Parasite est certainement le film de 2019 qui a fait le plus parler de lui. D’abord un film de festival s’adressant aux cinéphiles, le long métrage est distribué un peu partout dans toute la France, fait rare pour un film d’auteur coréen. Profitant d’un excellente bouche à oreille sur la durée, ainsi qu’une distribution progressive dans le monde, Parasite devient une nouvelle référence du cinéma coréen dans le monde ; avec presque deux millions d’entrées en France, une palme d’or et un oscar du meilleur film.
Connaissez-vous son ancêtre, Hanyo ? Sorti en 1960 et réalisé par Kim Ki-Young, ce thriller en noir et blanc est considéré comme l’un des films les plus importants en Corée. Je vous propose aujourd’hui une rapide découverte de ce classique, injustement méconnu en Occident.
Un film historiquement important
Pour comprendre la singularité et le statut culte de Hanyo, un très bref détour historique s’impose. L’histoire du cinéma coréen est aussi celle de son pays. Pendant la moitié du XXème siècle, la Corée connait la colonisation japonaise, la Seconde Guerre mondiale, la Guerre Froide avec la guerre de Corée. Tous ces évènements empêchent le cinéma de se développer. D’abord, les limitations techniques, importantes, empêchent le développement d’une influente industrie nationale. Ensuite, les rares films étrangers étaient majoritaires. Seules quelques petites productions de propagande arrivent à être développées sur le sol coréen. Deux autres facteurs limitent le développement du cinéma : le Japon possède le monopole de la diffusion, le gouvernement décide et censure les films à sa bonne volonté. Au final, très peu de films sont produits sur cette période, ce ne sont que des films de propagande.
A partir des années 1950, le président Syngman Rhee décide de faire de son industrie une « exception culturelle », puisque désormais, le cinéma n’est plus soumis à l’imposition. Avec la fin de l’occupation japonaise, le contexte est plus que jamais favorable à la diffusion d’un cinéma d’auteur. C’est dans ce contexte que nait Hanyo, en 1960. Pilier de cet âge d’or du cinéma coréen, il marque les esprits à tout jamais.
Ce petit détour fait, gardez en tête que le peuple coréen n’a jamais connu de gros succès comme en Occident. Dès lors, les gens à l’époque n’ont pas réellement développé d’attentes artistiques envers le cinéma.
Une réussite esthétique
De quoi parle Hanyo ? Ce film raconte l’histoire d’une famille assez aisée avec de nombreux projets de vie. Elle est composée d’un homme professeur de piano, une femme couturière et deux enfants. Lorsque M.Kim est trop occupé au travail et que sa femme tombe enceinte, le couple décide d’engager une servante pour les tâches domestiques. La servante arrive, tout se passe bien, jusqu’au jour où un drame survient, la relation avec la servante ne sera plus comme avant.
Hanyo est donc un film en quasi huis-clos qui se déroule dans l’appartement des Kim. Le huis-clos frappe quiconque visionnant ce film. Chaque plan, extrêmement détaillé, permet de relever le moindre élément de mobilier présent. Le jeu de caméra autour des escaliers est particulièrement marquant, puisque les allers-retours incessants qui s’y produisent donne le vertige. L’appartement devient un cadre infernal, qui fait ressortir toute la puissance du drame qui se déroule sous nos yeux.
Hanyo est un film formellement très réussi. La mise en scène, excellente, est extrêmement novatrice. Souvenez-vous plus haut quand je disais que la Corée n’a pas connu d’explosion du cinéma comme en Occident. Il est d’autant plus marquant de voir, comment le film enchaine tous les fondus, zooms et contreplongées, pour faire ressortir toute la détresse sur le visage des personnages. Hanyo a quelque chose de très exagéré dans sa mise en scène, son jeu d’acteurs. Tout est fait pour ressortir la détresse, ce qui donne un film assez malaisant à regarder. Ces effets sont d’autant plus forts avec le noir et blanc. Avant tout une contrainte économique, ce dernier est utilisé habilement pour ressortir les contrastes, ou montrer des ombres terrifiantes. Justement, le film flirte très souvent avec l’horreur. Avec une narration qui ne cesse de repousser ses propres limites, le film en devient surréaliste. Comme une plongée en enfer, le spectateur perds ses repères, n’ayant aucune idée d’où le film va l’emmener. Résultat ? Le film est déroutant et addictif, aussitôt pris dans la spirale d’évènements, il est impossible de ne pas vouloir connaître la suite. Le personnage de la servante, magnifiquement interprétée par Lee Eun-Shim (son seul rôle notable), terrifie par sa folie et ses pulsions inarrêtables. En clair, Hanyo n’hésite pas à jouer avec les codes du film d’horreur ou de l’érotisme.
Finalement, Hanyo est un film complètement ancré dans son époque. Profitant d’un regain de liberté d’expression, Hanyo n’hésite pas à dépeindre avec ironie, la quête de gloire de la classe moyenne ascendante. Le commentaire social est fort, dans une société en pleine transformation économique. Pour les fans de Parasite ayant aimé le mélange de registres, le suspense, l’action en intérieur, les chaines d’évènements incontrôlables, ou bien les cinéphiles curieux de découvrir un classique du cinéma coréen, Hanyo est un excellent film à ne manquer sous aucun prétexte. En plus, il est disponible sur YouTube juste ici. https://youtu.be/-J_HTZFC32s
Et pour approfondir, une petite analyse par Bong Joon-Ho https://youtu.be/r56V1P_AIMQ qui complète très bien ce que j’ai dit.
Amir Naroun