Docteur en sciences politiques, Félicien Faury a beaucoup fait parler de lui depuis 2024 avec la sortie de son livre « Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite ». Le mardi 4 novembre, il est invité à Sciences Po Lille lors d’une conférence organisée par Citéphilo et présidée par Sandrine Lévêque.
Chercheur postdoctoral au CESDIP, Félicien Faury est venu à Sciences Po Lille lors d’une conférence organisée en partenariat avec Citéphilo, afin de présenter son enquête sociologique qui lui a permis d’écrire son ouvrage « Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite ».
Une enquête empirique : un chercheur qui souhaite renouveler l’étude sociologique des électeurs d’extrême droite
Interrogé sur les raisons qui l’ont motivé à travailler sur ce sujet, Félicien Faury explique sa volonté de comprendre la normalisation du vote Rassemblement National en interrogeant directement des citoyens ordinaires, et non pas des militants ou des porte-parole officiels du parti. Son travail porte donc sur la banalisation par le bas de l’extrême droite en France. Pour lui, les statistiques ou les micros-trottoirs à la sortie des élections ne suffisent pas à rendre compte de la réalité complexe de ce vote. Pour réaliser son étude, il décide donc de s’installer dans une ville du sud-est de la France, une première fois lors des élections de 2017 durant une année entière, puis une seconde fois en 2022 pour actualiser et comparer ses données. Les entretiens sont au cœur de son travail : il a des discussions directes avec les habitants, qui portent d’ailleurs assez peu sur des sujets politiques, et qui lui permettent notamment de reconstituer les liens concrets de sociabilité qui influent sur le vote des individus (famille, collègues, amis).
Le vote d’extrême-droite : un électorat varié
Félicien Faury cherche à déconstruire les idées reçues. On insiste souvent sur le fait que le vote RN est celui des oubliés de la mondialisation, des classes populaires touchées par la désindustrialisation. Faury veut montrer que le vote RN n’est pas seulement un vote de classe : pour le comprendre, il faut articuler les enjeux sociaux et la dimension raciste, trop souvent laissée de côté dans les explications. Il précise que le racisme est un phénomène transversal et structurel, qui touche toutes les sphères sociales. Ainsi, dans son étude, plusieurs électeurs du RN se déclarent ouvertement racistes.
Dans le troisième chapitre de son ouvrage, « Islamophobie du quotidien », Félicien Faury précise que la dimension religieuse doit également être relativisée. En effet, les électeurs d’extrême-droite ne sont pas forcément des catholiques pratiquants : il ne se définissent en tant que catholique seulement en opposition à l’Islam.
Félicien Faury observe également que de nombreux électeurs du RN se trouvent à la frontière ethnoraciale : leur position étant fragilisée, ils défendent la norme pour pouvoir y rester et s’y intégrer. C’est pourquoi certaines personnes racisées votent pour le RN et n’hésitent pas à l’affirmer ouvertement, parfois même avec fierté. L’auteur prend l’exemple d’un franco-brésilien qui, lors d’une interview marquante, lui expose sa volonté de se différencier des personnes d’origine turque ou arabe, pour éviter d’être stigmatiser ou de subir du racisme.
De plus, Faury montre que ce ne sont pas les plus précaires qui votent RN, mais plutôt les classes moyennes inférieures. Ce sont justement les personnes qui ont acquis des biens, qui sont propriétaires, mais qui n’ont pas forcément un niveau de diplôme très élevé. Leur position sociale étant assurée par leurs possessions matérielles, ces personnes-là ont davantage peur de perdre ce qu’elles ont acquis.
Dans ces électeurs, on retrouve également des personnes déçues par la droite traditionnelle, qui se tournent alors vers le RN.
Pour finir, Félicien Faury différencie les électeurs du Sud et ceux du Nord, qui ont des raisons différentes de voter pour le RN. Dans la région PACA, on retrouve de nombreux propriétaires plutôt aisés mais aussi de fortes inégalités économiques et sociales, tandis que les Hauts-de-France sont une région assez pauvre et abandonnée par l’Etat.
Et pourquoi ne pas voter à gauche ?
On remarque que certaines classes moyennes ou populaires, qui avaient l’habitude de voter à gauche, vont désormais plutôt voter RN. Selon Félicien Faury, la gauche manque de victoires. Les inégalités d’en haut sont perçues comme une fatalité et les programmes proposés leur semblent impossibles à mettre en œuvre. Au contraire, le programme du RN, notamment sur la limitation de l’immigration, leur paraît réalisable. En outre, les représentants des partis de gauches font partie des élites culturelles et intellectuelles, envers lesquelles les classes moyennes inférieures ont développé une certaine défiance, voire du ressentiment.
La banalisation de l’extrême-droite
« Un million de chômeur c’est un million d’immigrés en trop » : par ce slogan des années 1980, le Front National lui-même lie les questions sociales et raciales. En effet, si le racisme existe déjà dans la société française, c’est le RN qui le transforme en une pratique électorale concrète. La montée de l’extrême droite en France n’est donc pas liée à la montée du racisme, mais au fait que les électeurs vont désormais voter en fonction de cette donnée. On parle de politisation du racisme. Même si ce phénomène est renforcé par les médias et les discours politiques, il faut relativiser leur impact. Faury explique que le facteur le plus important reste les relations sociales quotidiennes (collègues, amis, famille) qui vont influencer le vote. Il insiste sur la banalisation de l’extrême droite par le bas. D’autant plus que les nouveaux électeurs rentrent dans un monde politique très différent d’il y a quelques décennies : pour ces jeunes, la place importante du RN sur le marché électoral est totalement normalisée.

