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Rapport BCG sur le climat : retour sur une stratégie gouvernementale problématique

Le 10 février dernier, le Conseil des Ministres adopte le projet de loi Climat et résilience. Le même jour, le Boston Consulting Group (BCG) livre son rapport, commandé par le gouvernement lui-même, sur l’efficacité des mesures gouvernementales prises depuis 2017 pour réduire les émissions de gaz à effets de serre à l’horizon 2030. Le cabinet en conseil stratégique – l’un des trois plus gros au monde – apporte-t-il le satisfecit attendu par son commanditaire ? En passe à des critiques récurrentes sur son action écologique, le gouvernement trouve-t-il du soutien dans ce rapport complice ? Surtout, pourquoi avoir fait appel à un géant du conseil pour évaluer les politiques publiques ?

Une inutile commande publique au privé

Choix étrange que celui d’une transnationale du consulting pour cet exercice. Certes, les évaluations de politiques publiques sont lacunaires, il faut en tenir compte. En France, nombre d’investissements et de mesures publiques ne font pas l’objet d’études d’impact ex post. Est récemment parue, une étude de la Fondation Nicolas Hulot en coopération avec le Basic au sujet du financement des pesticides. Premier obstacle à surmonter pour les auteurs : l’absence d’évaluation des dépenses publiques en matière de pesticides. A la fois résultat et conséquence de l’inertie du système productiviste, cette aberration remet les choix politiques non pas entre les mains des experts mais entre les gros bras du secteur, autrement dit les lobbies de l’industrie chimique. Sans évaluation du réalisé, aucune évolution instruite n’est envisageable pour le réalisable. Au mieux, les dépenses sont inutiles, au pire des problèmes sont à jamais reproduits. Ce n’est-là qu’un exemple parmi d’autres.

En réalité, ces manquements de la fonction publique relèvent plus du manque de moyens que du manque de compétences. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil aux travaux de l’Ademe, de la Cour des Comptes ou du Haut Conseil pour le Climat (HCC) pour être convaincu.e des capacités des institutions publiques en la matière. Mais alors, pourquoi faire appel au BCG ? Le HCC créé par décret en 2019 semble tout désigné pour cette mission. Ce groupe de 13 experts « a vocation à apporter un éclairage indépendant et neutre sur la politique du gouvernement et ses impacts socio-économiques et environnementaux ». Et d’ailleurs, comble de la redondance, le HCC a fait paraitre fin février, sa propre évaluation de la loi Climat après s’être auto-saisi du sujet (faute qu’on le lui ait demandé)…

« Neutralité et indépendance », voilà peut-être deux principes qui décidèrent le Gouvernement à se détourner du HCC au profit d’un cabinet privé dont on est porté à croire que les résultats seront forcément plus favorables aux intérêts du client – le Ministère de la Transition Écologique en l’occurrence. Précisons, s’il le faut, que l’intérêt de ce riche client est de pouvoir s’appuyer sur un rapport d’experts pour démontrer qu’il met en œuvre les dispositions suffisantes pour atteindre l’objectif de réduction d’émission de GES fixé à -40% d’ici 2030 par rapport à l’année 1990.

Résultat de la manœuvre : un rapport positif… mais pas trop… quoi que… ah mais en fait… pas du tout !

Les résultats de l’étude de BCG sont dithyrambiques pour qui ne lit que le début des phrases. Toujours nuancées à la fin par des conditions irréalisables, chaque conclusion apportera de l’eau à tous les moulins. Exemple archétypique : « Le potentiel de réduction des GES visé par l’ensemble des mesures déjà prises au cours du quinquennat et proposées dans le projet de loi Climat et Résilience est globalement à la hauteur de l’objectif de 2030, sous réserve de leur exécution intégrale et volontariste ». Vous noterez les prétéritions discrètes. « Globalement » et « sous réserve » lit-on, « impossible à tenir » comprend-on.

Loi finance, loi économie circulaire, fermeture annoncée des centrales à charbon, loi mobilité… l’ensemble des mesures prises depuis le début du quinquennat sont passées à la moulinette. Différents scenarii sont produits, la variable décisive est la détermination de l’Etat à remplir ses objectifs. Dans la plupart des cas, les objectifs sont jugés « difficilement atteignables » car leur réalisation suppose des « moyens inédits » notamment financiers et ce « sans aucune exception […] malgré le contexte actuel difficile et la crise  économique ». In fine, à bien y regarder, même le scenario « volontariste » ne permet pas d’atteindre l’objectif des 40%. La France pourra au mieux « [s’en] approcher » avec une diminution modélisée à hauteur de 38% d’ici 2030 si et seulement si, 1) les acteurs coopèrent et adhèrent aux mesures qui les concernent et, 2) que les négociations au sein de l’UE aboutissent à des résultats ambitieux. Mais de ce résultat, le Gouvernement se garde bien de faire étalage.

En fait, pour atteindre les objectifs, l’étude conseille de rehausser une série d’indicateurs et pour parvenir aux 38% du résultat le plus favorable, le BCG a dû pousser certaines hypothèses pour accroitre leurs effets. A titre d’exemple, prenons un sujet d’actualité : l’élevage bovin et la viande dans nos assiettes.

Afin de doubler le rythme de réduction du cheptel bovin et respecter ainsi les objectifs fixés en termes d’émissions de GES, BCG prévoit une réduction de 18% de la consommation de viande rouge en France sur la période 2018-2030. Une diminution qui serait réaliste, à en croire le cabinet, du fait des retombées entre autres de la loi Egalim promulguée en 2018. Il est attendu une revalorisation des revenus agricoles qui engagerait les éleveurs vers un système moins productiviste or, si ce n’est dans la filière lait, aucun produit de l’élevage n’a vu ses prix d’achat augmenter depuis l’adoption de la loi. Hypothèse « poussée » donc. Autre condition sine qua non pour atteindre l’objectif : une réforme de la PAC résolument tournée vers l’agro-écologie. Renégociée cette année, nous croisons les doigts pour que ce ne soit pas là un vœu pieu mais, hélas, rien n’est moins sûr. Autre hypothèse « poussée », donc, pour tirer les résultats vers le haut. Quant aux émissions importées pouvant résulter d’ici 2030 d’accords commerciaux avec des espaces économiques extérieurs, le rapport ne pipe mot.

Et malgré une méthodologie favorable à son client, le BCG n’arrive qu’à 38% 

Autant dire qu’en l’état, la loi Climat et Résilience dont les derniers amendements ont pu être déposés le 3 mars, n’est pas suffisante malgré tout ce dont l’Etat se vante. Dénoncée de toute part pour son manque d’ambition, y compris par des organismes publics, le projet de loi demande une somme considérable d’amendements positifs pour tenir l’engagement de 40%. Engagement contraignant pour l’Etat depuis la décision du Conseil d’Etat dans l’affaire qui l’opposait à Grande-Synthe. Des amendements, de la bonne volonté mais aussi et surtout la fin de la mauvaise foi. Il y a quelques jours encore, dans une tribune parues dans Les Echos, les cautions vertes de la macronie à savoir Pascal Canfin (eurodéputé) et Barbara Pompili (Ministre de la transition écologique), jouaient les bons élèves en affirmant : « les faits sont les faits, la France est bien aujourd’hui parmi les leaders de l’action climatique en Europe ». La même semaine, Carbone 4 tapait sur les doigts du bon élève. Résultats de l’évaluation verte du quinquennat : 2/11. Une note tout aussi mauvaise que le 3 de moyenne accordé par la Convention citoyenne lors de sa dernière réunion.  

Au regard de ses engagements, l’Etat ne vaut pas plus de 2 ou 3 et accumule les avis défavorables. Il est temps pour le gouvernement de voir la vérité en face et d’arrêter de se cacher derrière des rapports achetés dont il faut tout de même saluer la probité malgré les tournures dissimulant l’amère vérité.

Et, si vous vous posez les questions qui fâchent, sachez que le Gouvernement laisse jusqu’à présent de côté la transparence. Quel était le contenu de la commande gouvernementale ?  Non public. Combien le rapport a-t-il coûté ? Non public non plus. Par contre, aucun bluff sur l’évidence. Qui paie la stratégie de diversion gouvernementale ? Nous. Qui trinque et trinquera pour l’inaction climatique ? Nous aussi.

Nicolas Gachon

 

 

Sources

Basic, “Etude des financemetns publics et privés liés à l’utilisation agricole des pesticides en France”, 9 février 2021. https://lebasic.com/wp-content/uploads/2021/02/BASIC_Financements-et-Pesticides-en-France_Rapport-de-recherche_VFinale_Fevrier-2021.pdf 

BCG, Evaluation d’impact des mesures prises depuis 2017 sur la réduction des gaz à effet de serre en France à horizon 2030, février 2021. Synthèse disponible en ligne : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Etude%20BCG%20-%20Evaluation%20climat%20des%20mesures%20du%20quinquennat.pdf 

Pascal Canfin & Barbara Pompili, « Oui, la France est leader de la bataille pour le climat en Europe », LesEchos.fr, 27 février 2021. Disponible à l’adresse : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/oui-la-france-est-leader-de-la-bataille-pour-le-climat-en-europe-1293985

Pour des évaluations environnementales du quinquennat et de la loi Climat et résilience :

Carbone 4 (Alexandre Joly et César Gugast), L’Etat français se donne-t-il les moyens de ses ambitions, 24 février 2021. http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2021/02/LEtat-franc%CC%A7ais-se-donne-t-il-les-moyens-de-son-ambition-climat.pdf 

CESE, Avis sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, 27 janvier 2021. https://www.lecese.fr/content/le-cese-adopte-son-avis-sur-le-projet-de-loi-climat 

HCC, Avis portant sur le projet de loi Climat et Résilience, février 2021. https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2021/02/hcc-avis-pjl-climat-resilience-1.pdf

Pour un article plus à charge contre BCG : 

Gaspard d’Allens, “Pour défendre son action climatique, le gouvernement s’offre les services d’un cabinet de conseil international”, Reporterre, 13 février 2021. https://reporterre.net/Pour-defendre-son-action-climatique-le-gouvernement-s-offre-les-services-d-un-cabinet-de-conseil-international