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Axel et l’alcool : une histoire à la vie à la mort

La Manufacture s’associe au magazine Insane, premier magazine en ligne entièrement dédié à la santé mentale et créé par Lucie van der Sande, récemment diplômée de Sciences Po Paris. Ce partenariat permet à Insane de gagner en visibilité et à la Manufacture d’évoquer le sujet des maladies mentales et psychologiques, peu traité dans nos colonnes. Nous repartageons les articles publiés initialement sur le site d’Insane. Cet article a été publié sur le site d’Insane, le 17 février 2020. 


Quand je rejoins Axel dans un café pour cette interview, je me dis qu’il n’a vraiment pas le profil type que l’on s’imagine systématiquement d’un homme alcoolique, c’est-à-dire le gars violent, constamment bourré avec une mauvaise bière à la main, le visage bouffi, la bedaine qui ressort de sa chemise à moitié déboutonnée… Non, tout au contraire. Blond, mince, bien habillé et discret, Axel vapote tranquillement en m’attendant. Son histoire avec l’alcool a d’autant plus de sens qu’il n’a pas cette apparence propre aux préjugés.

L’alcool festif

Né et scolarisé à Paris, Axel fait une école de commerce internationale. À l’issue d’un stage en Asie, il s’y installera pour une période de 5 ans, travaillant dans l’administration puis le tourisme. Revenu à Paris, il intègre une célèbre agence de voyages. Jusque-là, tout semble aller bien.

Mais Axel m’explique que l’addiction à l’alcool est un processus long, empreint d’inertie. En effet l’alcool, au contraire d’autres drogues comme la cocaïne (et il en sait quelque chose), n’est pas fortement addictogène, en tout cas pas au début. Cela s’installe sur des années. Si bien que pendant un temps relativement long, cela n’a pas d’incidence sur le monde socio-professionnel de la personne, la perte de contrôle ne se manifeste pas encore.

Quand il commence à consommer de l’alcool, Axel a 14 ans et c’est dans un cadre familial, avec une complicité amusée, qu’il prend également à cet âge sa première cuite. Par la suite, il cherchera et testera ses limites, dans un cadre totalement festif et détendu, surtout à l’étranger : il me parle d’alcoolisation contrôlée, m’explique qu’il avait conscience des effets (positifs : désinhibition, prise de confiance en soi, effet anxiolytique) mais pas des risques.

“Avant d’être un problème, [l’alcool] est une solution”

L’alcool pansement

À son retour à Paris, sur un plan professionnel, Axel se retrouve dans un contexte malsain et toxique : sa subordonnée le harcèle pour le faire craquer. De l’autre côté, il est suivi par un psychiatre, mais mal : celui-ci acquière une influence énorme sur Axel et se comporte de manière très directive, se posant presque en figure paternelle, tout en lui donnant de très mauvais conseils sur sa situation professionnelle… Un cocktail (sans mauvais jeu de mots) explosif, alors qu’Axel est sous traitement et consomme une autre substance : entre ce suivi médical catastrophique et la pression au bureau, Axel est tombé dans la cocaïne. C’est un ami très proche qui l’y introduit : dans les années 2000, cette drogue en particulier fait une arrivée massive à Paris, et Axel se dit qu’il en a besoin pour tenir au travail ; cela ne se fait pas du tout dans un cadre festif. À ce moment-là, m’explique-t-il, il est parfaitement conscient des risques addictifs et des problématiques de santé qui sont liées à la prise de drogue, mais il veut juste aller mieux. Il m’informe que pour la cocaïne, 5% des gens qui en prennent deviennent addicts durant la première année d’usage, et 20% le deviennent sur 10 ans, avec les conséquences que l’on sait.

L’alcool pour s’en sortir

C’est la pression professionnelle, sa dépression et son addiction à la cocaïne qui poussent Axel à démissionner, et à tout quitter à Paris pour partir à la campagne. Il parvient à se sevrer seul de la cocaïne, mais c’est sa consommation d’alcool qui explose en conséquence. À la campagne, il n’y a pas tellement de médecins spécialistes de l’addiction, et Axel est donc suivi par un généraliste, à qui il ne parle que de sa dépression et de son anxiété — mais pas de son problème d’addiction à l’alcool.

Une fois à la campagne, habitant la petite ferme dont il a hérité, il passe un arrangement avec un maçon lui-même très dépendant à l’alcool : l’idée, c’est qu’ils retapent ensemble ladite ferme. Cela durera 4 ans, avec des résultats très mitigés. Axel s’enfonce, car il essaye de sortir son ami maçon de son addiction, de lui ouvrir les yeux sur sa situation ; mais avec le recul, m’explique-t-il, c’était une très mauvaise stratégie : on ne peut pas sortir quelqu’un de l’alcool contre son gré. Et le maçon reste dans le déni total.

Petit à petit, l’alcool devient pansement, et ça, Axel en a besoin. Il me dit qu’il n’y a pas de basculement en soi, il est difficile de déterminer un moment précis où il a basculé dans l’addiction… Tout est affaire de temps, c’est un processus. Axel m’explique que beaucoup de ses pairs sont des personnes hypersensibles avec une fragilité, une vulnérabilité au fond d’elles qui trouvent dans la boisson une protection, aussi illusoire soit-elle.

“L’alcool est un pansement extraordinaire”

Malheureusement à ce moment-là, l’alcool n’est déjà plus festif, et le déni s’est creusé un nid douillet. La substance prendra petit à petit le contrôle sur sa vie, elle lui volera sa liberté et jusqu’à sa dignité. Axel s’enfonce inexorablement dans la maladie alcoolique et finit par se désocialiser : par peur du jugement des autres qui nous ont vu·e dans un état hors de contrôle, on les évite. Par peur du jugement des autres qui nous voient consommer plus que de raison, on s’isole pour boire. Mais le déni est là.

Sa famille s’inquiète, il le sait, et il fait une première cure. Non pas pour lui, mais pour sa famille, par crainte qu’elle ne se manifeste. Mais Axel me le fait très vite comprendre : on ne sort pas de l’abus de substance pour les autres, il faut le faire pour soi-même. 1 mois plus tard, Axel replonge illico. Mais il a un acquis énorme depuis cette première cure : il sait désormais que l’addiction est une maladie qui se soigne, et qu’il souffre d’anxiété et de dépression. Ce sont ses vulnérabilités. Le déni n’est plus là.

L’alcool et la cure pour soi

Axel arrive peu à peu à ouvrir les yeux sur sa propre situation. Il me raconte ainsi qu’entre le moment où il réalise que ses proches ne sont plus dupes et sa première cure, il s’est passé au moins 2 ans.

Cette première cure se fait dans un établissement reconnu à seulement 7km de chez lui : une aubaine, puisqu’il n’a plus son permis de conduire. Une tante est très présente pour lui, et la cure (qui ne peut durer qu’1 mois au minimum et 3 mois au maximum) est suivie d’une post-cure (qui elle peut durer beaucoup plus longtemps). Les sessions d’information, assez techniques, du matin sont dispensées par un médecin, et l’après-midi est consacré à des ateliers — il s’agit de redonner aux résident·e·s un cadre qui leur manque depuis longtemps. On les fait notamment participer aux tâches ménagères. Il s’agit d’un établissement public avec un remboursement partiel par la Sécurité sociale et un complément de remboursement par la mutuelle d’Axel. Il déplore la quasi-absence de suivi thérapeutique individuel : il s’agit en général de sessions avec une vingtaine de personnes. On sait aujourd’hui qu’un suivi individualisé avec un·e thérapeute, post-cure, est le plus souvent nécessaire. Axel y entre donc avec l’espoir — illusoire — qu’il pourra ensuite se remettre à boire, normalement cette fois.

Mais sitôt la cure terminée, il replonge et repart en Asie. Son état s’aggrave alors. De retour, il s’effondre. Il a “touché son fond” et appelle à l’aide son entourage qui le prend en charge. Son retour en France est terriblement difficile.

“Même quand on est au fond, il reste des marches à descendre”

Un ami de la famille lui obtient un rendez-vous avec une addictologue exerçant à l’hôpital Bichat. Un mois plus tard, il est hospitalisé à Bichat pendant 15 jours puis suivi, individuellement cette fois, par cette même thérapeute-addictologue. C’est encore le cas aujourd’hui, mais cela fait 4 ans qu’Axel est abstinent.

“La prise de conscience du déni est énorme, douloureuse et libératrice”

L’alcool au passé, l’entraide au présent

Axel me dit qu’il ne sera jamais totalement guéri. Depuis bientôt un an, il est capable de se dire les mots “je suis un ancien buveur”. Mais auprès des gens, il préfère encore le formuler autrement. Il n’est pas sorti d’affaire, dans le sens où il doit exercer une vigilance constante ; je comprends, tant je ressens qu’en France l’alcool est omniprésent.

Axel s’autorise à vapoter. Il sort après tout de 18 années de polytoxicomanie, et souhaite, à 40 ans passés, ménager son corps. La cigarette pourrait être la prochaine étape mais il n’est pas dans l’optique d’arrêter complètement ; il souhaite simplement apprendre à limiter sa consommation autant que possible. Il sent que sa consommation de nicotine n’est pas basée sur les mêmes besoins émotionnels que sa consommation d’alcool et de drogue. Axel préfère savourer ses deux victoires : avoir réussi à se sevrer de l’alcool, et de la cocaïne. Je suis admirative et heureuse pour lui.

Lui qui aimait faire beaucoup de sport, il a pu s’y remettre : il a repris le tennis, a découvert le Pilates, fait du ski et est passionné de randonnée.

“Je suis heureux d’avoir retrouvé ma liberté et ma dignité”

Axel ne se repose pas pour autant sur ses lauriers : il suit une formation de patient-expert afin d’intégrer une équipe thérapeutique. Un·e patient·e-expert·e en addictologie est une personne rétablie, expérimentée et formée qui participe bénévolement au processus de rétablissement du ou de la patient·e, en lien avec l’équipe soignante.

Quelques conseils

“Je ne bois plus, j’aime trop ça”

  • Pour évaluer sa propre consommation : on peut se référer aux critères du DSM-V, la bible des psychiatres.

 

  • Quels sont les signes de SOS qu’une personne envoie à ses proches pour pouvoir enfin parler de sa consommation : boire pendant un Skype, par exemple, ou boire ostensiblement avant midi… Les proches ne sont cependant pas forcément les mieux placé·e·s pour aider une personne en situation d’addiction.

 

  • Comment en parler à un·e proche qui a une consommation manifestement problématique :
    • Faire en sorte que la personne en parle elle-même, ne pas la confronter
    • Tout le discours doit être axé sur le souci et le bien-être de la personne
    • Se rendre d’abord dans un CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) ou un CAARUD (Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction de risques pour Usagers de Drogues) pour obtenir des conseils

 

  • Comment s’en sortir dans une situation sociale où il y a de l’alcool :
    • Si on est trop tenté·e, surtout, il faut se donner la liberté de refuser d’aller à l’évènement (même au dernier moment) ou de le quitter
    • Si on a envie d’éviter la curiosité malsaine que peut amener une parole libre et honnête, comme l’est celle d’Axel aujourd’hui, ne pas hésiter à dire un (petit) mensonge du type “je ne peux pas boire, je suis sous antibiotiques”
    • J’ajouterai un conseil issu du spectacle de Kyan Khojandi, Une bonne soirée : dire “moi ça va, je suis déjà bien” avec un air (faussement) vaguement éméché !

Aller plus loin

  • Plusieurs tests pour auto-évaluer son addiction à l’alcool, au cannabis, à la cigarette et au jeu

 

  • À l’hôpital Bichat à Paris, il y a un groupe de parole qui se réunit toutes les semaines au sujet de l’addiction (il faut être déjà suivi·e à l’hôpital Bichat)

 

  • Un article très intéressant sur les causes de l’addiction

 

  • Une explication un peu plus détaillée sur ce qu’est un·e patient·e-expert

 

  • Un article sur les apports de l’e-santé pour l’addiction

 

  • Un article arguant que l’alcool est plus néfaste pour la santé que d’autres drogues

 

 

 

 

  • Et le site Addict’Aide, qui donne plein d’informations sur le sujet des addictions

Lucie van der Sande

Image à la une : Tony H.

La Manufacture s’associe au magazine Insane, premier magazine en ligne entièrement dédié à la santé mentale et créé par Lucie van der Sande, récemment diplômée de Sciences Po Paris. Ce partenariat permet à Insane de gagner en visibilité et à la Manufacture d’évoquer le sujet des maladies mentales et psychologiques, peu traité dans nos colonnes. Nous repartageons les articles publiés initialement sur le site d’Insane. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site internet d’Insane ! 🙂