des apparences bien plus réalistes et lissées. Les utilisateurs d’objets analogiques ne les adoptent pas par rejet technologique, mais ont tendance à les utiliser de manière complémentaire à leurs objets numériques. La question qui se pose ici n’est pas pourquoi on utilise des vinyles ou des polaroïdes. Il s’agit de comprendre quelle est la différence émotionnelle entre les deux supports.
La nostalgie analogique peut également être perçue comme une invitation à prendre son temps. Prendre le temps de rembobiner la cassette, prendre le temps de faire sécher le polaroid, et apprendre que rien n’est immédiat et qu’il faut savoir attendre pour profiter des belles choses. La nostalgie analogique valorise la lenteur, l’imperfection et l’authenticité face à l’immédiateté du digital. Elle offre l’occasion de s’évader un instant, dans un passé plus ou moins lointain, pour oublier les horreurs existentielles de tous les jours. Les objets analogiques proposent des expériences sensorielles dont nous n’avons même pas remarqué la disparition. C’est le moment de se rappeler pour oublier, et là se trouve toute la magie de la nostalgie. Pour pouvoir en profiter, il faut s’arrêter un instant et ralentir. Alors je vous pose aujourd’hui la question : avez-vous pris le temps ?
Clémentine Grand-Perrin