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Alexeï Navalny : celui qui fait trembler le Kremlin.

Il y a un peu moins d’un mois, le 17 janvier dernier, Alexeï Navalny se faisait arrêter à la sortie de l’aéroport alors qu’il revenait sur le territoire russe pour la première fois depuis son empoisonnement au Novitchok par le FSB, le service fédéral de sécurité de la fédération russe, le 20 août 2020. Son arrestation avait pour motif le non-respect des règles de détention (pour sa peine avec sursis en 2014) alors qu’il était en convalescence à Berlin. Suite à son arrestation, des manifestants ont protesté dans toute la Russie à l’appel de Navalny pour s’élever contre le pouvoir russe.

Qui est Alexeï Navalny?

Alexeï Navalny est le principal opposant au pouvoir russe. A 44 ans, cet avocat de métier combat activement la corruption. En 2012, il a fondé la Fondation anti-corruption (FBK), après avoir lancé dans les années 2000 un blog où il luttait déjà contre celle-ci. Depuis 2011, c’est lui qui prend la tête des manifestations contre le pouvoir de Vladimir Poutine, qu’il qualifie par ailleurs de « voleur et d’escroc ». En 2013, alors qu’il était candidat à la mairie de Moscou, il est condamné à 5 ans de camp pour détournement de fonds. Finalement, après être arrivé en deuxième position avec 27% des voix, sa peine a été commuée en sursis en 2014. Il avait alors déclaré que le principal objectif de cette affaire était de l’écarter de la scène politique russe. En 2016, il annonce sa candidature à la présidence, mais il est déclaré inéligible jusqu’en 2028 à cause de sa condamnation en 2013. Selon lui « Poutine souhaite être empereur à vie ».

Il continue alors son combat contre le pouvoir russe, et effectue quelques séjours en prison pour avoir organisé des manifestations. En 2018, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la Russie et reconnu le caractère politique de ces arrestations. En 2019, il avait déjà été transféré à l’hôpital pour suspicion d’empoisonnement. En août 2020, alors qu’il était en service de réanimation à l’hôpital de Berlin pour avoir été victime d’un empoisonnement au Novitchok, les médecins russes ont nié la thèse d’un empoisonnement. Mais après une enquête sur les circonstances de son empoisonnement, cet acte semblerait avoir été effectué par des membres du FSB.

Alexeï Navalny lors de son arrestation le 17 janvier 2021

Alexeï Navalny lors de son arrestation le 17 janvier 2021

 

Alexei Navalny, par ces arrestations et tentatives d’assassinat, se révèle donc être un élément gênant pour le pouvoir russe. Il sait qu’en Russie il sera traqué pour éviter qu’il ne dérange le gouvernement de Poutine. Mais pourquoi revenir en Russie s’il se sait en danger ?

Combattre l’ennemi de l’intérieur. 

Si Navalny a fait le choix de la prison plutôt que l’exil, ce n’est pas par inconscience. En exil, les opposants politiques ne peuvent pas agir. En prison, il peuvent appeler à manifester, en plus de montrer qu’ils ne craignent pas un pouvoir qui les craint. C’est ce qu’a fait Alexeï Navalny, il a appelé à descendre dans la rue. Des centaines de milliers de russes ont répondu à cet appel. Les week-ends des 23 et 30 janvier, des manifestants ont soutenu Alexeï Navalny contre le pouvoir en place. Le week-end du 23 janvier, plus de 3 300 personnes ont été arrêtées dans tout le pays selon l’ONG OVD-info. Ces manifestations sont sans précédent en Russie. Une vague de mobilisation massive se forme sur les réseaux sociaux, appelant les manifestants à ne pas avoir peur.

Après son incarcération, Navalny a continué son combat contre la corruption en publiant une vidéo « Un palais pour Poutine », qui a fait 53 millions de vues après trois jours de diffusion. Dans cette vidéo, il accuse directement Vladimir Poutine d’avoir utilisé de l’argent public pour construire un palais au bord de la mer Noire. Alexeï Navalny compte sur la rue pour lutter, malgré le risque de répression qui augmente. C’est donc pour continuer le combat qu’Alexeï Navalny a fait le choix de se jeter dans la gueule du loup. Comme il l’a déclaré en 2013 lors d’une manifestation : « Avec vous je ne crains rien. Moi aussi j’ai des choses à perdre. Et je sais pourquoi je me bats ».

Une prise de conscience croissante en Russie.

Si dans les pays occidentaux, nous savons que l’empoisonnement contre Alexeï Navalny a été orchestré par le pouvoir russe et que les arrestations contre lui ont pour unique but de l’empêcher de nuire au pouvoir de Vladimir Poutine, les choses ne sont pas si claires pour les russes. En décembre 2020, 49% des russes pensaient que l’empoisonnement était une mise en scène, et seuls 15% pensaient que c’était un acte des services secrets russes. La majorité des russes s’informant sur les médias d’Etat ne connaît que ce que le pouvoir souhaite leur révéler, c’est à dire le moins possible. Mais la résonance de Navalny étant devenue trop importante, les médias russes ne peuvent plus le passer sous silence. Le 24 janvier dernier, la chaîne Russie 24 a diffusé un reportage le montrant comme un escroc et membre des services secrets américains, parfois britanniques, ou peut-être néerlandais.

Selon plusieurs médias russes, Alexeï Navalny ne serait qu’un produit marketing et ne ferait pas de politique. Ils mettent d’ailleurs en avant le fait qu’il n’ait pas de réel programme écrit. De plus, pour retourner la situation à son avantage, le pouvoir russe utilise la stratégie de la post-vérité pour décrire les faits et gestes concernant Alexeï Navalny. Le gouvernement propose des versions alternatives à la vérité dérangeante. Par exemple, le pouvoir avait mis l’empoisonnement sur le compte des services secrets européens ou de son allié Mihkaïl Khadorkovski. Le Kremlin méprise l’action de Navalny et entretient ainsi le fait que la chose publique soit risible et incite donc les russes à s’en tenir à l’écart. Il revendique également le fait qu’aucune information ne soit digne de confiance. C’est donc par ce mécanisme que les russes se désintéressent de la chose publique et pensent qu’elle ne les concerne pas.

De plus en plus de personnes se mobilisent pour l’action de Navalny, même si une grande partie de la population la trouve obscure. Le soir de son arrestation, plus de 500 000 personnes le suivaient sur le site Flight Radar, révélant l’intérêt croissant que lui portent les russes. 

Bien qu’il ne fasse pas l’unanimité en Russie, Alexeï Navalny reste tout de même un élément qui gêne le pouvoir russe. Il permet de mettre le régime à nu en dévoilant des affaires de corruption ou en galvanisant l’opposition. Le pouvoir ne peut nier ses actions, et la mobilisation sans précédent qui soutient Navalny. Sa force réside dans le fait qu’il maîtrise les réseaux de communication et de propagande moderne. Il n’y propage qu’une seule idée : affaiblir le pouvoir russe. Cependant, les solutions du pouvoir russe sont minimes. Le mouvement engagé par Alexeï Navalny n’acceptera aucun dialogue sous peine de devenir une opposition domestiquée par le pouvoir. Mais le Kremlin ne peut pas non plus utiliser la force sous peine de montrer Navalny en martyr. C’est donc un affrontement de la mobilisation massive de Navalny contre le Novitchok de Poutine.

Quelles solutions contre le pouvoir russe ?

L’Union Européenne a condamné l’arrestation d’Alexeï Navalny et les répressions contre les manifestants. Cependant, elle n’a pour le moment pas usé de sanction concrète contre le pouvoir russe. Si la France demande à arrêter la construction du gazoduc Nord-Stream 2, qui relierait l’Allemagne à la Russie, l’Allemagne pose un frein. Mais peut-elle lâcher Navalny alors qu’elle l’a sauvé au mois d’août ?

Le 5 février dernier, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, s’est rendu à Moscou pour s’entretenir avec son homologue russe. Mais la journée a été qualifiée d’humiliante pour Borrell, car quelques heures après cette entrevue, le gouvernement russe annonçait l’expulsion des diplomates allemand, suédois et polonais parce qu’ils auraient participé à une manifestation contre le pouvoir. L’UE a donc échoué à montrer qu’elle n’était pas qu’un « nain diplomatique », et qu’elle pouvait faire pression sur la Russie pour aider le combat mené par Alexeï Navalny. En réponse à ces expulsions, l’Allemagne, la Suède et la Pologne ont à leur tour renvoyé chacune un diplomate russe. Mais cette revanche n’efface pas l’échec de M. Borrell qui s’est vu incapable de négocier, avec pour seuls arguments les valeurs européennes, avec le pouvoir russe qui ne prend pas l’Union Européenne au sérieux. 

Marienka Verriest