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Première guerre mondiale : quelle mémoire pour l’Allemagne ?

Au cours de la semaine du 5 novembre, peu de citoyens français lecteurs réguliers de la presse ont pu passer à côté des multiples reportages, hommages, articles et émissions consacrés au centenaire de la fin de la première guerre mondiale. En Allemagne, il faut chercher longtemps avant de pouvoir enfin trouver une demi-page à ce sujet dans l’hebdomadaire le plus lu du pays, Der Spiegel.

Outre-Rhin, le 11 novembre est un jour comme les autres. Il suffit de jeter un œil à la presse allemande pour le constater : peu de médias ou hebdomadaires rendent hommage aux soldats, comme cela a été fait en France, et le centenaire est davantage évoqué sous l’angle des cérémonies françaises, comme un fait d’actualité banal . Alors, pourquoi cette différence si prégnante entre la France et l’Allemagne  concernant les commémorations de l’armistice ? La réponse n’est pas si évidente.

Bundesarchiv_Bild_183-B06275,_Berlin,_Reichstagssitzung,_Rede_Adolf_Hitler

Le 9 novembre, date emblématique pour l’Allemagne

L’Allemagne a perdu cette guerre, et la France l’a gagnée, récupérant par la même occasion l’Alsace-Lorraine : voilà l’explication de ce phénomène observé plus haut, pourrait-on dire. Seulement, d’autres facteurs expliquent la quasi-absence de commémoration et d’intérêt pour le centenaire.

Tout d’abord parce que les Allemands préfèrent retenir une autre date, plus significative pour eux. Le 9 novembre 2018, l’Allemagne a commémoré les 100 ans de la révolution qui mena à la chute de l’Empire et à la création de la République de Weimar, mais également la nuit de cristal de 1938, où les nazis perpétrèrent des crimes antisémites, et enfin la chute du mur de Berlin en 1989. Le 9 novembre 2018, ces évènements ont été bien plus couverts par les médias allemands que le centenaire de l’armistice, faisant la une des quotidiens et des flashs d’information. D’ailleurs, lorsqu’on cherche des articles reliés au centenaire de l’armistice, on tombe régulièrement sur un papier liant cet évènement à la chute de l’Empire . On comprend alors mieux pourquoi la date du 11 novembre est reléguée au second plan outre-Rhin, là où elle est liée à l’avènement de la République qui mena au IIIème Reich. A noter également que l’Allemagne a fêté les 100 ans du droit de vote des femmes, obtenu le 12 novembre 1918, un autre centenaire presque plus médiatisé que celui de l’armistice.

Commémoration_2

Deux pays, deux approches de l’Histoire ?

L’absence de commémoration à cette date est également due à une différence entre la France et l’Allemagne dans l’interprétation de l’Histoire. Pour citer le quotidien Frankfurter Allgemeine, en France, la Grande Guerre est la « guerre juste, héroïque » – et le journal d’expliquer que les français regardent cette guerre avec fierté.  En Allemagne, il est compliqué de commémorer une guerre dont l’issue a été instrumentalisée par Adolf Hitler. C’est la fameuse légende du « coup de poignard dans le dos » avancée par les nationalistes allemands à des fins de propagande : les révolutionnaires et juifs seraient à l’origine de l’armistice alors que l’armée allemande n’avait pas réellement été défaite. Une légende qui a contribué à la fragilisation de la République de Weimar, menant ainsi au IIIème Reich. Outre le lien évident de l’issue de la Grande Guerre avec le nazisme et la seconde guerre mondiale, l’Allemagne n’a pas de lieux emblématiques -tels que Verdun ou la Somme en France- où commémorer le souvenir de la guerre.

Entre l’Allemagne, où aucune cérémonie officielle n’a été prévue pour commémorer l’évènement (mais où le discours de Mme Merkel le 11 novembre a tout de même été relayé), et la France, qui a vécu une semaine entière au rythme des visites de son président dans les lieux de mémoire, le contraste est saisissant. Pourtant, à l’occasion du centenaire de l’armistice, 500 jeunes de 48 nationalités différentes se sont réunis à Berlin pour discuter de leurs idées pour la paix, remises ensuite aux présidents français et allemand. Ne pas commémorer ne signifie pas oublier.

Anna Lippert


Première photo : En Allemagne, les monuments aux morts sont peu visibles. Ici, une plaque commémorative, cachée en haut d’une colline à Fribourg-en-Brisgau.