Les élèves de 2ème année de Sciences Po Lille ont choisi le 30 novembre dernier leur nom de promo. A la suite d’un débat et d’un vote assez serré, c’est finalement Nina Simone qui a raflé la mise pour représenter la promotion 2021. Retour sur la vie de cette figure de la musique jazz et militante des droits civiques aux Etats-Unis.
Le prodige Nina Simone
Sixième enfant d’une fratrie de huit, Nina Simone, de son vrai nom Eunice Kathleen Waymon, née en 1933 dans la petite ville de Tryon (Caroline du Nord) aux Etats-Unis dans une famille de classe moyenne, religieuse, touchée par la crise de 1929. Dès 3 ans, elle commence à jouer du piano et elle se fait rapidement remarquer par la patronne blanche de sa mère, qui décide de la prendre sous son aile en finançant ses cours de piano et de chant. A 12 ans, elle achève son apprentissage du piano et part étudier dans un pensionnat spécialisé pour enfants noirs surdoués. Peu après, elle emménage à New-York afin de passer le concours du prestigieux Institut Curtis qui forme les meilleurs musiciens du pays. Elle n’y est cependant pas reçue, probablement en raison du fait qu’elle soit la seule noire à passer l’examen. Faute de moyens, elle prend un emploi chez un photographe et arrête sa carrière de chanteuse en devenir.
Plus tard, elle choisit le nom de scène de Nina Simone (issu de son admiration pour l’actrice Simone Signoret) pour chanter dans des cabarets afin de gagner sa vie. Ses activités lui vaudront de couper les ponts avec sa mère, qui considère ce qu’elle chante « la musique du diable ». C’est en 1955 qu’elle est réellement remarquée lors de ses performances dans les cabarets de Philadelphie par des agents, particulièrement par celui qui lui fait enregistrer son premier disque avec son titre phare, I love you Progy de Georges Gershwin. De retour à New-York, elle se produit dans les clubs branchés et racialement mixtes dans un style unique partagé entre le jazz, la pop, le classique et les chants africains.
Sa popularité naît véritablement aux Etats-Unis avec son album Little girl blue à partir de 1959 ; elle décide alors d’imposer sa volonté aux maisons de disques et de ne pas les laisser contrôler son style musical, attitude qu’elle conservera durant toute sa carrière. Elle commence progressivement à s’engager politiquement et à soutenir la lutte de Martin Luther King pour les droits civiques des noirs aux Etats-Unis.
Mais c’est avec son album de 1964 (Nina Simone in concerts) qu’elle bouleverse sa musique pour la transformer en engagement politique et social pour la lutte pour les droits des noirs, dénonçant les inégalités raciales et les attentats et assassinats contre les noirs dans ses morceaux, comme Mississipi Goddam ou Old Jim Crow. En public, elle prend désormais régulièrement la parole pour dénoncer les inégalités et revendiquer des droits civiques ; elle soutient la révolution par la violence des noirs, contrairement à Luther King, et lancera en 1969 cette cinglante phrase : « Vous êtes prêts à démolir le monde blanc, à incendier les bâtiments ? Vous êtes prêts ? Vous êtes prêts à construire un monde noir ? », signe de son indignation grandissante.
Son mari et manager la quitte en 1970 des suites de sa fuite des Etats-Unis vers Barbade. Dépourvue d’entourage pour l’encourager, elle chante de moins en moins. Au même moment, le pop rock commence son ascension fulgurante et le public se désintéresse progressivement du jazz. Elle continue à se produire en Europe, notamment en France. L’alcoolisme et la solitude s’emparent peu à peu de la chanteuse, internée à plusieurs reprises. Elle est néanmoins récompensée à la fin de sa carrière aux Music Awards de Dublin. Elle meurt en 2003 des suites d’un cancer du sein contre lequel elle se battait depuis des années.
Un héritage et une icône …
Nina Simone laisse derrière elle un incontestable héritage musical avec pas moins de huit albums sortis entre 1958 et 1984. Elle reste une des sources d’inspiration majeure de chanteurs actuels comme Alicia Keys, Kanye West, Beyoncé ou encore Cat Stevens. La trace artistique qu’elle a laissé est incontestable dans l’univers du jazz, du blues et de la pop. On entendra notamment de nombreuses reprises de son titre I put a spell on you, enregistré en 1965.
Nina Simone, c’est une voix au service d’un combat dès les premières années de sa vie. La musique engagée, un des vecteurs de la lutte pour l’égalité des droits, a permis la reconnaissance de cette artiste comme une icône du jazz et du blues, des noirs et des femmes. Qui ne connaît pas aujourd’hui le mythique « Fellin’ good » chanté par cette voix unique ? Un style qui ne vieillit pas, une voix qui résonne toujours autant et une icône qui marque encore, cinquante ans après. Choisir Nina Simone pour nom de promotion en 2017, c’est reconnaître l’immense talent de la chanteuse, la profondeur et les paradoxes de l’artiste, le respect pour son combat et qui plus est, une femme, faisant de la promotion 2021 la cinquième de Sciences Po Lille à porter un nom de femme. Après Hannah Arendt (1995), Simone Veil (2000), Rosa Parks (2006) et Georges Sand (2020), on peut dire que Nina Simone ne dénote pas et alimente une lignée de femmes iconiques qui n’ont surtout pas manqué de grandeur, encore moins d’audace.
Joséphine Boone.