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Patrick Pouyanné, PDG de Total : le vert, nouvel or noir ?

Parler d’écologie avec le PDG d’une des sociétés les plus polluantes à l’échelle mondiale, l’invitation de l’Agora de l’EDHEC était osée. Un pari plutôt réussi par une conférence dressant le portrait de la riche entreprise française qui souhaite davantage prendre en compte, par éthique mais aussi par sens du business, l’impact environnemental. Patrick Pouyanné, le numéro un de Total, conjugue paradoxalement une forte ambition pour une planète plus verte et un pragmatisme froid qui interroge sur la faisabilité d’un “grand soir” à l’échelle mondiale.

Sans négliger les personnalités que sont celles de Gaspard Gantzer ou Jean-Michel Fauvergue, celle de ce lundi 3 février était d’un autre…calibre. Pas le roi du pétrole mais presque, Patrick Pouyanné, Président Directeur Général de la multinationale Total, apparaît comme un invité de prestige à l’EDHEC. Preuve en est, son garde du corps ayant dûment inspecter les lieux avant l’entrée du plus haut représentant de l’entreprise française aux 210 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année. Jaune comme son dossier en main, rouge comme les fauteuils au centre de la scène, bleue comme la lumière les éclairant, c’est pourtant le vert qui est ce soir-là l’objet de la conférence. Sujet pour le moins épineux pour l’invité dirigeant une société productrice d’énergie, par essence, polluante…

“Il faut trouver le bon rythme à cette transition”

Le prisme du rapport à l’environnemental est toutefois ce soir-là original et intéressant. Sans négliger la nécessité d’une transition écologique et d’actions concrètes, celles-ci prennent parfois un biais économique, sûrement propre au lieu, l’EDHEC business school. “Acquisition excédentaire” “chaîne de valeur” et autres sont le champ lexical du PDG pour expliciter ses stratégies entrepreneuriales pour conquérir le marché du Vert, potentiellement l’énergie de demain. Mais M. Pouyanné nous le fera bien comprendre tout au long de son heure et demi d’intervention : “cela va prendre du temps”, non sans lien là encore avec le business de l’énergie (fossile) dont il dresse un portrait économiquement très rentable. Il impute aussi à la difficulté de cette transition nos habitudes de la vie quotidienne. Si 75% des français se déplacent en voiture tous les jours, on ne sait comment se passer d’une énergie qu’est le pétrole sans augmenter les prix. A l’instar des Gilets Jaunes, remarque-t-il, peu de personnes sont prêtes à payer plus cher leur essence ou leur électricité. Total a donc constamment cette mission de proposer les prix les plus attractifs possibles.

“Le charbon n’est malheureusement pas une énergie du passé”

Ainsi, entre Greta et Patrick, il y a un écart. Ce dernier est convaincu de la nécessité d’une transition mais il le répète : “il n’y aura pas de grand soir”. Si “arrêter tout, tout de suite” est à la limite envisageable à l’échelle de la France pense-t-il, il faut en fait réfléchir à une échelle globale. “Ça ne sert à rien d’économiser 1 ici, si on émet 100 là-bas”. Là-bas, il parle bien sûr de la Chine et de l’Inde. Pendant que l’Europe émet 8 à 9% des émissions de CO2, les chinois sont à 25%, les indiens seront bientôt à 20-25%. En cause, leur recours excessif au charbon, fort émetteur de gaz à effet de serre. Leurs centrales polluent, posant de sérieux problèmes de santé publique notamment à Pékin où l’air devient réellement irrespirable (indice de pollution entre 200 et 250 lors de pics contre 70 à Paris). Alors pourquoi ces puissances démographiques ont-elles autant recours à cette énergie fossile ? Le PDG, naturellement lié à la géopolitique y voit d’abord un problème de souveraineté. C’est la seule matière première énergétique que possèdent ces pays, importer de l’énergie (pétrole) risquerait de les rendre dépendants et donc faibles. L’autre facteur sonne comme un refrain : le prix, défiant toute concurrence. Ainsi, “le charbon n’est pas une énergie du passé” affirme-t-il, la problématique centrale du réchauffement climatique se trouve bien là.

“On nous parle de Green New Deal en Europe avec 1000 milliards par an mais la vraie solution ne serait-elle pas qu’on donne ces milliards à la Chine et l’Inde pour éviter le charbon ?”

Il ne faut cependant pas se méprendre : l’invité de marque n’est pas venu produire un discours pessimiste. Lui se vante d’être simplement pragmatique. C’est pourquoi il refoule toute accusation de “terrorisme écologique” quant à son entreprise qui “est et sera, au contraire, un acteur de la transition écologique”. Total, présent dans 130 pays, a ainsi choisi la Chine et l’Inde pour tenter d’offrir une énergie moins polluante. Le choix est celui que le PDG présente à l’audience comme un Graal : le gaz naturel liquéfié. Deux fois moins polluant que le charbon mais plus cher, Total en est un des premiers exportateurs vers la Chine et s’implante de plus en plus en Inde. La stratégie de l’entreprise se vérifie donc à l’échelle globale et Patrick Pouyanné incite les pouvoirs publics à faire de même. “On nous parle de Green New Deal en Europe avec 1000 milliards par an mais la vraie solution ne serait-elle pas qu’on donne ces milliards à la Chine et l’Inde pour éviter le charbon ? Obama quand il inclut la Chine dans les accords de Paris, la contrepartie c’est une aide de 100 milliards par an de la part des occidentaux. La réalité aujourd’hui c’est qu’on leur donne seulement cinq milliards.”

  • Oui mais…

Finalement avec le rachat de Direct Energie, le remplacement du fioul par le gaz pour le carburant de ses porte conteneurs, l’investissement dans une gigantesque centrale solaire au Qatar, Total semble échapper à tout reproche. “On obtient A- à  notre score écologique de l’ONG Carbon Disclosure Project” renchérit le patron. Oui… mais… Oui mais, cette même ONG classe encore Total la dix-neuvième firme la plus polluante au monde, oui mais remplacer les centrales à charbon par celles de gaz c’est polluer au méthane, un gaz à l’effet de serre bien plus puissant que le CO2. Finalement les efforts de Total semblent aussi beaucoup liés au business et à l’image de marque de l’entreprise. On aurait aimé entendre ce discours il y a vingt ans quand notre maison brûlait déjà…

” L’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute de pierre, l’âge de pétrole ne s’arrêtera pas faute de pétrole”

Il faut trouver “le bon équilibre” entre urgence et acceptabilité nous dit-on : tant qu’il y aura une demande de pétrole, Total produira du pétrole. Là est tout le paradoxe d’une planète qui voit d’un côté les jeunes descendre dans les rues que le pétrole a goudronné, de l’autre tenter de se développer grâce là aussi aux énergies fossiles les moins chères. L’âge du pétrole est donc loin d’être terminé, M. Pouyanné déconstruit un mythe : “Il ne manque pas de pétrole, il est seulement trop cher à extraire dans certaines zones donc nous ne l’exploitons pas.” Total ne fait donc que se diversifier petit à petit vers les énergies renouvelables, un défi technologique cette fois-ci quant au stockage de l’énergie produite : “Si on investit 100 dans le solaire on récupère maximum 18 à cause des pertes”. C’est le véritable enjeu de ces prochaines décennies : stocker l’énergie à l’aide de batteries ou d’hydrogène. Une dernière fois, la question éternelle de la rentabilité demeure, naturellement clef de voûte de la problématique écologique et de la stratégie de l’entreprise. Hélas, ils s’aimaient pétrolément, à la fioulie*, entre l’or noir et Total l’histoire d’amour a évolué…mais ils semblent encore loin du divorce…

 

Clément Rabu

 

 

*Billet d’humeur de Tiffaine en début de conférence