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Droit de réponse de Téa Ziadé sur l’article de Beyrouth

Suite à la tribune publiée le vendredi 13 mars 2021 concernant son article sur Beyrouth, rédigé début septembre 2020, Téa Ziadé a tenu à réagir au contenu de celle-ci ainsi qu’à éclaircir la forme de ses propos pour clarifier certains points.

Tout d’abord, je remercie l’auteur.e de cette tribune (disponible ici) pour avoir pris le temps de lire mon précédent article et d’avoir développé sa critique ; la plupart des arguments étant construits, fondés et s’appuyant sur des références littéraires notables. Je tiens également à m’excuser auprès de cette personne et ses ami.e.s si mes propos les ont offensés, choqués, consternés, car ce n’était nullement le but. Toutefois, j’aimerais répondre à leurs critiques et justifier le ton de mon écriture, ainsi que le contenu de cet article sur Beyrouth.

Contexte de rédaction de l’article

Premièrement, je veux revenir sur le contexte d’écriture de mon article. À la lecture de cette critique, j’ai eu le sentiment que l’auteur.e n’avait pas compris pourquoi ni comment j’avais écrit ces mots. De manière générale, je pense que l’on m’a confondue avec quelqu’un que je ne suis pas, une personne qui semblerait ne pas connaître ni le Liban, ni sa langue, ni ses habitants et son histoire. Je me dois donc de restituer certaines choses. Durant l’année 2020, je me suis rendue trois fois au Liban, en février, en juillet et septembre. Ces trois séjours n’ont en aucun cas constitué de simples vacances touristiques dépourvues de compréhension et d’intérêt pour le pays, bien au contraire.

Entre chacune de ces visites, j’ai vu le Liban se transformer, sombrer dans une crise tout d’abord financière, économique, également politique, sanitaire, et finalement humanitaire. Entre mon séjour au mois de juillet, pendant lequel j’ai travaillé aux côtés de l’ONG Mission Village à Dekwaneh (une ONG dont les actions sont majoritairement portées sur la distribution de nourriture dans les différents quartiers environnants de la capitale mais également sur la construction de refuges pour les sans-abris) et mon retour en septembre, juste après les explosions, j’ai ressenti la disparition et la destruction d’une partie du Liban. C’est pourquoi j’ai eu le besoin d’écrire pour parler de mon sentiment.

En aucun cas, durant l’écriture de cet article, je n’ai prétendu à une quelconque « science historique » comme l’attendait l’auteur.e

J’ai rédigé mon article en septembre mais il a été publié en décembre. De ce fait, peut-être comprendrez-vous certaines des incohérences entre mes propos et les faits actuels. Lors de la rédaction, j’ai pris, et ce dès le début, la décision que ce ne serait pas un article journalistique neutre et impartial : j’ai fait le choix d’écrire sur mon expérience personnelle, ce que j’ai ressenti sur place au Liban lorsque j’ai vu le pays et ses habitants anéantis par des décennies de manipulations, qui ont résulté en l’explosion du 4 août 2020. J’ai évidemment la lucidité requise pour savoir que je ne suis pas journaliste. Pour autant, je ne pense pas avoir de compte à rendre concernant la forme et le style de mon article. Je suis une étudiante en deuxième année -comme l’a bien rappelé l’auteur.e- qui publie ses propos dans un journal étudiant, où l’on peut justement se permettre d’écrire librement sur nos ressentis personnels.

La portée de mes propos

L’auteur.e de cette tribune m’attaque sur mes propos « orientalistes », qui s’apparenteraient par ailleurs à ceux des « guides touristiques coloniaux de l’Algérie française de l’Entre-deux-guerres », fondés sur ma « vision superficielle » du Liban, et sur le « récit romancé » que je ferais de l’histoire du Liban. J’aimerais répondre à cela. En aucun cas, durant l’écriture de cet article, je n’ai prétendu à une quelconque « science historique » comme l’attendait l’auteur.e. Non, en effet, j’ai délibérément pris un ton émotionnel car l’objet même de cet article sont les émotions que j’ai ressenties début septembre 2020, après être retournée à Beyrouth afin d’aider les Libanais sur place, que ce soit dans les ONGs, ou tout simplement auprès de ma famille et de mes amis.

Bien sûr, tous les Libanais ne sont pas humbles, bons et bienveillants. Quoique certainement plus bienveillants que la personne ayant rédigé cette tribune.

Si j’avais voulu écrire l’histoire du Liban, expliquer les causes des crises auxquelles le pays et ses habitants font face aujourd’hui, je m’y serais bien évidemment pris d’une autre manière, avec un ton que j’aurais souhaité le plus neutre et impartial possible. Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu. Et je n’ai certainement pas à me justifier sur la manière dont j’ai ressenti les évènements. Je n’ai pas à être désolée de ne pas avoir répondu aux attentes de l’auteur.e, à savoir qu’on lui explique « l’origine du système confessionnel libanais, de la corruption endémique, (…), les déterminants immédiats de cette crise, et ses facteurs historiques, (…), comment les interférences politiques de l’intelligentsia beyrouthine ralentissent les enquêtes internationales ». Car ce n’était pas mon intention. Je suis convaincue que d’autres personnes sont bien plus aptes à expliquer les origines de la situation libanaise aujourd’hui que je ne le suis.

Mais je suis libanaise, et j’ai entièrement le droit d’aimer mon pays, ses habitants, sa culture, son essence tout simplement. C’est justement ici que je pense qu’il y a eu une incompréhension entre nous deux : cette tribune et son contenu sont dus à une mauvaise interprétation de mon intention originelle.

Mon Liban « pittoresque »

J’ai personnifié Beyrouth. J’ai décrit cette ville d’une façon contemplative, c’est vrai. C’était ma volonté. À travers l’article, j’ai souhaité retranscrire la beauté du Liban, de sa capitale et également de sa culture locale. Mon message se voulait être un message d’espoir pour ce pays, certes romantique et lyrique. Pourquoi cette description si contemplative ? Car c’est comme cela que j’ai vu une partie de Beyrouth. Je ne suis pas aveugle et je suis capable d’une prise de distance par rapport à la description que j’ai faite de la ville : ni Beyrouth ni le Liban de manière générale ne peuvent se résumer en de simples mots. Et donc, cela devrait m’interdire de décrire une des facettes du paysage et de la culture libanaise ? Je ne le pense pas.

Je ne prétends pas généraliser le Liban en un article, c’est impossible. Personne ne le peut. Je suis consciente que le Liban, ce n’est pas juste des « sourires, des clins d’œil, des paroles, des gestes ». Pour autant, les rencontres que j’ai fait durant mes multiples voyages là-bas m’ont énormément appris, tant sur l’humilité que sur la bonté de certaines personnes. Je veux pas généraliser le Liban : tous les Libanais ne sont pas humbles, bons et bienveillants. Quoique certainement plus bienveillants que la personne ayant rédigé cette tribune. L’auteur.e croit à défaut que j’ai passé « quelques semaines de vacances dans un pays dont je ne parle même pas la langue » : cela prouve bien que cette personne ne me connaît pas, en effet.

Au lendemain des explosions, si j’ai employé le terme de « peuple libanais », c’est parce que j’estime que les habitants, à ce moment-là, étaient Libanais avant d’être quoi que ce soit d’autre.

Je pense que le Liban peut faire l’objet de plusieurs approches : j’ai choisi une approche lyrique, optimiste, à défaut de paraître idéaliste car je n’avais pas l’intention d’écrire un article informatif, mais plus une portée d’espoir et l’expression de l’amour que j’ai pour ce pays. Le Liban n’est pas magique, il n’est pas un pays où tous les habitants et toutes les communautés se côtoient dans la joie et la bonne humeur. D’après un rapport de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidental en 2020 (ESCWA) en septembre 2020, désormais plus de 55% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté*, le taux d’extrême pauvreté étant passé de 8 à 23% entre 2019 et 2020. Oui, le Liban n’est certainement pas tout rose. Mais cela ne doit pas m’interdire d’écrire sur les aspects qui m’ont inspiré dans ce pays, des aspects qui caractérisent le Liban sans pour autant en constituer son intégralité.

Mon essentialisation raciste et nationaliste des libanais

J’apprends de cette critique, heureusement. L’auteur.e a cru que je procédais à une généralisation des individus, les regroupant en une entité unique et oubliant les particularités de chacun. J’ai employé le terme « peuple libanais » à plusieurs reprises, à tort probablement. Mes propos auraient dû être clarifiés lorsque j’ai écrit cela : je ne nie aucunement la diversité des individus de la société libanaise et de la société en générale. Jamais je n’oserais oublier la diversité de cette société.

J’ai, sans aucune doute, beaucoup à apprendre, tant sur mon style littéraire que sur mes connaissances et concepts socio-historiques. Je reconnais la légitimité de ce reproche : je n’aurais pas du employer le terme « peuple libanais », car il a pu sembler que j’en faisais une entité unique, alors qu’il est en réalité fait de particularités multiples. Malgré tout, je pense qu’au moment des explosions, il n’était plus question d’être chrétien ou musulman, shiite ou sunite, aouniste, phalangiste, druze,… Au lendemain des explosions, si j’ai employé le terme de « peuple libanais », c’est parce que j’estime que les habitants, à ce moment-là, étaient libanais avant d’être quoique ce soit d’autre.

Lorsqu’on attribue une qualité à un peuple, alors l’on procède à une essentialisation racialiste ?

Toutefois, j’aimerais comprendre à quel moment j’ai pu tenir des propos racistes envers mes propres origines… Désormais, lorsqu’on attribue une qualité à un peuple, alors on procède à une essentialisation racialiste ? Je me permets d’exprimer mon désaccord : j’ai attribué, en généralisant certes, un trait de caractère à des individus différents. Toutefois, les qualités que j’ai citées précédemment dans mon article sont des qualités que j’ai perçues à de nombreuses reprises, au cours de chaque visite au Liban, justifiant mon « utilisation maladroite » du concept de « peuple ».

Je peux comprendre pourquoi l’auteur.e a cru à une forme d’ « essentialisation » des Libanais. Toutefois, selon la sociologue Faïza Guélamine*, l’« essentialisation » consiste en un « processus de réduction des personnes à une catégorie, on le définit à travers cette appartenance » : à défaut de ce qu’a pu croire l’auteur.e, mon intention n’était pas celle de réduire des Libanais à une simple qualité. Je ne me permettrais pas de nier la dimension individuelle et unique d’une personne « au profit d’une perception très globale » . De là à parler de « racisme », soit d’une hiérarchie raciale entre des catégories d’humains, je pense que ce sont des propos très exagérés.

Ma vision manichéenne

Le peuple libanais n’est pas le Bien incarné. Le gouvernement n’est pas le Mal non plus. Mon article ne lit pas les évènements récents « sous le prisme Bien/Mal ». Le Liban est plus complexe qu’une simple conception manichéenne. Il est vrai que mon vocabulaire est lié à la morale et notamment la justice. Car, encore une fois, c’est ce que j’ai ressenti : étant donné que mon article n’a aucune prétention historique ou objective mais bien une dimension subjective et personnelle, j’ai employé des termes qui me semblaient justifiés par rapport à mon ressenti. Je ne dis certainement pas que les Libanais sont “de pauvres victimes d’un méchant gouvernement”, comme cela semble être interprété par l’auteur.e. Mais je tiens à maintenir que le gouvernement ne s’est pas prononcé sur ces explosions au moment où j’ai écrit cet article, qu’aucun membre du gouvernement n’était dans les rues durant les jours qui ont suivis l’explosion Beyrouth, afin d’aider les personnes qui se sont rendues sur le terrain.

Ces personnes qui, un jour après les explosions, sont descendues dans les rues de Beyrouth pour secourir les personnes blessées, rassembler les débris, reconstruire les rues et la ville toute entière, sont des héros : et je ne changerais pas mon avis sur ce point. Que le terme « héros » ne plaise pas à l’auteur.e de la tribune, cela m’importe peu car j’insiste, c’est la manière dont j’ai perçu ces personnes avec lesquelles j’ai travaillé. Et si aujourd’hui Beyrouth n’est pas complètement anéantie mais se reconstruit petit à petit, c’est grâce à ces personnes, libanaises ou non, qui ont pris la peine de coordonner ensemble leurs actions pour ne pas laisser sombrer la capitale suite aux explosions. Que je les considère comme des « héros », cela demeure mon avis mais il est bien dommage que l’auteur.e estime que ce terme convienne uniquement aux « fables pour enfant ou les petites comptines à moralité niaise ».

Mon tract nationaliste

Les propos encore vont plus loin : « curieuse naïveté, sinon une adhésion aveugle à un nationalisme étrangement décomplexé » ; « la compression du « peuple » en une masse unie et homogène réclamant la même chose et agissant comme un seul homme découle d’une vision totalisante et quasiment révisionniste de la vie politique libanaise. » De par un usage maladroit et imprécis du terme « peuple » et de par l’emploi volontaire d’un style plus poétique que journalistique, ma conception des libanais au lendemain des explosions présenteraient des « des similitudes notoires avec la conception du peuple des régimes totalitaires de l’Entre-deux- Guerres » ?

Je pense qu’il faut tout de même mesurer l’ampleur du terme « régime totalitaire » avant d’accuser quelqu’un qui évoque une expérience personnelle suite à un drame humanitaire d’avoir une vision sur « le peuple » similaire à celle présentée dans ces régimes. Sans aucune prétention de pouvoir expliquer la complexité des particularismes libanais, je pense m’être suffisamment rendue dans ce pays, d’avoir assez parlé à ses habitants, quelque soient leurs orientations religieuses et politiques, suffisamment écouté des témoignages et récits de personnes ayant vécu la guerre civile ou participé à la « thawra » (= « révolution ») pour ne serait-ce qu’entrevoir une infime partie de toutes ces divergences idéologiques, religieuses et politiques qui composent le Liban.

J’étais sur place, j’étais avec les Libanais qui ont participé à la reconstruction de la ville après avoir perdu un ou plusieurs proches

D’ailleurs, il est très fréquent qu’au Liban, de nombreux habitants s’expriment sur leur ressenti en utilisant le terme « nous » en parlant des libanais de manière générale : cela ne revient pas pour autant à le réduire à une « masse unie et homogène » : c’est une manière de s’exprimer qui ne revient pas pour autant à avoir un discours nationaliste d’extrême-droite, et certainement pas populiste.

Prenons un témoigne de Diane Mazloum*, auteure libanaise, sur les explosions et les libanais : « nous sommes un peuple étrange, qui accepte qu’on lui bloque son argent, qu’on lui détruise ses maisons -300 000 personnes sont sans domicile à Beyrouth- et qu’on laffame. », ou encore Carole Dagher*, journaliste et écrivaine, qui, en paraphrasant Paul Valéry, emploie également ce « nous » libanais : « Nous autre, Libanais, nous savons maintenant que nous sommes mortels »*. Ces propos n’ont rien de racistes, nationalistes, populistes : ce sont des faits, des faits ressentis par une partie des libanais, pas forcément tous. Le terme « nous » ou « peuple » n’est pas le résultat d’une quelconque volonté essentialiste, simplement une forme hyperbolique d’exprimer un sentiment puissant partagé par une partie de la population.

Mes états d’âmes décousus

Parlons maintenant de ce qui n’était pas censé être une attaque personnelle. Je m’adresse à l’auteur.e de cette tribune désormais car il me semble avoir suffisamment justifié la forme de mon article (ou de mon roman issu de ma « boule de cristal » comme préférera l’auteur.e de la tribune) ainsi que restituer l’utilisation de certains termes (maladroits, je le reconnais) dans leur contexte. « Encourager les émois et états d’âme décousus d’une étudiante de deuxième année sur un pays qu’elle fantasme » ?

La Manufacture est un journal dont la qualité majeure réside dans le fait que l’on puisse s’exprimer librement, et où l’on peut délivrer un extrait d’un ressenti personnel. Il est vrai, et je suis ici d’accord avec l’auteur.e que j’aurais certainement dû donner certaines précisions historiques sur le Liban. C’est d’ailleurs ce que j’avais déjà fait dans un précédent article où j’écrivais cette fois un article à visée davantage informative. J’écris souvent sur le Liban, ses événements et ce que je ressens personnellement par rapport à ce pays. Et cette fois, j’ai délibérément fait le choix de délivrer un extrait à La Manufacture.

L’auteur.e a eu le sentiment que je parlais à la place des Libanais ? Parce que selon cette personne, j’ai ignoré ce que les habitants libanais pensent, j’aurais eu l’audace de parler à leur place, que mes propos seraient le résultat de mon imagination romancée ? Encore une fois, avant d’attaquer mes propos sans en connaître l’origine, je pense qu’il aurait fallu me contacter en amont pour comprendre les raisons de mon écriture « émotionnelle ». J’étais sur place, j’étais avec les Libanais qui ont participé à la reconstruction de la ville après avoir perdu un ou plusieurs proches, leurs foyers, leurs métiers même : j’aimerais, à et égard, avoir une pensée pour toutes ces personnes qui ont perdu une partie de leur être ce 4 août 2020.

Il me semble nécessaire de rappeler à l’auteur.e que ma famille et mes amis se trouvent au Liban, que je me rends très fréquemment là-bas. Je connais sa langue et sa culture.

Mon article manque de témoignages selon l’auteur.e : tout simplement car lors de l’écriture de cet article, je n’ai pas voulu livrer les témoignages que j’ai récolté. Dans un prochaine article, je livrerai les témoignages récoltés avec plaisir. Lorsque j’écrirai sur les raisons de la crise libanaise, il est évident que je m’appuierai sur des propos historiquement fondés, sur des témoignages de la population et que je n’oserai jamais parler à la place des personnes dont j’évoque l’histoire. En septembre, je voulais écrire sur ce que je ressentais : l’auteur.e de cette tribune pense probablement que je n’avais qu’à garder mes « émois et mes états d’âmes décousus » pour moi. Encore une fois, la singularité de La Manufacture, journal étudiant je le rappelle, c’est de pouvoir partager des émotions et expériences personnelles.

Il me semble nécessaire de rappeler à l’auteur.e que ma famille et mes amis se trouvent au Liban, que je me rends très fréquemment là-bas. Je connais sa langue et sa culture. Mais si cette personne tient à entendre mes témoignages, je serais très ouverte pour lui partager. Si elle veut comprendre les raisons de la crise économique, j’ai écrit un dossier sur ce propos que je lui partagerai également avec plaisir. Encore une fois, ce dossier et son contenu ne sont pas du niveau d’un économiste spécialiste des économies du monde arabe, évidemment.

J’ai écrit cet article avec un ami photographe de Tripoli, mes propos ont été vus et relus par plusieurs libanais, qui partageaient le même sentiment que moi

L’auteur.e aurait aimé que je lui explique les raisons de l’explosion certainement : comment étais-je censée deviner les responsables politiques d’un tel drame vingt jours après les explosions, vingt jours après que des centaines de milliers de personnes se soient retrouvées à la rue, que des milliers de libanais se trouvaient encore dans Beyrouth, à essayer de coordonner leurs actions pour reconstruire une ville dont le gouvernement ne semblait se soucier. En tout cas, je la remercie de m’avoir éclairée désormais sur les raisons de cette explosion.

Mais, à l’époque où j’ai rédigé cet article, je ne voulais pas parler des raisons et des causes de la destruction de mon pays. Je ne pouvais encore moins évoquer les causes de l’explosion, car les seuls susceptibles de savoir, à ce moment-là, étaient les responsables eux-mêmes. J’ai voulu parler de l’amour que j’ai pour le Liban, de la fierté que jai d’être libanaise. Je le réaffirme aujourd’hui et j’en ai entièrement le droit. J’ai peut-être fait, à tort, une généralisation du « peuple libanais », mais au point d’avoir une vision « raciste » et « populiste » ? J’ai écrit cet article avec un ami photographe de Tripoli, mes propos ont été vus et relus par plusieurs libanais, qui partageaient le même sentiment que moi. Je ne l’ai pas inventé pour « assouvir mon aspiration à un récit émouvant ».

Concernant mes conclusions totalement délirantes et déconnectées

Enfin, concernant cette « quête identitaire », elle était fondée sur mes échanges avec de nombreux Libanais, vivant sur place (et non des bourgeois de la diaspora occidentale) : leurs propos étaient partagés entre quitter le pays ou rester et espérer que le pays ira mieux. Je ne vais pas m’excuser tout au long de cette réponse pour mon emploi maladroit du terme « libanais » ou « peuple », qui a conduit a une interprétation complètement détournée des mes intentions. Aujourd’hui, un Libanais sur deux vit sous le seuil de pauvreté : il ne fait aucun doute que la question de quitter le pays ne se pose pas, car cela n’est pas possible. Vous avez juste.

Mais la question, si elle n’est plus d’actualité aujourd’hui, s’est posée, notamment chez de nombreux jeunes Libanais. Ce n’est pas ma simple quête identitaire, mais celle d’une génération libanaise qui a eu à un moment donné la possibilité de pouvoir quitter le pays. Je ne dis pas que cette opportunité a été laissée à l’ensemble des Libanais, loin de là. Et quand bien même, les moyens ne permettaient pas de partir, certains se sont simplement posé la question. Cette question identitaire n’est pas le fruit de mon imagination ou de mes problèmes « adolescents ». Mais il ne s’agit pas, en effet, d’une priorité et d’une question fondamentale chez l’ensemble des millions de Libanais, à défaut de ce que peut laisser entendre l’usage d’« être libanais ».

Je suis suffisamment mature et ouverte d’esprit  pour avoir une discussion au préalable d’un lynchage public injustifié

La joie de vivre des Libanais ? Avant ces quelques mois, elle était réelle, je l’ai vue, perçue et ressentie. Je ne suis pas retournée au Liban depuis le mois de septembre et je ne peux pas expliquer ce qu’il en est aujourd’hui. Mais c’est ce que j’aime au Liban, bien que cette qualité ne soit pas applicable, encore une fois, à l’ensemble de la population, et c’est que je veux retranscrire lorsque j’évoque le Liban à des personnes qui ne connaissent pas le pays. L’explosion a probablement pris avec elle une grande partie de cette joie de vivre, « joie consubstantielle à la libanité » selon Carole Dagher, mais j’ai l’espoir, sûrement naïf, qu’elle restera une particularité d’une grande partie des habitants de ce pays.

Conclusion

J’accepte toute critique, c’est aussi le jeu du journalisme (quand bien même, mon article n’avait aucune portée journalistique) et j’apprécie que ces critiques soient fondées. Je respecte par ailleurs l’anonymat quand il est utile. Ce qui n’est pas le cas. Comme vous le précisez si bien à la fin, j’estime être « fréquentable et agréable » mais vous seriez également surpris(e) d’apprendre que je suis suffisamment mature et ouverte d’esprit pour avoir une discussion à propos de mon écriture maladroite, d’un usage abusif de certains termes ou tout simplement sur la manière de ressentir mon identité libanaise. Toute cette discussion, au préalable d’un lynchage public injustifié, de préférence. Je suis attristée de ne pas pouvoir échanger avec vous du à cet anonymat, car je pense que vous pouvez m’apprendre beaucoup, vos propos étant globalement justifiés, précis et réfléchis.

Certaines personnes peuvent utiliser de manière abusive des maladresses littéraires et stylistiques pour compenser une frustration haineuse.

Cette tribune est très intéressante : je le reconnais, les justifications littéraires et historiques sont très pertinentes. En la lisant, j’ai d’ailleurs énormément appris sur l’orientalisme et je remercie l’auteur.e pour cela. Mais je ne peux pas accepter une forme de méchanceté et de malveillance infondée, due à une incompréhension de la portée de mon article. J’espère par ailleurs que l’ensemble des propos tenus à mon égard sont le malheureux aboutissement d’une incompréhension quant à mon intention originelle, et non la saisie d’une opportunité pour exprimer une haine personnelle.

Malheureusement, nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes : je voulais écrire sur mon expérience personnelle, comment avais-je vécu et ressenti les explosions, car à défaut de ce que pense l’auteur.e, j’ai également perdu durant cette explosion. Mais le but ici n’est certainement pas de me victimiser. Vous l’avez vous-même compris : il s’agit de « mon ressenti superflu », c’était l’objectif car en plus d’être une bourgeoise libanaise raciste, nationaliste d’extrême-droite, populiste, je suis superflue. Mais je ne le prends pas personnellement, c’est avec des critiques comme les vôtres que l’on progresse mais que l’on comprend également que certaines personnes peuvent utiliser de manière abusive des maladresses littéraires et stylistiques pour compenser une frustration haineuse.

Si mon article était à réécrire, je ne changerais pas grand chose, mise à part, l’usage du terme « peuple libanais » et « être libanais ». Je ne les supprimerais pas, je les nuancerais seulement. J’insiste sur le fait que j’aimerais sincèrement discuter avec vous, m’expliquer sur ces incompréhensions. Lorsque je déciderais d’écrire volontairement un article « journalistique » sur le Liban, avec mes témoignages récoltés, une contextualisation historique précise et une analyse des enjeux actuels, je veillerais à vous l’envoyer au préalable d’une publication, afin de m’assurer qu’il répond à vos attentes…

Téa Ziadé

 

 

Sources : 

  • Concernant Fais Guélamine : Le racisme, une affaire de cases,
  • Concernant Diane Mazloum et Carole Dagher : témoignages dans le magazine Historia : Liban, l’ultime défi, hors-série N°11, octobre 2020
  • Concernant les chiffres de l’Escwa : L’Orient-Le Jour, le 19 août 2020